Plus de trente ans après sa parution
initiale, et sans doute portée par le succès de la série
télévisée, La servante écarlate revient par l’intermédiaire
d’une suite que personne n’attendait, mis à part quelques fans
persuadés qu’il y avait encore quelque chose à dire après le
dernier chapitre du roman initial. Nulle aigreur dans mon
propos liminaire puisque l’auteure l’avoue elle-même dans sa
postface. Mais chacun sait bien que l’équation, posée en ces
termes n’est jamais la garante d’une oeuvre de très grande
qualité. Que l’on se rassure néanmoins, Margaret Atwood n’est
pas née de la dernière pluie et plutôt que de suivre les demandes
insistantes des fans, l’auteure canadienne a choisi un voie médiane
en s’intéressant à d’autres destins et en nous narrant par le
menu la chute inévitable et attendue du régime de Gilead, car comme
chacun le sait les errances d’un système ne peuvent le mener qu’à
terme à sa perte.
Ceux qui espéraient retrouver Defred,
la servante dont le lecteur était amené à découvrir le destin
tragique (tout du moins, avant qu’elle ne réussisse à s’enfuir),
en seront donc pour leurs frais et devront laisser partiellement
libre cours à leur imagination concernant son avenir, mais ils
retrouveront, avec plaisir ou non, le personnage de tante Lydia,
l’une des figures féminines marquantes du régime autoritaire de
Gilead (autrefois les Etats-Unis pour ceux qui auraient raté un
épisode). Cette suite se situe quelques années après les
événement de La Servante écarlate, tante Lydia a donc vieilli,
mais dirige toujours d’une main de fer l’ordre des Tantes.
Rappelons que dans cette fausse république éminemment machiste et
rétrograde, le christianisme, dont les fondements ont été dévoyés
et détournés, fait force de loi et les femmes sont cantonnées à
des rôles subalternes de quatre ordre : celles qui ont le droit de
se marier (les Epouses), celles qui travaillent au service des autres
(les Marthas), celles qui enfantent (les Servantes) et celles qui ont
fait voeu d’entrer dans les ordres (les Tantes, à qui échoient de
nombreuses missions d’éducation / propagande). On découvre donc
dans ce récit, le passé de tante Lydia, ancienne juge aux affaires
familiales, et les raisons qui l’ont menée à entrer au service du
régime. Mais alors que l’on croyait cette femme, incroyablement
autoritaire, manipulatrice et mauvaise, irrémédiablement acquise à
la cause de Gilead, on apprend progressivement qu’elle fomente en
secret un complot qui sabotera les bases du régime, gangrené par la
corruption et la violence. Surprise, tante Lydia entretient des
relations avec les résistants réfugiés au Canada, ceux qui
permettent grâce à un soutien logistique et économique à certains
de pouvoir s’échapper de Gilead. Mystères et contradictions d’un
des personnages néanmoins les plus intéressants de l’oeuvre de
Margaret Atwood. En parallèle, l’auteure nous invite à suivre
deux autres parcours croisés, ceux d’Agnès et de Daisy. La
première apprend au sortir de son adolescence qu’elle a en réalité
été adoptée et que la nouvelle épouse de son père la destine à
être mariée au commandant Judd, dont on connaît le penchant pour
les jeunes femmes à peine sortie de l’enfance et dont les épouses
successives ont connu un destin tragiquement suspect. La seconde vit
au canada et son enfance semble entourée de mystères et de secrets,
la mort de ses parents dans un attentat que l’on attribue à
Gilead, changera irrémédiablement le cours de sa vie (oui, vous la
voyez arriver la grosse révélation).
Habilement construit et impeccablement
écrit, Les testaments est un roman honnête, mais hélas
parfaitement dispensable. D’une part, trois saisons de la série
télévisée sont passées par là, et le roman, bien que s’écartant
parfois de cette trame narrative, s’appuie en très grande partie
dessus. Donc si vous avez déjà vu The Handmaid’s tales, le livre
ne devrait pas vous apporter beaucoup de grain à moudre. Mais
peut-être êtes-vous passé à côté de ce phénomène télévisuel.
Dans ce cas, à mon sens, le roman reste tout aussi dispensable pour
un raison évidente : il n’y avait plus grand chose à dire à la
fin de La servante écarlate. Margaret Atwood avait écrit là un
petit chef d’oeuvre, qui tenait la dragée haute aux ténors de la
littérature dystopique et que l’on pouvait classer aux côtés
d’oeuvres aussi prestigieuses que 1984 ou Le meilleur des mondes.
Tout avait été dit, tout avait été écrit, cette suite n’apporte
pas grand chose, ou très peu, même si elle devrait satisfaire la
curiosité de ceux qui ont du mal à s’échapper d’un univers
accrocheur. Donc si vous êtes avides de connaître le destin de bébé
Nicole ou de comprendre les motivations qui pourraient pousser une
ancienne juge à devenir un parangon de vertu, de despotisme et de
cruauté, puis ensuite à retourner sa veste, Les testaments devrait
répondre au moins à ce questionnement. Le reste est à mon avis,
tout en étant très bien fait, parfaitement accessoire car la chute
du régime de Gilead était inscrite dans ses gènes et les
mécanismes qui expliquent l’implosion du système ne pouvaient
tenir au destin d’un seul personnage. On reste donc quelque peu sur
sa faim et on aurait aimé avoir une vision plus globale encore de
Gilead, de sentir davantage la vibration du peuple, de ceux qui ont
subi le changement de régime à leur corps défendant. La force de
La servante écarlate était d’aborder l’avènement du régime
autoritaire de Gilead à travers les yeux d’une femme, d’adopter
son point de vue. L’auteure nous amenait par petites touches, par
des allers-retours entre le passé et le présent à assister
progressivement à la chute d’une démocratie et à l’instauration
d’un régime théocratique délirant et totalitaire. Sauf que la
même démarche en sens inverse fonctionne cette fois beaucoup moins
bien, l’angle n’est à mon sens plus le bon. Ou tout du moins
est-il trop parcellaire. Que le roman ait reçu le booker prize 2019
ne change d’ailleurs rien à l’affaire.
6 commentaires:
Pour une fois qu'un livre chroniqué ici ne rentrera pas dans ma longue liste de livres à lire... Tu rejoins beaucoup de critiques. Plus qu'une suite, c'est presque un ouvrage de commande; et c'est rare de faire du bon travail dans ce cadre.
Oui, mais l'auteur l'avoue à demi-mots dans sa postface. En ce qui me concerne, on me l'a prêté et j'avais du temps libre devant moi.
Dommage! j'avais bien aimé "La servante écarlate". On dirait que c'est un peu plat et sans surprise celui-ci.
Disons qu'on devine pas mal de choses avant même qu'elles n'arrivent, mais c'est tout le problème d'une oeuvre de commande comme le soulignait Valérie. Il faut faire plaisir aux fans et à l'éditeur.
Purée, je n'ai même pas encore lu "La servante écarlate"
Aïe
T'as juste un peu de retard camarade, mais ça peut vite se rattraper :-)
Enregistrer un commentaire