Revenons donc à la littérature levantine, dont la tradition plonge ses racines dans le très riche héritage des contes arabo-musulmans, une forme finalement pas très éloignée de la nouvelle. A cet héritage vient se greffer le regard singulier d’une écrivaine, d’une femme plus précisément, pour qui aucun sujet n’est réellement tabou. Pour la petite histoire, Hanan El-Cheikh dut publier son premier roman, Histoire de Zahra, à compte d’auteur, car aucun éditeur libanais ou arabe, ne voulut prendre le risque de publier un roman au sujet aussi sulfureux. Ce qui n'empêcha pas l’auteure libanaise de remporter un franc succès, notamment en France. A travers son oeuvre, qui s’étale sur plus de quarante ans d’écriture, Hanan El-Cheikh n’hésite pas à aborder des sujets aussi clivants que la place des femmes au sein de la civilisation arabo-musulmane, le viol, l’inceste, la prostitution et de manière générale toutes les violences faites à l’encontre des femmes. En filigrane apparaît bien évidemment une critique assez vive du patriarcat et de la domination des hommes, notamment au travers du mariage, dont il faut souligner le courage.
Ces thèmes apparaissent dans les nouvelles qui composent Le cimetière des rêves, mais il serait quelque peu réducteur de ne résumer ces textes qu’à leur contenu engagé. Au fil de la lecture d’autres sujets émergent, en particulier la difficile articulation entre Orient et Occident. Le déracinement, le choc des cultures, la perte des repères (familiaux ou culturels), la nostalgie d’un passé perdu…. Tous font écho au propre parcours personnel de l’écrivaine, qui dut quitter son Liban natal pour finalement trouver un point de chute à Londres. Le personnage de la nouvelle “Je balaie le soleil des terrasses”, une jeune femmes qui a quitté son pays pour réaliser son rêve d’Occident en Angleterre, est ainsi tiraillé entre sa fascination profonde pour le mode de vie européen et les souvenirs de sa vie passée, faits de couleurs, de saveurs et de senteurs qui s’imposent à elle avec une acuité d’autant plus douloureuse qu’ils sont un contrepoint à de nombreuses désillusions.
Ce qui émerge de ces textes au ton doux amer et parfois sombre, c’est le courage de ces femmes face à l’adversité et au changement. Leur grandeur dépasse l'étendue de leurs failles, qu’elles tentent de surmonter avec des stratégies diverses et souvent surprenantes. Au lecteur de suivre ces lignes de fracture, comme on glisse délicatement le doigt le long d’une anfractuosité, découvrant des nœuds, des embranchements secondaires, de nouveaux chemins sur le sentier difficile de la vie. Et à la fin, s’esquisse subtilement un tableau fait de multiples visages, ceux de ces femmes qui luttent pour trouver une place, pour préserver leur intégrité et leur liberté.
10 commentaires:
Contente que ça t’ai plu.Finalement les nouvelles c’est pas mal.
Merci pour la découverte, je vais lire d'autres livres de Hanan El-Cheikh, c'est une certitude.
De rien.
On m’a recommandé L’Orient derrière soi de André Tubeuf.
C’est une enfance en Orient racontée par André Tubeuf,né là bas,de parents français qui étaient partis travailler en Orient.
Je connais pas du tout l’auteur.
Je ne connais pas non plus, mais je note les références, merci !
Yes
https://soleilgreen.blogspot.com/2017/10/lorient-derriere-soi.html
Il y a des convergences étonnantes sur ce blog ;-)
Oui😁
Il reste encore beaucoup à découvrir au niveau littérature orientale.
C'est le moins qu'on puisse dire, mais j'y travaille ;-)
J’avais lu cet été un bouquin de José Luis Sampedro que tu avais chroniqué.
J’ai mis un commentaire suite à ta chronique sur La vieille sirène mais il n’est pas paru. Peut-être pris dans la modération.
Oui, désolé, c'est ma faute. Je n'ai quasiment pas consulté le blog pendant les vacances.
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