Couronné par le prix Pulitzer, La route
est le roman qui a permis au romancier américain Cormac McCarthy de
percer auprès du grand public, en particulier aux Etats-Unis où il s’est
écoulé à plus de 2,5 millions d’exemplaires (600 000 en France).
L’auteur s’était déjà largement frotté à la littérature de genre (le
western avec entre autre Méridien de sang, au polar psychologique avec No country for old men),
mais il est étonnant de constater que c’est un livre de science-fiction
foncièrement pessimiste (voire anxiogène) qui a fait exploser sa
notoriété, alors que le genre est en perte de vitesse depuis une bonne
vingtaine d’années, cannibalisé par la fantasy et la bit litt. On peut
s’en réjouir ou tout simplement déclarer qu’il s’agit d’un épiphénomène,
ce qui est certain c’est que de nombreux lecteurs ont plongé dans
l’univers de la SF postapocalyptique par son intermédiaire et il faut
avouer qu’il y a bien pire entrée en matière, même si le genre a été
fécond en oeuvres de qualité.
La route est
un roman fondamentalement minimaliste, aussi bien sur le plan
structurel que littéraire, les personnages se comptent sur les doigts
d’une main et le décor principal est une route qui traverse les
Etats-Unis du Nord au Sud, alors que le pays a été intégralement dévasté
par un cataclysme (probablement nucléaire). Du contexte antérieur,
McCarthy n’évoque rien ou presque et l’intérêt du roman réside de toute
façon ailleurs. Evidemment le lecteur de SF chevronné aura tôt fait de
se retrouver en territoire connu, Mad Max, Malévil, Niourk, Le facteur,
La fin du rêve ou bien encore La forêt d’Iscambe... les références
abondent sans pour autant que McCarthy inscrive directement ses pas dans
ceux de ses prédécesseurs, l’auteur américain trace son propre sillon,
apportant une nouvelle pierre à l’édifice de son oeuvre étonnante et
singulière. Dans ce désert de cendres, plombé en permanence par un ciel
sombre et menaçant d’où n’émerge jamais le soleil, deux ombres avancent
sur la route, un homme et son fils (dont on ne connaîtra jamais les
prénoms) poussant un caddie rempli d’objets ayant survécu au désastre et
nécessaires à leur survie ; des couvertures, un bidon d’essence, un
briquet, une bâche, quelques boites de conserve et un pistolet dont le
barillet ne contient que trois balles constituent l’essentiel de leurs
maigres possessions. Un trésor de guerre misérable qu’il leur faut
pourtant protéger à tout prix. Bien que les survivants soient très peu
nombreux, le danger guette à chaque instant et la perte de ces objets
mettrait leur existence déjà précaire en grand péril. Aussi fuient-ils
en permanence le moindre signe d’activité humaine et on les comprend au
regard du comportement bestial et inhumain de leurs congénères, dont une
majorité pratique la chasse à l’homme et le cannibalisme ; chaque
survivant est en réalité une réserve de nourriture potentielle, les
vestiges de la civilisation étant trop chiches pour nourrir cette
poignée de miséreux. L’homme et son fils font partie des rares
survivants à fouiller inlassablement les ruines qui émergent du chaos,
ils y dénichent tout juste de quoi survivre quelques jours de plus,
remettant à plus tard l’instant fatidique où leur corps refusera de les
porter plus loin. Parfois ils découvrent un véritable trésor, une maison
isolée et oubliée par les pillards, une cave dissimulée par les
décombres, mais il s’agit là de havres provisoires et la peur qui les
taraude sans cesse les pousse inlassablement à reprendre leur chemin
vers le sud. Le sud, ni un lieu ni une destination, une maigre étincelle
d’espoir à laquelle ils s’accrochent mais qui au fil de leur périple
devient chaque jour un peu moins tangible tant les paysages monotones de
décrépitude et de désolation s'enchaînent de jour en jour.
« Il n’y a pas de dieu et nous sommes ses prophètes. »
Stylistiquement aride, violent et sombre, voire désespéré, sur le fond, La route n’est
pas une simple métaphore de la fin d’un monde, c’est une démonstration
implacable de la fragilité de notre civilisation et de sa violence
intrinsèque, à peine contenue par des barrières sociales si fines
qu’elles ont tôt fait de voler en éclat. Que restera-t-il de notre monde
une fois que nos immenses cités seront mises à terre, que restera-t-il
de notre culture, de notre morale et de notre religion lorsque la terre
nourricière, devenue stérile, laissera ses enfants affamés et hébétés ?
Contrairement aux romans de ses prédécesseurs, McCarthy laisse
l’humanité littéralement exsangue, nul îlot de survivance, nulle zone
oubliée par le cataclysme, nulle société reconstruite sur les ruines de
la précédente, rien d’autre qu’une désolation de cendres et de gravats.
Comme s’il était le seul à avoir le courage d’imaginer la fin de
l’Histoire. Pourtant au milieu de cet enfer subsiste une once d’espoir,
un enfant encore habité par le bien (qui distingue encore le bien du mal
plus précisément), un être humain porteur du “feu” sacré, d’une
étincelle de solidarité, qu’il déploie même dans les plus grands moments
de désespoir, comme si McCarthy refusait finalement d’expédier
définitivement cette humanité dans les limbes du néant.
3 commentaires:
Je ne sais pas si mon moral miné par tant de mois avec si peu de soleil survivrait à ce genre de lecture... Pour ma part, j'ai entamé de puis un petit moment la lecture du premier tome de la série de l'histoire de France sous la direction de Joel Cornette. C'est un très beau livre, à jour de la bibliographie et de l'interprétation historique. Du bonheur. Et une sorte de fin du monde antique, mais nettement moins brutale, et qui annonce comme une renaissance médiévale.
Une bonne lecture pour l'été, sur la plage.
Arf, il m'attend sur une étagère depuis de loooongs mois. Il faudrait que je le lise tout de même!
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