"Il
paraît que Tokyo est la plus belle des villes moches du monde. Plus
qu'un guide, voici un livre d'aventures au cœur des quartiers de Tokyo.
Pendant ces six mois passés à tenter de comprendre un peu ce qui
m'entourait, je suis resté malgré tout un touriste. Avec cette
impression persistante d'essayer de rattraper tout ce que je ne sais pas
et cette manie de coller des étiquettes de fruits partout, parce que je
ne comprends pas ce qui est écrit dessus. A mon retour en France, on
m'a demandé si c'était bien, la Chine. Ce à quoi j'ai répondu que les
Japonais, en tout cas, y étaient très accueillants."
Florent Chavouet
Pour
la génération des trentenaires, dont je fais partie, le Japon est une
destination mythique, c’est le pays de l’animation à 12 images par
seconde, des mangas à rallonge, des samouraïs et des Ninjas, mais aussi
et surtout le Japon est le pays des jeux vidéo. Depuis quelques années,
la puissance culturelle du Japon est pourtant sur la pente descendante,
le secteur vidéoludique souffre de la concurrence des gros éditeurs
occidentaux, qui ont su aborder le virage de la HD avec nettement plus
de maîtrise technique, et il n’y a guère qu’en France que le secteur du
manga et de l’animation japonaise soit aussi florissant (en dehors des
frontière de l’archipel s’entend). Tout ceci fait écho aux difficultés
économiques du Japon, qui peine à se relever de la crise et subit de
plein fouet de dynamisme de la Chine et de la Corée du Sud. Il est
d’ailleurs tout à fait symptomatique de constater la percée fulgurante
de la pop coréenne depuis quelques années en France, le pays devient de
plus en plus attractif et attire des milliers de jeunes Français sur les
bancs des universités qui proposent des cours de coréen ; est-il utile
de spécifier qu’il s’agit dans une majorité de cas de futurs candidats à
l’expatriation au pays du matin calme, un phénomène qui n’est pas sans
rappeler l’attrait que le Japon exerçait (et exerce toujours dans une
certaine mesure) sur la jeunesse dans les années 80-90.
Difficile de déterminer si Florent Chavouet fait partie de ces japan
addicts qui durant une grande partie de leur adolescence rêvent de
fouler le sol sacré du Japon, collectionnant les mangas, les animés et
les JRPG avec la maniaquerie qui caractérise les otakus, tout juste
sait-on que le jeune homme accompagne sa petite amie durant six mois
pour les besoins d’un stage, sans qu’il s’étende outre-mesure sur ses
motivations. Peu importe finalement car le plaisir de la découverte et
l’émerveillement face à des objets insolites, pourtant fatalement banals
au Japon, demeurent intact à chaque page. Tokyo sanpo
se présente sous la forme d’un carnet de voyage graphique retraçant les
errances quotidiennes du jeune français dans les rues de la
tentaculaire capitale japonaise. Feuilleter l’ouvrage sans s’y plonger a
quelque chose de déstabilisant, Tokyo Sanpo
a l’air au premier abord anecdotique ; de jolis dessins, quelques
phrases sibyllines placées au petit bonheur la chance et puis la magie
opère, le lecteur entre dans l’univers de Florent Chavouet, en perçoit
la poésie et la subtilité. Il y a une finesse étonnante dans les
observations du dessinateurs, mais également dans ses petits
commentaires souvent très drôles, qui apportent de nombreux détails
caractéristiques de la culture et de la tradition japonaise, mélange de coutumes ancestrales et de modernité. Ce sens du détail,
cette capacité à saisir l’instant et à capter en quelques traits ce qui
caractérise l’esprit japonais est la principale force de cet étonnant
carnet de croquis, à tel point que l’on se demande s’il ne s’agit pas là
du meilleur livre jamais publié sur Tokyo. C’est une chose que
d’apprendre en quelques phrases sèches du Routard que les printemps y
sont pluvieux et les étés chauds et humides, c’en est une autre de
constater au travers de nombreux croquis que Florent Chavouet ne dessine
jamais le ciel lorsqu’il pleut (et ces dessins sont fort nombreux).
Même principe concernant le prix des fruits, très chers au Japon,
Florent Chavouet s’amuse à dessiner des étiquettes de pommes, de
bananes, de poires ou d’ananas, qu’il colle au fil des pages ; cela
pourrait relever du détail ou du running gag futile, mais l’impact du
procédé est là aussi très fort. le lecteur un peu subtil aura compris
qu’offrir une corbeille de fruits lorsqu’on est invité chez des Japonais
est probablement fort apprécié. Progressivement, une géographie de
Tokyo se dessine au fil des pérégrinations de l’auteur, là encore on
échappe à toute lourdeur didactique, la découverte des différents
quartiers de la ville se fait en douceur, Chavouet accentuant
subtilement ce qui caractérise chaque secteur de la capitale (le
quartier branché de Shibuya, le centre des affaires et ses gratte-ciel,
le très animé arrondissement de Shinjuku, Akihabara et ses otakus...),
tout en délaissant les zones qui ne l’intéressent pas, l’aspect
parcellaire de la visite étant une composante qu’il faut évidemment
rapidement intégrer, Chavouet ne prétendant aucunement à l’exhaustivité.
Ce qui peut étonner dans les croquis de l’auteur c’est l’aspect
composite de l’architecture et de l’urbanisme tokyoïte, les maisons ont
l’air d’êtres faites de bric et de broc et leur entretien laisse parfois
à désirer, les fils électriques et téléphoniques sont omniprésents dans
les rues, tout comme les enseignes lumineuses, néons et autres
pancartes publicitaires ; la ville donne globalement le sentiment
d’avoir poussé au petit bonheur la chance, sans véritable plan
d’urbanisme.
Evidemment, Tokyo Sanpo ne s’adresse pas exactement aux touristes qui souhaitent planifier leur prochain voyage au Japon, le livre est avant tout destiné aux amoureux de cet étonnant pays, à ceux qui rêvent de parcourir les rues animées de Tokyo, de traverser le fameux carrefour de Shibuya ou de traîner dans les boutiques d’électronique et de jeux vidéo d’Akihabara (quartier de l’auteur apprécie finalement assez peu), à ceux qui s’émerveillent de découvrir un temple traditionnel coincé entre deux building ou qui restent fascinés par des détails exotiques de la vie quotidienne des Japonais. Tokyo Sanpo s’adresse également à ceux qui connaissent bien le Japon, y ont vécu ou séjourné longtemps, nul doute que les dessins et les commentaires de l’auteur les ramèneront avec nostalgie au pays.
Allez, pour ceux qui hésitent encore, je vous invite à consulter l'excellent site web de Florent Chavouet, consacré en grande partie à Tokyo Sanpo et sur lequel vous pourrez trouver des dessins inédits et quelques photos qui complèteront ce magnifique voyage.
8 commentaires:
Ca donne envie... Ca me rappelle la scène centrale du dessin animé Gosth in the Shell, où le Major se promène dans Tokyo. 10 minutes de promenade au milieu d'un manga, sous le ciel gris, la saleté de certains recoins, les néons,les fils électriques, l'avion qui passe comme une ombre immense, le ciel gris, le soir qui tombe, la pluie... De la pure poésie avec juste le thème musical de Kenji Kawaï et ses voix aigrelettes. Une de mes scènes d'anthologie !
Tu m'as donné envie de revoir une énième fois Ghost in the Shell.
Voilà, après être retourné enfin au sommet de ma tour, je retrouve le nom : Nicolas de Crécy. Ta chronique m'a fait pensé au Carnet de voyage de Crécy seul à Kyoto.
Ici pour découvrir :
http://www.dailymotion.com/video/xs06e9_carnets-de-voyage-nicolas-de-crecy-seul-a-kyoto_creation
Merci pour la référence et pour le lien, j'aime bien. Sinon je lis en ce moment Chronique japonaise de Nicolas Bouvier et les similitudes sont également assez intéressantes, même si le parcours de Bouvier est différent et bien plus ancien.
Merci à vous ! Merci car cette année j'ai fait quelques-uns de mes cadeaux de Noël avec votre blog (Linux c'est gratuit mais...). Merci surtout car ce Tokyo sanpo est excellent.
Les dessins sont vraiment extra. Sens du détail dont du parles, assez fascinant d'ailleurs sur le plan architectural (quel dommage que le livre acheté n'ait pas comporté ce magnifique plan de la ville en poster !). Et les personnages sont caricaturés de façon amusante ou attachante.
Avoir mis les pieds à Tokyo et y retrouver les paysages traversés dans ce livre est un régal (même si l'on aurait préféré tel développement sur tel quartier ou tel autre bâtiment croqué). Car par les paysages, les architectures, l'un et l'autre très variés, il retranscrit parfaitement cette atmosphère si particulière de la plus grosse ville du monde.
Bon ben ça me fait plaisir. T'as du bol en plus, il te reste Manabe Shima à lire.
Du même auteur donc ?
Tout à fait, même auteur, même principe. La chronique est une page plus loin.
http://bloggerinfabula.blogspot.fr/2013/05/balade-japonaise-part-ii-manabe-shima.html
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