J’ai d’Ursula Le Guin un souvenir ému quoique nébuleux de ma première rencontre avec la Fantasy, à l’époque où je ne connaissais même pas encore le terme, à une époque que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Parce que Ursula Le Guin, c’est Terremer, ses sorciers et ses dragons, et que depuis cette lecture et grâce à elle, j’ai une fascination persistante pour ces créatures imaginaires, quand elles ne sont pas réduites, comme trop souvent hélas, à la fonction de montures de luxe.
Mais pas de dragons ni de sorciers dans « La main gauche de la nuit ». Issu de la série de l’Ekumen, le roman narre à deux voix les aventures du premier représentant de l’Ekumen sur la planète Géthen, appelée Nivôse par les explorateurs en raison de son climat fort peu chaleureux. Genly Aï, un Terrien, doit convaincre au moins un des gouvernements de la planète d’accepter l’entrée dans l’Ekumen, une confédération interplanétaire. Mais chaque État de cette planète glaciale a ses règles politiques et surtout comportementales, que Genly a du mal, sinon à comprendre, du moins à intégrer. Et surtout, il est le seul homme dans ce monde où les humain·es sont tour à tour de sexe masculin ou féminin, et la plupart du temps sans sexe défini, et est considéré au mieux comme une anormalité curieuse, au pire comme un monstre affabulateur.
Passant d’un État à l’autre, pion au milieu des intrigues politiques, Genly Aï compte pourtant un allié dont il a du mal à cerner les motivations et la personnalité, perturbé par sa nature sexuelle ambiguë pour le Terrien qu’il est, et engoncé dans ses propres valeurs qui sont loin de celles de ses hôtes. Pourtant, une relation d’abord empreinte de méfiance, puis de plus en plus forte se noue entre lui et Estramen, premier·e ministre bientôt déchu·e d’un des deux États forts de la planète.
Au bout d’un nombre relativement court de pages, ce roman vous accroche et vous fait passer une nuit blanche, aussi blanche que la neige et la glace qui recouvre une bonne partie de cette planète où Genly Aï grelotte tout au long de sa mission.
Ursula le Guin fait parler en alternance ses deux principaux protagonistes, le récit à destination de l'Ekumen de l’un complétant le journal de bord pour les archives de sa famille de l’autre. Ainsi nous ne voyons pas seulement l’histoire du point de vue confiant et parfois naïf de Genly, qui a le mérite de nous faire découvrir les mœurs de ces étranges Géthéniens, mais aussi par les analyses beaucoup plus affinées d’Estramen s'interrogeant sur les réactions du Terrien. Et elle fait de la découverte de Géthen, qui aurait pu être une simple balade touristique descriptive, une aventure dont le morceau de bravoure est la traversée sur près de trois mois d’un inlandsis, extraordinaire mélange des récits d’évasion du Goulag et des épopées arctiques de Jean-Louis Étienne.
L’autrice ne se perd pas en digression : il n’y a pas une once de graisse dans cette littérature, pas un pas de côté qui ne trouve son intérêt, pas une analyse qui ne se justifie dans la trame de l’histoire. Et cela donne près de 350 pages qui se lisent d’une traite, avec des vrais moments de réflexion dedans, comme de petites pépites, et de magnifiques scènes d'action, au point que je me demande encore comment un cinéaste ou un dessinateur ne s’est pas encore emparé de cette œuvre.
Décidément, quand on se tourne vers les classiques de la science-fiction, on est rarement déçu. Et avec Ursula K. Le Guin, encore moins qu'avec un·e autre...
P.S. : pour une fois la couverture n'est pas celle d'une édition française (il y en a eu plusieurs pour ce roman plusieurs fois primé), mais celle d'une édition anglaise que je trouve particulièrement réussie, tant au niveau graphique que symbolique.
9 commentaires:
Oui rien ne vaut les classiques.
Que dire de l'envoutant Lavinia?Pour continuer l'exploration de Le Guin.
Remarque hors contexte : il est possible dans blogger de revenir à l'ancienne interface. c'est ce que j'ai fait.
Un incontournable du genre, assurément. Et je comprends pour la couverture, j'adore les illustrations de la collection SF Masterworks.
La couv'fait penser à un album de Pink Floyd: PULSE.
Faut dire que Jackie Paternoster, ça n'aide pas vraiment.
C'est clair !
C'est sûr,les couv'à paillettes qui piquaient les yeux chez Robert Laffont c'était pas top.
Message à Manu et Ubik: dans le même registre que "Leurs enfants après eux" de Nicolas Mathieu, on dit beaucoup de bien de "Ce qu’il faut de nuit " de Laurent Petitmangin
Bien à vous SV
Ah zut, j'avais pas vu ton commentaire. Grand merci pour la suggestion.
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