Au rayon des journalistes de rock, on ne sait trop s’il faut classer Nick Kent dans la catégorie des mythomanes sur le retour, ou bien dans celle des junkies touchés par la rédemption, avides de transformer une expérience vieille de plusieurs décennies en monnaie sonnante et trébuchante. Qu’on se rassure, personne n’a jamais fait fortune en publiant des mémoires de critique rock, quant à surfer sur la vague des seventies, on veut bien croire que la mode soit au rétro (pardon, au vintage), mais à n’en pas douter le punk ne constitue pas un fond de commerce suffisamment rémunérateur pour toucher le jackpot. On aurait de toute façon envie d’accorder un minimum de crédit à un homme qui a été le disciple de Lester Bangs, qui s’est entiché des Stooges et qui plus d’une fois s’est retrouvé au petit matin la gueule enfarinée, un bras coincé entre le corps d’une groupie et celui d’Iggy Pop (ou de Keith Richards). Et peu importe la quantité de poudre que le bonhomme ait pu se fourrer dans le pif, il n’a pas été le seul à cette époque. Donc, Nick Kent, journaliste de rock au New Musical Express dès la fin des années soixante, auteur de l’excellent The dark Stuff et de centaines d’articles de fond, d’interviews et de critiques de disques, Nick Kent est une légende du rock ; pour ça mais aussi parce qu’il fut durant une période tout à fait éphémère membre des Sex Pistols, avant de se faire tabasser à coups de chaîne de moto quelques semaines plus tard par un Cid Vicious surexcité. Bienvenue dans le monde du punk rock.
Le bonhomme a donc un CV qui impose le respect et annonce la couleur. Et c’est sans doute là que se situe le premier écueil de ces mémoires, pour y adhérer il faut impérativement prendre en considération la subjectivité assumée des souvenirs et des jugements de valeur portés par Nick Kent, qui a des goûts bien arrêtés sur la question. Ainsi, porte-t-il au pinacle les Rolling Stones et en particulier Keith Richards, vénère par dessus tout les Stooges et respecte au plus haut point Led Zeppelin, mais malheur à tous ceux qui n’ont pas l’heur de satisfaire aux critères d’exigence du journaliste anglais, ils sont descendus en flamme sans autre forme de procès (au hasard Jethro Tull, Eagles ou bien encore Fleetwood Mac). Autant il est facile de comprendre ce qui cristallise la haine de Nick Kent à l’encontre du groupe Eagles (trop lisse et trop consensuel, pour ne pas dire commercial), autant l’on reste interdit en ce qui concerne Fleetwood mac (surtout qu’il s’agit là du Fleetwood mac de la première époque, mené par l’excellent guitariste Peter Green). Nick Kent est un personnage aux goûts affirmés, mais étonnamment éclectiques, capable d’apprécier la puissance bestiale d’un mur d’amplis poussés à fond comme les arrangements sophistiqués d’un Brian Eno ou d’un David Bowie. On se gardera bien de chercher une ligne directrice ou un point commun entre des artistes aux approches aussi variées et des goûts musicaux qui s’étendent du jazz (un peu) au punk rock (beaucoup). On ne pourra pas lui reprocher en revanche de ne pas avoir eu le nez creux au cours de ces décennies de pratique à côtoyer les plus grands, y compris lorsqu’ils se trouvaient au fond du trou. Toute la science de Nick Kent est d’avoir été présent au bon endroit et au bon moment, flairant les bons coups et les groupes au fort potentiel, les mettant en lumière alors même que personne ne croyait en eux. Assurément Nick Kent a été un journaliste musical de talent, foncièrement intègre dans son approche de la musique et doté d’une plume juste et acérée. Son rôle dans la montée en puissance du mouvement punk à la fin des années soixante-dix est incontestable, il a d’ailleurs été l’un des premiers européens à découvrir la scène de Detroit et à s’en enthousiasmer à tout bout de champ. Il est d’ailleurs l’un des rares à avoir cru au potentiel d’Iggy Pop, de ses débuts jusqu’à son ascension inespérée après des années de galère. Rien que pour cela on est en droit d’accorder du crédit à ses propos, aussi alambiqués soient-ils en maintes occasions (la mémoire est de toute façon une bien infidèle compagne).
En dépit de leurs limites, inhérentes à tout témoignage pourrait-on dire, les mémoires de Nick Kent n’ont rien de l’objet putassier que l’on aurait pu craindre, mais elle sont au contraire une mine de renseignements divers et variés sur les coulisses du rock et du monde de la musique dans les seventies. Mais si l’on adhère aux propos du journaliste et du professionnel (quoique, à force d’endosser le rôle du justicier sauveur du rock, moralisateur et pontifiant, le bonhomme finit parfois par agacer), on reste quelque peu circonspect en ce qui concerne le parcours personnel et intime de Nick Kent. Son goût pour l’alcool et la drogue, ainsi que son instabilité chronique, en font un personnage fatiguant à suivre au quotidien. Honnêtement, on se fout éperdument des abus auxquels il a pu s’adonner durant ces années sombres, qu’il ait sniffé des kilos de coke et se soit injecté des litres d’hero ne nous passionne pas plus que les frasques sans intérêt de pseudos stars totalement ravagées par le succès et les abus en tous genres. Une fois encore les années soixante dix se résument au sexe et à la drogue, comme si cette décennie n’avait été qu’une vaste orgie continue. On aurait aimé que tout ceci ne soit pas réduit à une équation aussi triste et lamentable, mais il faut croire que non si l’on s’en tient aux propos de Nick Kent. Finalement que nous reste-t-il pour nous consoler de tant de désespoir, eh bien tout simplement la musique produite durant cette décennie peut-être pas si sombre, une musique qui, elle, reste intemporelle et précieuse.
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