Une fois n'est pas coutume, voici un petit compte-rendu de concert. Rien à voir avec la littérature, mais c'est pas grave, c'est mon blog, je fais ce que je veux.
Peut-être serait-il utile de préciser que cette soirée commença sous les meilleures auspices, et ce, dès notre arrivée à Biarritz (après deux petites heures de route, "All Original" de John Primer à fond dans la bagnole). Hop, zéro souci pour se garer, nous sortons de la voiture et tombons quelques centaines de mètres plus loin sur le staff quasiment complet du Chicago blues Living History : Lurrie Bell, John Primer, Billy Boyd Arnold et leurs sidemen sont sur le point d'entrer dans le restaurant qui fait face à la salle de concert. Ni une ni deux, nous interpelons Lurrie Bell que mon pote a déjà rencontré dans un club de blues de Mexico. Coup de bol, Lurrie Bell se souvient de lui. Après force poignées de mains et rires bien sonores (quelle voix), Lurrie nous propose de manger avec eux. Le restau est quasiment complet mais les serveurs nous font une petite place en approchant une table, je suis coincé entre le mur et Billy Boy Arnold, le bassiste Felton Crews est en face et j'ai juste à tendre la main pour serrer la pogne de John Primer (pincez-moi je rêve ! Nom de Dieu, je bouffe avec des légendes vivantes du blues !).
Les musiciens engagent la conversation avec nous de manière très amicale, les présentations étant faites officiellement ils commencent à blaguer sur la bouffe du restaurant (la carte leur paraît pour le moins obscure) et nous leur expliquons dans un anglais approximatif les subtilités de la gastronomie locale. Billy Boy est très silencieux, visiblement fatigué (ou concentré), il ferme les yeux et prend un peu de repos en attendant que sa salade et son orangina (Billy avait commandé un Fanta, mais le serveur désappointé n'en a pas) arrivent, je n'ose pas le déranger ; de toute façon je suis un peu intimidé et mon anglais devient très confus. Je me contente d'écouter. Bonne grosse poilade lorsque les plats arrivent, Felton Crews et John Primer ont commandé une Burger salade et voient arriver une salade de chèvre chaud, sympathique mais assez éloignée de ce qu'ils avaient imaginé. Le reste du repas se déroule dans un bouhaha indescriptible, les grosses voix de bluesman c'est pas ce qu'il y a de plus discret et le rire de Lurrie Bell est assez indescriptible, John Primer est également doté d'un sacré sens de l'humour et d'une patate d'enfer. Il est vraiment très sympa et très abordable. Tous semblent avoir un immense respect pour Billy Boy Arnold et se montrent très prévenant avec la légende du blues. Certains seront sans doute déçus d'apprendre que ces messieurs de Chicago tournent au coca, seul Felton Crews ose un petit blanc sec pour accompagner sa salade. Tout cela paraît bien raisonnable.
8h15, nous devons quitter la table pour aller prendre possession de nos places, j'en profite juste pour me faire dédicacer "All Original" par John Primer, il parait tout étonné et me demande si le disque est commercialisé en France et si on le trouve chez les disquaires de quartier. Je lui explique que j'ai été obligé de l'acheter sur le Net. Mon stylo marche mal et John est obligé de s'y reprendre à deux reprises, mais j'ai mon autographe. J'ai apporté ma sangle de guitare, mais n'ayant pas de marqueur je décide de laisser tomber, peut-être que lors de la séance de dédicaces je mettrai la main sur un stylo de meilleure qualité.
8h25, nous entrons dans la salle, loin d'être comble. C'est très confortable, mais l'atmosphère ne nous parait pas très propice au blues, c'est trop clean, trop feutré, on a l'impression d'être au théâtre. La moyenne d'âge est assez élevée pour un concert et frôle la soixantaine. Il y a tout de même quelques trentenaires disséminés dans la salle. C'est très BCBG. Heureusement qu'il y a des bêtes de scène pour réveiller ce petit club du troisième âge un peu collé-monté.Mathew Skoller déboule sur la scène à 8h30 pétantes sous des applaudissements assez timides. Il présente le show en français, de manière très pro et très pédagogique et introduit les musiciens du groupe. Billy Boy Arnold fait son entrée sur la scène, là aussi les applaudissements sont discrets, j'ai l'impression d'être le seul à m'exciter sur mon siège. Je suis déjà debout à applaudir, les gens doivent me prendre pour un fêlé.
Billy semble avoir retrouvé un peu d'énergie, mais le poids des années est bien là, son jeu à l'harmonica est assez doux, très classe et sa voix a gardé toute sa jeunesse et son timbre, j'ai l'impression de remonter le temps. Après trois titres, il cède la place à John Primer, qui se charge de réveiller la salle.Quel showman, quelle énergie et surtout quel jeu de guitare, à la fois puissant et subtil. Il est en parfaite harmonie avec ses musiciens et sait habilement s'effacer pour laisser la place à Mathew Skoller (harmo) ou Johnn Iguana (piano/orgue). Et en plus il a l'air de s'amuser comme un fou, bouge dans tous les sens et fait même le pitre, mais sans jamais tomber dans le démonstratif inutile. Un musicien assurément très communicatif et que l'on pourrait écouter pendant trois heures sans se lasser. Hélas, au bout de trois morceaux, il quitte la scène au profit de Billy Branch, impeccable et tout aussi énergique. Son jeu à l'harmo est puissant et énergique, le bonhomme est en forme. C'est au tour de Carlos Johnson d'entrer en scène. Il a pris pas mal de kilos ces dernières années et semble souffrir de la hanche, d'ailleurs un tabouret est prévu pour lui sur la scène. Carlos lance quelques blagues avant de jouer, ça fonctionne bien, le public est déjà conquis par son charme, mais il n'a encore rien vu car Johnson a encore du feu entre les mains. Pourtant son premier titre est un blues très lent, très doux (micros quasiment au minimum), cristallin, il faut tendre l'oreille tellement le volume de la musique est bas (le groupe assure derrière). Ses doigts semblent effleurer les cordes de la guitare, il caresse son instrument avec un touché extraordinaire dans un jeu proche de BB King. Et puis progressivement la sauce monte (le volume des micros également) dans un déferlement de notes assénées avec une puissance et un doigté extraordinaires. Quelle dynamique, quelle maestria, quelle retenue, quelle puissance, quelle variété dans les solos ! Rien à dire, Carlos Johnson est un maître, hélas quasiment inconnu par chez nous. On voudrait que ça dure encore et encore, mais il faut laisser la place à Lurrie Bell.
Dur de passer après Johnson, d'autant plus que le son de son instrument parait un peu brouillon, les notes graves entrent en résonance avec la batterie et son micro est placé trop haut (Lurrie a les paroles accrochées sous son micro et baisse donc le menton quand il chante un modeste Dust My Broom), l'harmoniciste est obligé par conséquent de lui baisser son pied de micro à la fin du premier titre ; les deux morceaux suivants sont plus convaincants et la voix de Lurrie semble se libérer, son jeu de guitare également prend de l'ampleur, mais le son est hélas relativement médiocre. Mais le bonhomme fait son boulot et, sans montrer toute l'étendue de son talent, laisse apercevoir le bluesman qu'il a pu être.
Fin du concert après un dernier rappel, avec tout le band sur la scène. Quatre guitaristes, trois harmonicistes plus le bassiste, le batteur (extraordinaire) et le clavier, ça fait du monde et l'ensemble parait un peu brouillon, mais c'est sympa, et au bout d'une minute et des poussières la dynamique se met en place. John Primer est toujours aussi bien placé et ses interventions sont d'une pertinence tout à fait à propos, Carlos Johnson sort évidemment son épingle du jeu, le reste est pas mal non plus et le groupe fait les honneurs à Billy Boy Arnold. Magistral !
Après un tonnerre d'applaudissements, le groupe commence à ranger le matos et nous attendons que le public ait quitté la salle pour aller les remercier, c'est l'occasion de serrer les pognes de Billy Branch et Carlos Johnson, que nous n'avions pas vus au repas. Billy et Carlos se souviennent également de mon pote JD et de leur prestation de Mexico, ils blaguent en souvenir du bon vieux temps, demandent des nouvelles de quelques connaissances et nous proposent de les accompagner à la séance de dédicace. Il y a une vingtaine de personnes qui attendent les autographes de Billy Boy Arnold, Carlos Johnson et Billy Branch (John Primer et Lurrie Bell se sont déjà éclipsés). Nous attendons à nouveau la fin de la séance pour faire signer nos CD et prendre quelques photos en leur compagnie, j'en profite pour faire dédicacer ma sangle de guitare, c'est la classe... je crois que je vais faire quelques jaloux à la prochaine répète.
Les musiciens semblent fatigués et demain matin ils prennent l'avion assez tôt pour Paris, Billy Branch décline notre offre d'aller boire un canon dans un bar du coin. Tant pis, après quelques poignées de mains et une invitation de Carlos à venir faire un tour à Chicago pour taper le boeuf, nous les quittons déjà bien contents d'avoir pu les côtoyer aussi longtemps. Nous décidons tout de même d'aller boire un coup avant de reprendre la route (sans alcool pour moi, hélas, puisque je conduis). Quelques minutes plus tard, Billy Boy Arnold nous salue amicalement alors que nous sommes en terrasse, puis s'enfonce dans la nuit pour regagner son hôtel, silhouette élégante et frêle éclairée fugitivement par les néons des bars et les phares des voitures. Deux minutes plus tard, c'est Carlos Johnson et Billy Branch (accompagné visiblement de sa femme) qui descendent la rue. Billy nous salue, mais Carlos traverse carrément la rue et lance à la cantonade qu'il a une petite soif. Finalement nous nous retrouvons tous ensemble dans la brasserie, pour une petite discussion d'un peu plus d'une heure sur des sujets assez variés (comme on doute de rien, nous faisons écouter notre reprise de "That Same thing" à Billy et Carlos, qui semblent surtout apprécier la plastique de notre ancienne chanteuse). Carlos me demande quelles sont les mes préférences en matière de blues et mes influences, je lui montre la playlist de mon téléphone et Billy et lui commentent gentiment mes goûts (oh, tiens, j'ai enregistré un disque avec Junior Wells ; ah ouais, avec Kenny Neal aussi, il est sympa Kenny). Soudain, Carlos bloque sur Magic Slim et me demande de lui faire écouter son dernier album, la sortie HP du téléphone étant minable, Billy sort deux mini enceintes de son sac et nous discutons tout en écoutant "Raising the bar" pendant que Carlos bouge au rythme du shuffle en sirotant une vodka tonic. Billy s'engage soudain dans une discussion plus sérieuse sur la politique et le racisme, nous pose des questions sur la situation en France et sur la manière dont nous percevons Obama. On en vient même à parler philosophie. Incroyable.
Vers une heure du matin, je donne le signal du départ car je commence à fatiguer et j'ai deux bonnes heures de route devant moi. Après de longues et chaleureuses poignées de mains, quelques mots sympas et une nouvelle invitation à Chicago, nous les quittons avec regret. Carlos nous donne même l'accolade. J'ai l'impression de rêver. Je veux que tous les concerts se déroulent de cette manière.
Et hop, la cerise sur le gateau !
2 commentaires:
Arf, mon gnome papeteri est passé du côté musical de la Force ! Pas trop dur, le retour sur terre, les petits affreux du collège, le lundi matin ?...
Le principe de réalité fait mal effectivement, surtout à 8h du mat.
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