Tombée
quelque peu en désuétude au cours des années soixante dix, après avoir eu ses heures de gloire durant l’âge d’or, la hard science connaît un
certain renouveau, grâce à des auteurs comme Greg Egan, Greg
Bear ou désormais Stephen Baxter. L’écrivain anglais est devenu un poids
lourd dans le domaine de la science-fiction, mais au début de sa
carrière il s’est surtout distingué pour plusieurs romans revisitant
l’épopée spatiale humaine, au premier rang desquels l’excellent Titan fait figure de coup de maître. Dans Voyage,
ce n’est plus le satellite de Saturne que la Nasa tente d’atteindre,
mais cette bonne vieille planète Mars qui stimule depuis que l’homme a
inventé la lunette astronomique l’imaginaire collectif. Que pourrait-on
écrire de bien neuf sur le sujet depuis la publication par Kim Stanley
Robinson de son imposante trilogie martienne ? Baxter a sa petite idée
sur la question et plutôt qu’écrire une nouvelle saga de terraformation
martienne, il imagine une mission d’exploration plus réaliste dans la
droite lignée du programme Apollo, moyennant quelques torsions de
l’histoire du plus bel effet ; une uchronie un peu light intégralement
centrée autour du programme spatial américain et de ses implications
politiques et économiques. Un angle d’attaque plutôt bien vu et qui ne
manque pas d’originalité.
Afin
de justifier la plausibilité de son récit, qui se déroule dans la
continuité du programme Apollo sur une vingtaine d’années, Stephen
Baxter a habilement modifié quelques éléments de l’histoire américaine ;
ainsi Kennedy n’a pas péri dans l’accident de Dallas et continue, y
compris après avoir cédé la place à Nixon, à pousser de l’avant le
programme spatial américain. Mais la guerre du Vietnam oblige pourtant
la nation à revoir ses priorités budgétaires et si la Nasa souhaite
lancer un programme martien, elle est vivement incitée à abandonner
certains projets couteux. Les sondes Vikings sont annulées et le projet
de navette spatiale ne verra finalement jamais le jour. Mais en
contrepartie, les chercheurs américains obtiennent les fonds nécessaires
pour financer le développement d’un moteur de
fusée à propulsion nucléaire. Ce sera la clé de voûte de la mission
Arès. C’est la préparation et la réalisation de cette mission unique
d’exploration de Mars que le lecteur est amené à découvrir au plus près,
puisque l’auteur décrit avec un luxe de détails l’envers du décor, des
tractations politiques jusqu’à la conception du module d’exploration
martienne, en passant par l'entraînement des astronautes ou les déboires
du développement du moteur nucléaire. A cet effet, Baxter multiplie les
personnages et les facettes du programme développé par la Nasa durant
quinze ans, tout en alternant deux lignes narratives différentes ; la
première suit de manière chronologique le développement du programme
Ares (recrutement des astronautes, formation, choix technologiques....)
alors que la seconde est centrée sur le déroulement proprement dit du
voyage vers Mars. Cette alternance est plutôt bien vue et contribue à
dynamiser le récit, tout en préservant un certain suspens.
Mais Baxter n’est pas un auteur de hard science pour rien et son roman
est truffé de détails sur les technologies employées, toutes issues de
projets et de profils de missions développés dans les années
soixante-dix. Rien qui ne soit parfaitement renseigné et documenté,
Baxter ne fait que pousser jusqu’à son terme certaines idées développées
par la Nasa avant qu’elles ne soient abandonnées pour la plupart, faute
de financement et de volonté politique. Il s’en explique d’ailleurs
très bien dans une postface tout à fait remarquable, qui fait le point
sur les différents projets développés par la Nasa à la suite du
programme Apollo. Au point que si l’on fait abstractions des éléments
uchroniques et de certains personnages purement inventés pour les
besoins du récit, Voyage fait
figure de fiction-documentaire de premier choix. A condition évidemment
d’être passionné par la conquête spatiale, parce que sur le plan
purement formel, Voyage n’est
pas nécessairement le roman le plus abouti de l’auteur et ses
personnages auraient peut-être mérité un peu plus d’attention. Mais
c’est bien là le seul reproche que l’on peut formuler à l’encontre de
cette formidable aventure humaine.
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