Charles Darwin au Natural History Museum de Londres |
Au fil des six cents pages (dans l'édition électronique de l'Université du Québec à Chicoutimi, qui reprend le texte de la traduction française de 1921), Charles Darwin expose en termes simples mais rigoureux la somme de ses lectures, de ses innombrables expériences, de ses observations pour étayer solidement les deux axes de sa théorie, à savoir que les espèces évoluent, et qu'elles évoluent au moyen de la sélection naturelle, celle de la lutte pour l'existence et la reproduction.
Le livre a certainement vieilli sur le plan des connaissances scientifiques, mais pour son époque il devait représenter une synthèse exceptionnelle. Car son auteur nous plonge au cœur de tout le savoir de son époque. J'ai été frappée à la fois par l'étendue de ses références (il cite et est en relation avec un nombre impressionnant de savants de son époque), et par la diversité de ses observations, personnelles ou celles des autres. Il disserte aussi bien sur le pigeon voyageur, en allant chercher ses exemples en Inde et aux Amériques, que sur le fameux iguane des îles Galapagos, qu'il a visité durant sa jeunesse lors de son célèbre voyage sur le Beagle, ou encore sur les diverses espèces de fournis du monde, sans oublier les plantes, les graines. Son champ géographique est immense, à l'échelle de la planète.
L'origine des espèces fait la part belle à la géologie, alors naissante, et au problème du temps, crucial dans la théorie de Darwin. Ce dernier allonge considérablement le temps, passant de l'ordre des milliers à celui des millions d'années, tout en étant encore bien loin du compte.
C'est enfin un livre de combat, qui cherche à poser toutes les questions, et à apporter, sinon des réponses, du moins des hypothèses vraisemblables, et scientifiques. Pas une seule fois dans le livre Darwin ne fait appel à Dieu pour expliquer le moindre phénomène, même quand il bute sur un écueil. Et c'est peut-être en cela que ce livre est révolutionnaire : il ne fait jamais appel à une quelconque force supérieure pour expliquer une théorie, qui pourtant ne pouvait trouver son aboutissement en l'état de la science d'alors. Il avance prudemment, étaye chacun de ses propos, même les plus hardis, avec des observations, des expériences. Il est un modèle de démarche scientifique et dans une certaine manière une ode à la pluridisciplinarité, si étrange dans notre monde d'hyperspécialisation.
On connaît la postérité extraordinaire de cette théorie de l'évolution (que Darwin ne nomme jamais ainsi), mais aussi l'hostilité qu'elle rencontre encore aujourd'hui. Des centaines de scientifiques ont affiné nos connaissances sur l'évolution des espèces, aidés en cela par l'émergence de la génétique, les découvertes importantes en géologie et dans toutes les sciences naturelles, botanique et zoologie en premier lieu. Mais les esprits bornés par une lecture littérale des textes sacrés (bibliques ou islamiques) et par une foi aveugle et bien-pensante continuent à faire des ravages. Fanatisme ou paresse intellectuelle ? Un peu des deux, probablement. Il est si facile de s'en remettre à Dieu plutôt que de chercher, encore et toujours, à comprendre ce qui se passe autour de nous...
La postérité de Darwin n'est pas toutefois celle d'une science pure et humaniste : sa théorie permit également l'émergence de l'eugénisme, de triste mémoire, et des théories sociales ou raciales hiérarchisant les êtres humains. La hierarchie des races n'est pourtant pas une donnée essentielle de la théorie de Darwin (sans être totalement absente). Les extrémités où l'ont amené certains lecteurs de Darwin est un dévoiement pur et simple, car ce dernier s'efforce au fil des pages de montrer que l'hérédité se conjuge inlassablement avec les conditions du milieu pour faire évoluer les espèces.
Louons donc Charles Darwin et son insastiable curiosité, qui lui fit écrire ce grand ouvrage. C'est un des piliers de la biologie moderne, un remarquable travail de naturaliste passionné et un exemple de vulgarisation scientifique aboutie. Rien que cela justifie le triomphe qu'il connut à sa parution, et le fait de le lire encore aujourd'hui.
3 commentaires:
Ah ouais, carrément, tu nous fais un petit Everest littéraire.
Everest, c'est le mot : ça fait trois ans que je l'ai commencé ! Les lectures courtes (moins de cinquante pages), c'est bien sur ordinateur, mais les pavés, c'est raide... Le confort s'est nettement amélioré depuis que j'ai mon grand écran et mon grand fauteuil, en attendant une liseuse bon marché. Je n'ai pas beaucoup parlé du style, car bien entendu, vu mon niveau d'anglais, je l'ai lu en traduction, mais c'est un grand ouvrage de vulgarisation, simple à lire, mais impeccable dans ses démonstrations. Il y a toutefois des moments où, quand on n'est pas une passionnée des pigeons, on s'ennuie un peu...
On m'a offert une liseuse pour Noël, j'attends encore un peu avant d'en faire un billet sur ce blog. J'avoue qu'après m'être légèrement énervé en raison de DRM un peu trop intrusifs et du service pas toujours très au point de Fnac.com, je commence à être franchement convaincu par la bête. D'ailleurs, en utilisation nomade, je crois qu'il n'y a pas mieux. Je lis à la pause de midi au boulot, en bagnole quand j'ai un copilote, quand j'ai un peu de temps à poireauter chez le dentiste, médecin, coiffeur (rayer la mention inutile). Bref, c'est léger, confortable, l'autonomie est impressionnante et on peut emmener des milliers de livres avec soi ; le rêve de tout lecteur monomaniaque qui se respecte en somme.
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