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samedi 6 mars 2021

Gnomon (T2), de Nick Harkaway : Le puzzle dont vous êtes le héros

 

Scindé en deux volumes pour les besoins de l’édition française, Gnomon n’est pas exactement un roman classique, mais plutôt un puzzle dont vous êtes le héros option casse-tête, dans le sens où le lecteur est sommé de reconstruire au fil de sa lecture l’énigme que constitue cette étrange méta-fiction. Sauf que cette fois les dés ne vous seront d’aucun secours, il faudra faire confiance à votre matière grise pour vous sortir d'affaire, mais si vous avez déjà lu le premier tome, vous savez forcément à quoi vous en tenir. 



A la fin du premier tome de Gnomon, Nick Harkaway nous avait laissés dans l’incompréhension la plus totale, bien malin celui qui pouvait se targuer d’avoir saisi la finalité de cette fascinante architecture livresque, même si l’auteur laissait en partie entrevoir la nature de son propos. Largué au beau milieu d’un no-man’s land logique où plus rien n’avait de sens, le lecteur attendait avec une impatience non feinte, voire même un certain agacement, la résolution du casse-tête. Rassurez-vous, le roman livre toutes ses clés dans les cent dernières pages, mais inutile de foncer immédiatement en fin de volume, vous risqueriez de passer à côté d’une grande partie de l’intérêt de Gnomon. 



Tout au long de cette seconde partie du roman, Nick Harkaway brouille les pistes en permanence et joue avec son lecteur, qui ne sait jamais exactement si le récit se déroule dans la réalité, dans le présent ou le futur, dans un jeu vidéo ou bien dans les souvenirs truqués de Diana Hunter. D’ailleurs Diana existe-t-elle vraiment ? Le Système n’est-il qu’une vaste simulation informatique dans laquelle évoluent les personnalités virtuelles déjà mortes ? Les personnalités dont on explore les souvenirs sont-elles en réalité des entités intelligentes autonomes, des firewalls d’un nouveau type ou bien tout simplement des chevaux de Troie destinés à prendre le contrôle du Système ? Telles sont les questions qui titillent en permanence le lecteur.



L’auteur distille tout au long de son récit de nombreux indices, mais qui ne font pas toujours sens à la première lecture. Au fil du texte, le lecteur échafaude des hypothèses, se retrouve parfois acculé dans une impasse intellectuelle et se demande si tout ceci n’est pas plutôt une méta-friction un tantinet tirée par les cheveux. Il y a quelque chose de la narration interactive dans l’écriture de ce roman, dans lequel l’auteur n’est plus le seul à produire du contenu, le lecteur est partie prenante dans la narration et doit reconstruire brique par brique le récit. Les interstices sémiotiques chers à Umberto Eco, ceux-là mêmes censés favoriser l’interprétation et l’appropriation du lecteur, sont ici à leur paroxysme. D’autant plus que l’auteur use d’énormément d’éléments symboliques et oniriques, qui enrichissent le récit, mais le rendent également parfois un brin abscons sans quelques petites recherches complémentaires. C’est sans doute la raison pour laquelle l’histoire est si difficile à suivre pour tous ceux qui ont l’habitude de se laisser porter par des constructions narratives plus linéaires, moi le premier. Avouons que tout ceci est loin d’être de tout repos et le défi laissera sans doute quelques lecteurs sur le carreau. 



En revanche, les plus tenaces auront le plaisir de découvrir des passages d’une fulgurance remarquable et un discours brillant, ultra-référencé, qui entre parfaitement en résonance avec son époque. C’est sans doute dans cette dimension critique qu’auteur et lecteur trouveront une zone de rencontre et de coopération textuelle, un territoire commun qui désormais fera sens.



4 commentaires:

Valérie a dit…

Ah mince. Un commentaire pour un second tome. La chose mérite d'être soulignée...

Emmanuel a dit…

Oui mais pas facile, c'est le genre de bouquin pour lequel il faut en divulguer le moins possible tout en évitant de trop paraphraser. Même les quelques questionnements que j'évoque donnent déjà un peu trop d'indications à mon goût.

Sinon les cent dernières pages du roman sont vraiment formidables.

Valérie a dit…

Première lecture terminée.
Je n'ai pas tout compris... mais mon univers littéraire, quelque part, a basculé. Je n'ai jamais lu un truc pareil.
Au début j'ai pensé à un enchâssement d'histoires. Puis d'une tresse d'histoires à la façon d'un Jasper Fforde ou d'un James Ellroy, mais non. C'est encore plus dingue. Est-ce qu'on est réveillé ? Est-ce qu'on rêve ? Est-ce qu'on rêve éveillé ? L'univers onirique est impressionnant, au sens où il laisse des traces, comme des réalités alternatives et aussi tangibles que les autres.
Et j'ai eu la fugace idée d'avoir commencé à comprendre le principe de décohérence. Mais ce doit doit un mirage, effet secondaire de cette lecture proprement immersive...

Cela mérite relecture. Mais pas tout de suite...

Emmanuel a dit…

Oui, cela mérite relecture, pour le plaisir de voir comment l'auteur construit son récit. Mais tu as raison, il est préférable d'attendre avant de s'y replonger.