Voilà un titre qui ne laisse pas indifférent et qui a sans
doute contribué au succès de ce livre depuis sa parution initiale en
1998. Épuisé à la vente pour le plus grand désespoir des gastronomes en
mal d’érudition, les éditions Actes Sud ont eu l’obligeance d’en
proposer une nouvelle édition dans la collection Sindbad (très
exactement dans la sous-collection L’Orient gourmand). Il ne faut
évidemment pas prendre trop au sérieux le titre choisi par Farouk Adam
Bey et Robert Bistolfi, ce Traité du pois chiche n’est ni une thèse ni
un pensum, mais un livre de cuisine, certes un peu savant, mais
néanmoins gourmand. D’aucuns feront sans doute remarquer qu’écrire un
livre entier sur une légumineuse aussi insignifiante que cette chère
tête de bélier est une idée curieuse, voire un poil rébarbative. Le pois
chiche se réduisant pour beaucoup au houmous et à un ingrédient mineur
du couscous. Que ceux-là retournent dans leur cuisine high tech à îlot
central ouvrir des barquettes signées Picard et restons entre gens de
bonne compagnie à déguster les nombreuses recettes qui émaillent ce
merveilleux livre.
“Un petit pois qui nourrit l’ambition d’être un haricot et qui, heureusement, y parvient”
(Théophile Gautier)
En France, la consommation et la production de pois chiches sont
insignifiantes, mais cela n’a pas toujours été le cas comme nous le
rappellent les auteurs, notamment dans les régions proches du pourtour
méditerranéen. La plus ancienne souche de cette légumineuse a même été
retrouvée dans une grotte du Languedoc, plus ancienne même que les
graines découvertes au Levant, en Grèce ou en Turquie, régions dont on
pense que le pois-chiche est originaire. Aujourd’hui, consommation et
production se concentrent du côté de l’Inde, du Proche Orient et des
pays bordant le Sud de la Méditerranée. C’est l’arrivée du haricot, venu
des Amériques, qui aurait fait chuter considérablement la consommation
du pois chiche en Europe occidentale, alors que cette légumineuse fut
très populaire durant l’Antiquité et le Moyen Age. Cette popularité est
d’ailleurs à prendre au pied de la lettre car le pois chiche, consommé
en pois ou sous forme de farine, a longtemps été un aliment associé à la
pauvreté et à un certain dénuement. Alors qu’aujourd’hui se procurer un
kilo de farine de pois chiche de bonne qualité relève du parcours du
combattant et vous coûtera quatre fois plus cher qu’un kilo de farine de
froment (un peu comme l’épeautre), elle fut durant des siècles, voire
des millénaires, un ingrédient de base de la cuisine populaire et très
souvent consommée sous forme de galettes. On se régale ainsi à Nice de
la fameuse socca, galette composée de farine de pois chiche, d’eau,
d’huile d’olive et de sel, cuite au feu de bois, mais que l’on retrouve
sous d’autres déclinaisons de Marseille (la panisse) à Gênes, en passant
par Toulon (la fameuse cade vendue sur les marchés). Ce qui explique le
succès de cette légumineuse tout autour de la Méditerranée fut la
conjonction d’un terrain et d’un climat parfaitement adaptés à la
culture du pois chiche, qui ne craint pas tant le froid (pas trop
rigoureux tout de même) que les terrains trop humides et mal drainés,
ainsi que ses qualités de conservation surtout sous sa forme sèche (la
farine se conservant moins longtemps). Aujourd’hui toujours très
populaire en Inde et au Proche Orient, le pois chiche semble susciter un
regain d’intérêt en Occident, certains pays inattendus se lancent même
dans sa culture (Canada), et il retrouve le chemin des grandes tables.
Au-delà des considérations historiques et des petites anecdotes qui
émaillent ce livre, se dessinent en creux les contours d’une culture
commune, qui géographiquement correspond ni plus ni moins au bassin
méditerranéen. Mare nostrum comme la nommaient les Romains de
l’Antiquité est un creuset qui au fil des millénaires, à force
d’échanges commerciaux et culturels, de migrations diverses et variées,
de cohabitations entre différentes communautés ethniques et religieuses,
nous rassemble bien plus qu’il nous éloigne. Certes, l’olivier est
aujourd’hui encore le symbole le plus évident de ce qui relie les hommes
de cette région du monde, qui mieux que cet arbre si précieux peut
dessiner les contours du monde méditerranéen ? Mais cet essai sur le
pois chiche prouve que cette petite légumineuse peut sans peine lui
disputer un peu la vedette car depuis des siècles elle nourrit sous ses
diverses formes, et avec un bonheur et une gourmandise dont témoignent
les très nombreuses recettes de ce livre, les hommes de tous les
horizons. Que vous l'aimiez en apéritif, sous forme de soupe ou de
ragoût, en galette ou en salade et même en dessert, le pois chiche
plonge ses racines au plus profond de notre histoire commune, il est
voyageur et se prête à une multitude d’accompagnements et
d’assaisonnements, il en appelle à une certaine simplicité, mais peut
sublimer également les préparations les plus raffinées.
A la fois érudit et savant, amusant et gourmand, le Traité du pois
chiche est un livre d’une rare évidence, qui met en joie autant qu’il
étonne, qui régale les papilles autant qu’il nourrit notre imagination
et nous fait voyager à travers le temps et l’espace. On le feuillette
toujours avec plaisir, on y revient sans cesse y piocher une idée ou une
recette, on se régale de sa verve autant que des saveurs subtiles et
épicées qu’il évoque car dans ses pages c’est tout un monde d’une
richesse inouïe qu’il renferme.
12 commentaires:
Intéressante chronique.
C'est tout à fait juste ce que tu écris.On oublie souvent que cet aliment,comme d'autres,est lié à l'identité et que derrière des plats
il y a des histoires de personnes,des échanges commerciaux..etc.
Finalement c'est un aliment encore très présent sur les tables du bassin méditerranéen.
J'en parle en connaissance de cause.
C'est vrai pour beaucoup d'autres aspects de la gastronomie, mais il y a des aliments qui, comme le pois chiche, nous permettent de mesurer à quel point nous sommes tributaires du passé et à quel point certains gestes et habitudes culinaires sont littéralement ancestraux. Un peu comme ce regain d'intérêt pour le pain au levain fait maison.
Après je reconnais qu'en tant que méditerranéen, il y a des choses qui me touchent plus que d'autres. Il faudra que je parle un jour de ma passion pour l'huile d'olive ;-)
Juste avant de partir en courses... C'est du pousse-au-crime ! Le pois-chiche ne se réduit certes pas au hoummos, mais ce dernier mériterait un livre à lui seul.
J'ai découvert le pois-chiche en Jordanie sous forme de hoummos mais aussi d'une autre merveille culinaire, le falafel. Si je n'avais pas tant marché dans les extraordinaires sites archéologiques jordaniens, j'aurai grossi rien qu'en m'empiffrant des petites sandwichs aux falafels vendus à tous les coins de rue !
Hop, un petit peu de France Culture :
https://www.franceculture.fr/emissions/les-bonnes-choses/la-revanche-du-pois-chiche
Bises, V.
Eh oui, j'ai justement pensé à toi et à ton voyage en Jordanie en écrivant cette petite chronique.
Et merci pour le lien, c'est très exactement cette émission qui m'a donné envie de faire l'acquisition de ce livre.
Chiche !
On attend ta chronique sur l'huile d'olive.
Et puisque tu évoquais les panisses à Marseille,les meilleures sont à
l'Estaque.
J'ai grandi de l'autre côté, mais ça ne m'étonne pas !
Je muris l'idée, je muris l'idée, et puis il faut que je trouve un livre sur l'huile d'olive qui m'inspire ;-)
Pour se mettre l'eau à la bouche...
https://www.librairiegourmande.fr/recherche?controller=search&orderby=position&orderway=desc&search-cat-select=0&search_query=huile+d%27olive&submit_search=
J'ai vu qu'une discipline appelée oléologie tentait de percer (histoire de surfer sur la mode de l'oenologie), ça m'a fait tiquer au début, mais finalement c'est pas si bête. Après tout c'est un univers riche et complexe et pourquoi ne pas déguster l'huile comme du vin afin de choisir celle qui nous convient le mieux. Mais bon, je m'étendrai sur cette question une autre fois, parce que sinon ça risque d'être très long.
De l'huile d'olive bio alors..
C'est nouveau sur ce blog cet intérêt pour les ingrédients relatifs à la cuisine.🙂
Sur le blog oui, c'est assez nouveau, mais dans la vraie vie je cuisine beaucoup et je suis très attaché à mon terroir d'origine, c'est à dire la Provence/Ligurie. Forcément, parfois ça transparaît 😊
Tu as bien raison de perpétuer cet héritage culinaire.je fais pareil.
Je voulais juste citer un livre "Deux idées de bonheur"du regretté Luis Sepúlveda et l'italien Carlo Petrini,c'est une conversation entre ces deux hommes qui sont partisans du respect de la tradition dans la gastronomie qui n'est certainement pas celle "sans âme "des grands chefs.
J'avais bien aimé cette vision commune de ces deux hommes d'un pays different pourtant.
Ah mais merci, j'avais entendu parler de ce livre sur l'émission de France Inter, On va déguster, et ça m'était complètement sorti de la tête.
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