A titre personnel, j’avoue qu’en dépit d’efforts ponctuels mais néanmoins sincères, mes incursions dans le manga sont de plus en plus rares. La faute sans doute à la surproduction qui sévit dans la BD japonaise et qui ne laisse aucune chance au néophyte. Reste qu’au détour de mes déambulations livresques, il m’arrive encore de découvrir quelques titres absolument merveilleux (Quartier lointain, Planètes, Pluto, Monster ou bien encore Gen d’Hiroshima), qui me réconcilient indiscutablement avec le genre.
Ikigami n’est pas une nouveauté puisque la traduction française du premier tome date de 2009, entre-temps, le manga a raflé quelques récompenses franchement méritées dont le Grand Prix de l’Imaginaire 2010 et le prix spécial BD des Utopiales 2009. Le pitch est à lui seul une véritable promesse pour tout fan de science-fiction qui se respecte. Dans un Japon purement imaginaire, la société entend assurer la prospérité et inculquer à chacun la véritable valeur de la vie. Ainsi, chaque individu reçoit dès son entrée à l'école un vaccin. Une dose sur mille contient une micro-capsule mortelle, qui sera injectée de manière arbitraire à des enfants. Cette micro-capsule indétectable se déclenchera selon sa programmation entre l'âge de 18 et 24 ans, foudroyant immédiatement son porteur. Ainsi, lorsqu'un citoyen reçoit l'Ikigami, c'est qu'il ne lui reste plus que 24 heures avant de mourir, pour la plus grande gloire de la nation et de sa famille. Chaque tome de la série comporte deux histoires, soit à chaque fois deux personnes recevant l’Ikigami et dont on suivra par conséquent la dernière journée d’existence. L’un des rares personnages récurents est Kengo Fujimoto un jeune fonctionnaire du service municipal gérant et délivrant l’Ikigami, qui prendra au fil du texte de l’épaisseur et de l’importance. Dans les deux premiers tomes de la série, nous découvrons donc un jeune homme victime de harcèlement à l’école qui en profite pour régler ses comptes avec ses anciens tortionnaires (une plongée glaçante dans la tête d’un parfait psychopathe), l’amitié brisée de deux amis chanteurs/guitaristes qui espèrent percer dans le petit monde sans pitié de la musique, l’ascension difficile d’un apprenti réalisateur accro à la dope au sein d’une société de production, ainsi que l’histoire d’un jeune homme réfractaire à l’école, qui révélera des trésors de patience et de psychologie auprès de personnes âgées.
Sur le plan strictement graphique, Ikigami n’est pas une série qui se démarque particulièrement de la production standard en matière de manga, tout au plus pourra-t-on noter que le trait est très fin et un peu moins sujet à l’occidentalisation que la moyenne. On pourrait également souligner le soin qu’apporte Motoro Mase aux jeux d’ombres et de lumière, utilisant une palette assez large de niveaux de gris. C’est bien ailleurs qu’il faut chercher l’originalité d’Ikigami, notamment dans cette capacité assez rare, que l’on retrouve chez Jiro Taniguchi, de capter les émotions des personnages de manière très intense. Ikigami est indiscutablement un manga touchant, très psychologique et d’une grande profondeur thématique. L’originalité de la série tient également au fait qu’elle suit deux lignes narratives différentes. La première se situe sur le plan sociétal et politique, c’est une réflexion sur l’avenir de la société dans la plus pure tradition de la speculative fiction. La seconde est plus intimiste et s’attarde sur le destin de ces quelques personnages choisis arbitrairement pour mourir, sur leurs réactions mais également celles de leur entourage. Révolte, résignation, indignation, pétage de plombs, soumission, incrédulité, résistance... autant d’attitudes que de personnages, qui font que pour le moment la série évite l’écueil de la répétition à outrance. Reste à savoir si sur la longueur (la série compte pour le moment une dizaine de tomes), l’auteur saura suffisamment se renouveler pour le pas lasser.
4 commentaires:
"...Planètes, Pluto, Monster ou bien encore Gen d’Hiroshima ..."
Dans ma liste d'achat donc !
SV
Trouvé à la médiathèque de Saint Jean de Braye, mon nouvel antre des merveilles, qui possède une salle entière de BD et un beau rayonnage de mangas. J'aime bien les portraits, et aussi la réflexion sous-jacente. A mettre en parallèle avec la sortie du film sur Annah Arendt et sa thèse sur la banalité du mal ?
Pour ma part j'en suis au tome 7 et je commence à caler. Le concept tourne un peu en rond a bout d'un moment, mais les cinq premiers tomes sont vraiment chouettes. Et au collège ça cartonne, j'ai rarement vu ça.
tiens, je n'aurai pas osé sur le coup. Mais pourquoi pas ?
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