Affiche du film de Bunuel, avec Jeanne Moreau |
Sorti des placards grâce à Ebooks libres et gratuits, voici Octave Mirbeau et sa plume acérée dans une critique décapante de la société de la fin du 19e siècle, vue par le petit bout de la lorgnette, mais au coeur des bonnes maisons.
Célestine est femme de chambre mutine et délurée. Elle vient prendre une place en province dans une maison austère tenue d'une main de fer et avec pingrerie par sa nouvelle maitresse. Elle s'ennuie des places parisiennes qu'elle a sottement délaissées les unes après les autres par espièglerie ou caprice, et se confie à son journal, sur le ton de la nostalgie grivoise.
Car il n'y a guère de place où Monsieur ne cherche pas à la trousser, et où la gourgandine ne joue pas de son charme ! Quand ce n'est pas Madame qui la pousse dans les bras d'un fils trop dissippé dans une vaine tentative de lui offrir à la maison ce qu'il va chercher chaque nuit dans des lieux mal famés...
Jeunes amoureux phtisiques, vieux fétichistes, bourgeois hypocrites, folles maitresses dépensières, radines invétérées, colonel sous la coupe de sa bonne, veuve impitoyable... La bourgeoisie en prend un vilain coup, sans détour et sans fioriture !
Mais n'allez pas croire que l'office soit plus vertueux. Il s'en faut de loin. Célestine n'est pas une oie blanche qu'on mène à l'abattoir, et ses collègues, hommes et femmes, savent tirer leur épingle du jeu, gratter sur l'argent des commissions, piquer dans les tiroirs, flâner dans les meilleures places, trousser encore et toujours la soubrette mignonne.
La grande différence toutefois, entre l'office et le salon, c'est la précarité de ces hommes et surtout de ces femmes qui vont de place en place au gré des aléas de la vie de leur maitres, doivent se soumettre à bien des caprices, pas seulement sexuels, doivent renoncer à leur propre vie pour rendre celle des autres plus agréable, parfois au détriment de leur santé et même de leur vie !
Il m'est revenu des échos de "la couleur des sentiments" dans ce vieux livre, et des nouvelles de Maupassant, un peu de "La règle du jeu" et de "Gosford Park". Toutes ces oeuvres racontent la même chose, le grand écart entre luxe et misère, les abus sexuels, les mesquineries des uns, la filouterie des autres, et surtout cette intimité dévoilée à de parfaits inconnus, que les employeurs refusent de considérer comme des égaux d'une quelconque manière. Autour de cela, pour que l'illusion tienne, des rituels, des convenances très précises sont à l'oeuvre. Dès que celles-ci sont seulement un peu chahutées, c'est la porte, irrémédiablement. Notre Célestine en fait les frais plus d'une fois, bien trop libre dans sa servitude.
Plutôt que de disséquer un cas, Octave Mirbeau, à travers les multiples expériences de Célestine, nous offre un panorama d'une bonne quantité de maisons bourgeoises et finit par un retournement de situation qui serait cocasse s'il n'était pas si cruel. Car quand la femme de chambre devient maitresse à son tour, pauvre bonne !
C'est un roman qui a dû apporter son lot de scandale, à appeler un chat un chat et à mettre ainsi la bourgeoisie sur la sellette. Aujourd'hui, dans un style simple et dépouillé, il nous apporte un témoignage sur la vie de l'époque, une étude sociale sanglante, sans temps mort, avec un humour noir absolument décapant.
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