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mardi 13 juillet 2021

Leçon de politique antique : Démocratie, d'Alecos Papadatos, Annie di Donna et Abraham Kawa


 Entre Clisthène et moi, c'est une vieille histoire qui remonte à ma première année de faculté d'histoire et à une incompréhension de sa fameuse réforme, incontournable quand on étudie l'histoire de la cité d'Athènes. Aujourd'hui, grâce à Alecos Papadatos, Annie Di Donna et Abraham Kawa, je renoue avec ce cher Clisthène et sa réforme politique.

Je résume l'affaire.

Le 5e siècle avant l'ère commune vient de commencer à Athènes. Celle-ci est une ville de quelques dizaines de milliers d'habitants entouré d'un pays qui ne dépasse pas la taille d'un petit département, et qui n'a pas encore construit les merveilles dont les ruines ornent désormais l'Acropole, mais qui a déjà une forte conscience de soi et de sa longue histoire.

Dans cette cité-état, les grandes familles font la pluie et le beau temps, et le peuple n'a qu'à s'écraser (ou se faire écraser, il a le choix). Un premier réformateur a fait du bon travail : il s'appelle Solon, il a défini et fait appliquer la notion de citoyen, ce qui est un premier pas important ; il a également permis aux plus pauvres de ces citoyens d'échapper à l'esclavage pour dettes. Mais de là à fonder la démocratie, il fallait encore sauter un pas, et pendant ce temps la tyrannie se porte bien.

Arrive Clisthène. Il n'est pas n'importe qui, ce rejeton d'une des plus grandes familles d'Athènes. Il a connu l'exil, il s'est appuyé sur Sparte, a démarché les Perses, puis a commencé à cogiter pour rendre sa cité plus forte face à tout ce beau monde. Et il a eu une idée : mélanger les Athéniens, en créant des tribus qui mêlaient, en gros, les paysans, les citadins et les marins.

Et ça a marché. Ça a donné une démocratie. Bon, une démocratie de mâles libres et athéniens pure souche. Quand même, c'était un bon début.

C'est Léandre qui va nous faire découvrir toute cette histoire, qu'il raconte à ses compagnons, la nuit de veille avant la bataille de Marathon. Jeune peintre devenu orphelin le jour sanglant de l'assassinat d'Hipparque le tyran, il se réfugie à Delphes et y rencontre Clisthène. Voulant venger son père, il tente de comprendre ce qui s'est passé, et revenu dans sa patrie, il est le témoin de la lutte politique d'Isagoras et de Clisthène et de toute la vie politique athénienne.

Comment le simple fait de créer des associations de quartier pouvait avoir un tel pouvoir ?

Grâce à cette belle bande-dessinée, non seulement nous pouvons comprendre toute l'ampleur du bouleversement qu'a apporté Clisthène dans sa cité, et par-delà à l'histoire du monde, tant cette organisation politique a pu en inspirer d'autres, encore aujourd'hui.

Politique, histoire ? Ambiguïté des leçons à tirer de cet épisode et des personnages eux-mêmes ? L'autrice et les auteurs ne tranchent pas : à partir de sources parcellaires et d'analyses historiques pas toujours concordantes, iels tirent la matière pour un récit présenté par un témoin partial qui raconte son histoire en faisant part de ses doutes.

Un bon moment avec une histoire grecque pleine de sentiments, de sang et de fureur ? Analyse philosophique romancée ? Essai historique à la forme originale ? Au fond peu importe, car qu'on le prenne pour l'une ou l'autre, ce récit bien mené vous entraîne pour un moment hors de notre temps, non seulement pour découvrir les réalités d'il y a vingt-cinq siècles, mais aussi les questionnements sur nos sociétés modernes.

Ça vous donnerait presque l'envie de vous remettre au grec ancien, tiens...

7 commentaires:

Emmanuel a dit…

Je suis intrigué par l'approche historique peu commune de ce livre. Je vais essayer de le feuilleter en librairie.

Soleil vert a dit…

"Ça vous donnerait presque l'envie de vous remettre au grec ancien, tiens..."

Aux Etats-Unis, certains n'en veulent plus. Inquiétant ?

https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/non-l-antiquite-n-etait-pas-raciste-20210311

Emmanuel a dit…

L'Histoire est une discipline éminemment idéologique.

Valérie a dit…

L'histoire est fille de son temps : une fois les faits établis (ce qui ne va pas toujours de soi), les textes établis (ce n'est pas une mince affaire...), vient le temps des traductions et des analyses. Et là toute la subjectivité de l'historien·ne entre en lice.
Mais ce n'est certainement pas en supprimant des savoirs qu'on parviendra à faire avancer la connaissance, c'est en les empilant, et en changeant son angle d'attaque. les préhistoriennes et les archéologues le font avec beaucoup d'intelligence en ce moment pour la préhistoire et la protohistoire, en déconstruisant patiemment les stéréotypes de genre de façon à la fois ingénieuse et rigoureuse. Tout le contraire d'une posture agressive, mais oh combien plus constructive.
Quant à ces historiens qui se demandent ce qu'il font là, eh bien qu'ils se mettent aux autres langues antiques, on manque de traducteurs !

Anonyme a dit…

BD très intéressante sur la naissance de la démocratie dans l’Athènes antique.
Les dessins sont magnifiques et j’ai pris plaisir à suivre cette Saga,à travers le fil conducteur de Leandre.

Anonyme a dit…

Je rajouterai qu’il n’est pas nécessaire d’être spécialiste de l’histoire hellénique pour lire cette BD,elle reste accessible dans son ensemble à qui voudra s’y intéresser.

Valérie a dit…

Petite note de bas de page sur la polémique autour des "classics" (les humanités, dirions-nous en France) dont se faisait l'écho Soleil vert. Dans le numéro 488 de la revue L'Histoire d'octobre 2021, Claire Sotinel (https://crhec.u-pec.fr/membres/enseignants-chercheurs/sotinel-claire) analyse le conflit.
Remise dans son contexte étasunien, cette polémique prend un tour beaucoup plus nuancé et intéressant que son évocation par le journaliste du Figaro. En particulier ce n'est pas l'enseignement de la culture antique et des langues anciennes que critique Dn-el Padilla Paralta, mais la manière dont ces dernières sont accaparées par la droite américaine.
Comme quoi avant de s'emballer, il faut toujours revenir au texte, en études classiques comme en commentaires journalistiques...