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jeudi 12 janvier 2012

Roman narcissique : Lunar Park de Bret Easton Ellis

Sixième roman de l’Américain Bret Easton Ellis, Lunar Park est un livre étrange, qui mêle fiction et éléments biographiques avec une réussite qui ne cesse de troubler le lecteur. L’auteur joue sans cesse sur la perception de la réalité, glissant de la fiction au réel avec une aisance surprenante et entremêlant en outre son récit d’éléments purement fantastiques ; ce n’est pas tout à fait nouveau chez Ellis, qui dans American Psycho avait habilement et discrètement suggéré l’idée que son héros était victime d’hallucinations, mais cette fois on nage en plein délire, sans jamais vraiment savoir si Ellis joue délibérément la carte fantastique ou bien si son héros est simplement victime d’effets psychotropes liés à l’usage de drogues. Le roman démarre donc sur un faux rythme, une sorte d’avant-propos qui induit le lecteur en erreur et lui fait croire qu’Ellis est parti pour évoquer ses déboires d’auteur à succès, suite à la polémique gigantesque qui suivit la publication d’American Psycho. Alcool, drogues, surmenage, argent facile et crise d’identité, Ellis semble parti pour nous pondre un joli roman d’autofiction autour de sa relation de couple ratée avec l’actrice à succès Jayne Dennis, avec laquelle il eut un enfant. Sauf que Jayne Dennis n’a jamais existé et que Bret Easton Ellis n’a jamais été marié. Tout était donc faux ? Hélas, les choses ne sont pas aussi simples.

Reprenons, Bret Easton Ellis est un auteur américain célèbre et riche, qui a du mal à gérer son succès. Il tombe dans le piège du starsystème, de l’argent facile et de la cocaïne, fout en l’air sa relation avec l’actrice Jayne Dennis, qui donne par la suite naissance à un garçon dont il refuse de reconnaître la paternité. Après quelques années d’errance et de surmenage, Ellis renoue avec Jayne, qui entre temps a donné naissance à un autre enfant (une petite fille dont Ellis n’est pas le père). Ils emménagent ensemble dans une villa cossue d’une riche banlieue new yorkaise et décident de fonder une vraie famille, sur de nouvelles bases. Durant les premiers mois, Bret tient le coup, il lâche la dope, cesse de boire, accepte un boulot d’enseignant à l’université et fait mine de prendre goût à la vie de famille. Mais imperceptiblement les choses se dégradent, la relation qu’il doit construire avec son fils reste au point mort (un adolescent amorphe, bourré de pilules magiques censées réguler humeur et autres troubles du comportement), son couple ne fonctionne pas et Bret est sujet à des hallucinations étranges, comme si le fantôme de son père venait le hanter. Et puis il y a ces affaires de disparition d’adolescents. Des garçons issus de riches familles, qui disparaissent régulièrement sans que jamais les corps ne soient retrouvés. A la maison tout part en vrille, Bret ne contrôle plus rien et sombre à nouveau dans la drogue et l’alcool. Hier à l’occasion d’une fête il a cru apercevoir Patrick Bateman, le personnage central d’American Psycho.

Roman de la maturité ou de la crise de la quarantaine, Lunar Park fait d’une certaine manière figure de chant du cygne pour la génération X, qui cède le pas à une génération Y toujours aussi paumée et en mal de repères, mais qui souffre désormais en réseau. On y assiste stupéfait à la décomposition de la famille américaine : spirale infernale de la consommation pour pallier un déficit relationnel chronique, renfermement des adolescents dans un mutisme générationnel, négation de l’enfance (dans le sens où les enfants sont considérés comme des adultes en miniature), solitude de chaque individu isolé dans sa propre bulle (psychologique et médicamenteuse). Une angoisse sourde et diffuse traverse intégralement le roman, une angoisse parentale à laquelle celle des enfants fait écho et que l’on traite à coup de ritaline et d’anxiolytique.

Mais Lunar Park est aussi une habile variation sur le thème de l’écrivain en crise et une véritable catharsis pour Bret Easton Ellis, dont les angoisses transparaissent à travers la figure du père, qui hantait en grande partie ses romans précédents, notamment American Psycho (dans le roman Ellis avoue que c’est son propre père qui lui a inspiré le personnage de Patrick Bateman) et Moins que zéro. Reste que si sur le fond le roman est plutôt riche, sur la forme on reste un peu plus circonspect, le style est minimaliste, voire inexistant et si la construction est efficace, sa répétitivité finit quelque peu par lasser sur la fin. Au bout de 450 pages, on est bien content de voir arriver le dénouement.

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