Encouragé par le maître des lieux, je vous propose une critique des seconds et troisièmes tomes de l'univers d'Ada Palmer, Terra Ignota, dont il a chroniqué le premier tome ici.
Mais
sache déjà, cher lecteur, que le style de Mycroft risque fort
d'influencer le mien au point de rendre mon propos parfaitement
abscons, n'ayant ni son génie ni sa folie, juste l'envie de le
suivre le temps de finir les ouvrages de sa créatrice.
Comment s'y retrouver dans ce monde si différent, piloté par un homme (une femme ?) dont la folie va croissante, ? Qui ne dit que ce qu'il veut bien nous dire faute de temps ou par goût de la dissimulation ? Qui malgré ses dons n'a qu'une vue partielle des événements qui se succèdent à haute vitesse ? Qui se veut impartial, mais qui est plus sûrement partial avec tous ? Qui simplement ne nous donne que des indices disparates de son monde parce qu'il s'adresse à un lecteur futur qui forcément connaît ce monde ?
Dans les hautes sphères où Mycroft évolue, il ne nous reste que peu de points d'ancrage, car chacun des protagonistes peut révéler une facette de lui qui ébranle notre vision des choses. Arrive le moment où vous ne retrouvez plus que deux bouées de sauvetage, deux Grecs : Papadélias le vieux flic, et Achille le Péléen. Oui, Achille en personne, le Guerrier de Troie, parce qu'il faut bien apprendre la guerre à l'humanité qui a oublié comment la mener après des siècles de paix, mais qui retrouve en peu de jours toute la sauvagerie nécessaire pour se détruire soi-même. Parce que ces deux-là n'oublient jamais, au plus fort de la tempête, les réalités de la vie quotidienne et ont pour notre héros une tendresse désintéressée que personne d'autre ne lui dispense.
L"univers créé par Ada Palmer n'est pourtant pas un univers de fous, bien au contraire : c'est un monde d'une stabilité remarquable, mais avec ses failles qui s'ouvrent une à une pour faire place à un gouffre béant auquel personne ne s'est préparé. Et si elle décrit un monde de paix qui bascule de plus en plus vite vers la guerre, c'est au nom d'une logique implacable impossible à contrecarrer (c'est d'ailleurs là tout le nœud du problème).
Mais à quoi bon construire un si bel ouvrage si c'est pour le détruire méthodiquement ? Pour le plaisir de nous emporter dans les délires des philosophes qu'elle adore au point d'en faire intervenir un dans son récit ? Eh bien, il va falloir attendre le quatrième volume pour cela, si jamais on veut bien nous donner la fin de l'histoire.
Mais je sens bien que les lecteurs et lectrices de ce blog, habituées à des billets autrement plus percutants du seigneur des lieux, et peut-être bien même lui-même en personne, se désolent de voir une chronique aussi obscure qui ne dévoile en fait pas grand-chose de l'histoire ingénieuse, magistrale et déjantée de cette série. C'est que le récit lui-même ne se prête pas à un résumé simple, surtout quand quasiment chaque chapitre apporte son lot de découvertes, de rebondissements, de trahisons ou de loyautés. Quand l'apparence du récit chronologique vous amène sans cesse à revenir sur les chapitres précédents, réviser vos impressions, abandonner vos certitudes ou forger de nouvelles hypothèses. Quand les logiques de tous les protagonistes s'entrechoquent violemment et qu'eux-mêmes font face au doute.
À
ceux qui auraient trouvé le premier tome trop foisonnant, je
préviens que la suite du récit ne s'arrange pas sur cet aspect. Si
le nombre de protagonistes évolue peu, les protagonistes eux-mêmes
évoluent de façon inattendue ou dévoilent des facettes de leur
personnalité étonnantes, les morts ressuscitent (au moins dans
l'esprit errant de Mycroft) et les dieux apparaissent sans qu'on soit
complètement certain qu'ils sont ce que Mycroft prétend. Et lui,
Mycroft, est le tourbillon le plus fou de cette immense tempête, pion autant maître du jeu.
À rebours de ce que j'ai osé déclarer dans les commentaires du billet consacré au premier tome, c'est bien aux sommets les plus vertigineux que nous convie Ada Palmer, dans une narration échevelée et un univers unique en son genre, où s'entrechoquent les utopies de toutes natures. Et même la guerre dont l’inéluctabilité fait pourtant tout l'objet du troisième tome n'apparaît pas si certaine.
Avis aux amateurs d'Everest.
1 commentaire:
C'est malin,j'ai envie de lire cette suite maintenant. Merci pour ce billet Valérie !
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