La journaliste anglaise Caroline Eden, chroniqueuse pour la BBC et le Guardian, s’est fait une spécialité des récits de voyage dans les pays de l’ex Union Soviétique. Son dernier ouvrage traduit en français, Black sea : un voyage culinaire entre Orient et Occident, suit en grande partie les limitations géographiques de cette antique région du Pont, en débutant cependant bien plus au nord, à Odessa en Ukraine, pour finir à Trabzon, à l’est de l’Anatolie (en passant évidemment par Istanbul). Levons d’ailleurs dès ce préambule toute ambiguïté, Black sea n’est pas à proprement parler un livre de cuisine. Bien évidemment vous y trouverez immanquablement de nombreuses recettes, mais elles ne correspondent à aucune nomenclature précise. Inutile de chercher ici l'exhaustivité et encore moins un petit traité de la gastronomie ukrainienne, roumaine ou turque. Le seul fil directeur c’est cet étonnant voyage le long de la côte de la mer noire, en traversant quatre pays dont on sent bien que leurs populations partagent une identité commune, faite de longs échanges commerciaux et culturels à travers les siècles, tout autant que de brassages de populations. Ces hommes et ces femmes, qu’ils soient d’Odessa, de Constanta, de Varna ou bien encore de Trabzon, partagent une mer, leurs ancêtres ont voyagé à travers les terres, ont apporté avec eux leurs traditions, leurs langues et leurs cultures, au sein de laquelle la gastronomie n’est d’ailleurs pas le moindre des héritages. Au fil des siècles, ils ont cultivé la nostalgie de leurs terres d’origine, entretenant la mémoire de leurs papilles, les gestes ancestraux et l’amour des produits de leur terroir.
C’est cette richesse des échanges multiséculaires, que Caroline Eden réussit à parfaitement retranscrire. Son livre invite au voyage autant qu’il donne envie de se régaler des nombreux plats qu’elle décrit au gré de ses envies, sans forcément leur donner leur nom canonique, mais en les associant plutôt aux personnages qu’elle rencontre et avec lesquels elle engage le dialogue (une soupe de poisson dégustée dans un petit troquet du quartier des affaires d’Istanbul devient ainsi “La soupe du banquier” ou bien encore ce plat on ne peut plus classique est nommé le “Pilaf de l’épicerie” à Kastamonu). Les exégètes et autres ayatollahs du respect absolu des règles culinaires risquent quelque peu de rester sur leur faim, car certains plats iconiques sont tout bonnement absents, mais c’est un peu le principe de ce livre que de nous surprendre et de nous mener en territoire inconnu, voire inattendu.
L’autre grande qualité du livre, c'est son orientation très littéraire, à la fois dans le style et la narration, mais également dans son approche de chaque région visitée. L’auteure apporte beaucoup d’éléments historiques et livresques tout au long de ses visites, n’hésitant pas à convoquer les plus belles pages de la littérature, notamment à Odessa ou à Istanbul. Les rencontres, les paysages, l’ambiance, les odeurs et les saveurs, tout est joliment décrit, mais avec simplicité et sans artifice. C’est un livre authentique, plein de délicieux parti pris et d’angles inattendus. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage comme dirait l’autre…. oui, mais alors de l’autre côté du Bosphore cette fois.
4 commentaires:
Hé oui,tous ces mouvements de population ont donné une cuisine très métissée et des mondes culinaires très proches, y compris par le contact avec la Russie.
C’est toujours un plaisir de te lire.
Désolée, j’avais oublié de m’identifier.
Carmen.
Voilà, exactement, les métissages culinaires, c'est le bien.
Intéressant. J’en prends note.
Voyager c’est rencontrer.On voit bien à quel point ce nomadisme des populations a irrigué d’autres populations jusqu’au domaine culinaire et au delà des entraves linguistiques.
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