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samedi 16 avril 2011

Polar desespéré : Drive, de James Sallis

Il parle peu, frappe sec, conduit comme peu de gens savent le faire et ne se mêle jamais des affaires d’autrui. De lui nous ne saurons rien, ou si peu, sinon qu’il fut placé dans une famille d’accueil après que sa mère ait assassiné son père ; de toute façon, la pauvre femme était folle. Très tôt il montra des aptitudes étonnantes derrière un volant, si bien qu’il en fit rapidement son gagne-pain ; cascadeur sur les plateaux hollywoodiens le jour, chauffeur pour quelque casse bien juteux en ville la nuit ou les jours chômés. Il a peu d’amis, ne fréquente pas les femmes et de ses pensées secrètes ou de ses motivations nous ne connaîtrons rien. Le chauffeur ne bosse même pas pour l’argent, change sans cesse de domicile, comme s’il était incapable de s’attacher à quoi que ce soit de matériel. Il aime les bagnoles, mais elles sont avant tout un instrument de travail. Elles doivent être efficaces, précises, puissantes et fiables, la beauté de leur carrosserie importe peu. Le chauffeur est un professionnel et ne laisse rien au hasard ; il conduit, mène sa mission à bien, empoche sa part du butin et s’en retourne vers d’autres horizons. Du reste, il ne veut rien savoir. Jusqu’au jour où l’un de ses commanditaires tente de le doubler. Mauvaise idée, le chauffeur se transforme désormais en tueur, tout aussi efficace, tout aussi froid... impitoyable.

En moins de deux cents pages d’une écriture aride et sans fioriture, James Sallis nous offre un roman d’une rare intensité. Un exercice de style voire une leçon de maître dont devraient s’inspirer bon nombre de tâcherons à la plume paresseuse et à l’ambition démesurée. Violent, sombre, voire désespéré, Drive est par essence un roman behavioriste qui s’affranchit de toute psychologie inutile. L’homme se définit par ses actes et ses actes parlent pour lui. Sallis a soigné son style, dépouillé à l’extrême, maîtrise l’art de l'ellipse avec brio, au risque parfois de perdre le lecteur, et construit un roman complexe dans sa structure narrative mais pourtant limpide pour le lecteur. De l’Amérique le chauffeur n’attend rien, il prend et trace sa route, sans se retourner, sans prendre en considération les dommage collatéraux. Un individualiste qui erre sans but dans l’immensité des suburbs californiennes. Une vision certes parcellaire des Etats-Unis, mais dont le lecteur sort abasourdi, littéralement KO.

2 commentaires:

Soleil vert a dit…

Revu le film, inspiré dit-on de Bullit, avec un héros monolithique dont l'économie de geste rappelle le lointain Samourai de Melville. Bref c'est superbe.

Emmanuel a dit…

Je suis également assez fan du film, même si l'on perd quelque chose du roman en route. La réalisation est splendide.