“...Tout au plus ai-je gardé une certaine sensation de silence
qui demeura longtemps mon climat de prédilection puisque j’allais
plus tard le rechercher dans le désert.”
Sixième volume consacré au cycle des Contrées, mais en réalité
suite directe du Veilleur du jour, Les voyages du fils apporte une
nouvelle pierre à l’oeuvre titanesque et inclassable de Jacques
Abeille. A titre personnel, j’avais été un petit peu moins
conquis par Les barbares*, même si je dois reconnaître qu’à
postériori j’en garde un très bon souvenir, et l’éclairage
qu’il apporte sur le monde des Contrées reste en tout état de
cause indispensable pour tous ceux qui souhaitent avoir une
connaissance approfondie du cycle. Mais il faut dire que cet imposant
roman marque une petite rupture avec les deux tomes qui le précèdent,
moins mystérieux et envoûtant, Les Barbares se veut plus brutal et
cartésien. L’étonnante poésie des Jardins Statuaires laisse
place à la brusque réalité de la guerre, qui finalement n’en est
pas une (un peu comme L’étrange défaite de Marc Bloch). Les
barbares eux-même n’en sont pas vraiment et leur unité vole en
éclat, laissant les Contrées à la fois exsangues et totalement
hébétées. Que voulaient-ils, que cherchaient-ils, leurs
motivations et leurs buts apparaissent confus et incroyablement
éloignés du mode de pensée des Terrébrins. Le long voyage du
professeur à leurs côtés était donc l’occasion de
comprendre un peu mieux la culture et le mode de pensée des
Cavaliers, mais à l’issue de ce long aparté, j’avoue être
particulièrement ravi de retrouver l’intrigue du Veilleur du jour
et ses multiples interrogations laissées sans réponses à la fin du
roman.
L’épisode des barbares semblait marquer en
quelque sorte la fin de l’Histoire** pour les Contrées, mais à
l’issue de leur passage éclair la société se reconstruit et
Terrèbre reprend la place qui était la sienne lorsqu’elle était
au faîte de sa gloire. A la fin du Veilleur du jour, quelques
interrogations demeuraient. Qui était donc Barthélemy Lecriveur ?
D’où venait-il exactement avant d’échouer mystérieusement à
Terrèbre ? Quelles furent ses relations avec Eponime Délimène ?
Autant de d’énigmes que Jacques Abeille laissait à l’issue du
roman sans véritable réponse. Les voyages du fils se déroule une
trentaine d’années plus tard, alors que le fils de Barthélemy,
Ludovic Lindien, s'apprête, à la suite du décès de sa mère, à
entreprendre un long voyage sur les traces de son père dans une
région reculée et sauvage des Contrées, les Hautes Brandes. Située
au pied des hauts plateaux qui séparent la Grande Plaine des Jardins
Statuaires, ces terres boisées et très peu peuplées sont le
territoire des bûcherons. Hommes fiers et vigoureux aux moeurs
exotiques et aux coutumes bien éloignées des manières soignées et
raffinées des Terrébrins. Pour avoir longuement travaillé sur les
manuscrits de son père, Ludovic savait que ce dernier avait fait un
long séjour dans cette région, en témoignait la ceinture en peau
de serpent dont il se servait, signe distinctif des hommes ayant
satisfait à tous les rites d’initiation et aux mystères de cette
communauté. Mais Ludovic savait également qu’avant cet épisode,
son père avait déjà séjourné à Terrèbre, puisqu’il avait
dans sa jeunesse connu la belle Eponime Délimène, sans que l’on
arrive très bien à déterminer leur relation de l’époque. C’est
avec ces maigres informations que Ludovic prend la route et se dirige
vers les Hautes Brandes.
Ce voyage est pour lui tout autant une quête du père, qu’il n’a jamais vraiment connu, qu’un chemin initiatique. En cours de route il découvre un empire qui se relève groggy de l’invasion barbare, parenthèse étrange et finalement brève, qui aura ravagé les Contrées sans pour autant laisser d’empreinte durable. Et pourtant dans les Hautes Brandes, Ludovic assiste à la fin d’un monde, celui des bûcherons et des charbonniers aux étranges coutumes, tout autant qu’il collecte des récits et des informations qui lui permettront de reconstruire le passé parcellaire de son père. Peu à peu, en interrogeant les hommes et les femmes qui avaient côtoyé celui qu’il croit connaître sous le nom de Barthélemy Lecriveur, Ludovic dénoue l’inextricable écheveau que constitue la vie de son père, ses multiples identités et son rôle trouble dans les relations diplomatiques que la capitale entretient avec les régions éloignées de l’empire. Il se découvre même un oncle, un certain Léo Barthe, dont il retrouvera la trace lors de son retour à Terrèbre. Ainsi le mystère qui obscurcissait de son voile impénétrable le passé se lève peu à peu, les noeuds se dénouent et le fils se reconstruit une identité plus large que celle qui le cantonnait à l’image classique de l’orphelin. Mais ce travail de reconstitution du passé s’effectue également par l’écriture et par le travail éditorial que Ludovic entreprend à partir des notes et des manuscrits laissés par son père, mais également grâce à d’autres sources comme les rapports du policier qui surveillait son père et sa maîtresse, la jeune Coralie.
Ce voyage est pour lui tout autant une quête du père, qu’il n’a jamais vraiment connu, qu’un chemin initiatique. En cours de route il découvre un empire qui se relève groggy de l’invasion barbare, parenthèse étrange et finalement brève, qui aura ravagé les Contrées sans pour autant laisser d’empreinte durable. Et pourtant dans les Hautes Brandes, Ludovic assiste à la fin d’un monde, celui des bûcherons et des charbonniers aux étranges coutumes, tout autant qu’il collecte des récits et des informations qui lui permettront de reconstruire le passé parcellaire de son père. Peu à peu, en interrogeant les hommes et les femmes qui avaient côtoyé celui qu’il croit connaître sous le nom de Barthélemy Lecriveur, Ludovic dénoue l’inextricable écheveau que constitue la vie de son père, ses multiples identités et son rôle trouble dans les relations diplomatiques que la capitale entretient avec les régions éloignées de l’empire. Il se découvre même un oncle, un certain Léo Barthe, dont il retrouvera la trace lors de son retour à Terrèbre. Ainsi le mystère qui obscurcissait de son voile impénétrable le passé se lève peu à peu, les noeuds se dénouent et le fils se reconstruit une identité plus large que celle qui le cantonnait à l’image classique de l’orphelin. Mais ce travail de reconstitution du passé s’effectue également par l’écriture et par le travail éditorial que Ludovic entreprend à partir des notes et des manuscrits laissés par son père, mais également grâce à d’autres sources comme les rapports du policier qui surveillait son père et sa maîtresse, la jeune Coralie.
Il est difficile de rendre compte de la richesse et de la
complexité de ce roman à la fois récit initiatique, carnet de
voyage et travail ethnographique. D’autant plus que Jacques Abeille
tisse de nombreux liens avec d’autres parties de son oeuvre,
apportant des réponses essentielles à l’intrigue, mais également
à la bonne compréhension de ce monde étrange et envoûtant des
Contrées. Mais l’auteur pousse la logique bien plus loin
encore lorsqu’il introduit le personnage de Léo Barthe, le vieil
oncle de Ludovic, écrivain et pornographe avéré. (Précisons que
Léo Barthe n’est autre que le pseudonyme que Jacques Abeille
utilise dans la vraie vie lorsqu’il publie des récits érotiques).
Cette étrange mise en abyme, qui mêle la fiction à la réalité, a
quelque chose de fascinant dans sa manière de s’auto-référencer
et d’alimenter un univers par agrégation, chaque élément
apportant une nouvelle pierre à l’édifice, enrichissant par
petites touches subtiles un monde déjà complexe et foisonnant. Si
vous pensez qu’il ne s’agit là que d’un petit caméo amusant,
rien de tout cela, Jacques Abeille a poussé la logique jusqu’à
publier des nouvelles sous le pseudonyme de Léo Barthe (Chroniques
scandaleuses de Terrèbre, Le Tripode. 2016), textes dont il attribue
la paternité dans son roman à l’oncle de Ludovic. Ces nouvelles
mettent en scène des personnages croisés dans Le veilleur du jour
et font figure en quelque sorte de bonus, tout autant qu’elles
éclairent des passages du roman restés sous silence. Ce recueil
indépendant peut se lire avant ou après Les voyages du fils. Cette
idée géniale, loin d’être une boucle dans laquelle Jacques
Abeille tournerait sans fin, confère bien au contraire au cycle des
Contrées une cohérence extraordinaire et une richesse que l’on
retrouve assez peu dans la littérature. Sans doute est-ce une des
raisons pour lesquelles Jacques Abeille est parfois comparé à
Tolkien ; la créativité et la puissance de leur imaginaire sont
sans égal. Pour ce qui est de l’écriture en revanche, point de
comparaison possible. Le style de Jacques Abeille est d’une
richesse et d’une élégance rares. A la fois puissamment évocateur
et aérien, il reflète la volonté de l’auteur de trouver le mot
juste, la bonne tournure de phrase, la bonne métrique. Une fois dans
le rythme on se laisse porter par la poésie des mots, par la force
des images et par l’évidence du propos.
Dernier point, et ce sera certainement la conclusion de cette
chronique, Les voyages du fils est sans doute le roman de Jacques
Abeille dans lequel l’auteur, mais également l’homme, se livre
le plus ; par l’intermédiaire du personnage de Ludovic Lindien,
qui renvoie à sa propre enfance, mais également par celui de Léo
Barthe, incarnation fictionnelle de sa propre condition d’artiste.
L’occasion pour l’auteur au détour de quelques pages bien
senties, de nous livrer sa vision admirable de la littérature et en
particulier, mais il aurait tort de s’en priver, de la littérature
érotique.
*qui regroupe en réalité deux volumes, Les barbares et La barbarie
** pour ceux qui éventuellement ne saisissent pas la référence, l’universitaire américain Francis Fukuyama avait déclaré en 1992 que la chute du communisme marquait la fin de l’Histoire et l'avènement définitif de la démocratie libérale comme mode de gouvernement universel. Les trente dernières années ont bien montré à quel point les affirmations sentencieuses et univoques sont casse-gueule
*qui regroupe en réalité deux volumes, Les barbares et La barbarie
** pour ceux qui éventuellement ne saisissent pas la référence, l’universitaire américain Francis Fukuyama avait déclaré en 1992 que la chute du communisme marquait la fin de l’Histoire et l'avènement définitif de la démocratie libérale comme mode de gouvernement universel. Les trente dernières années ont bien montré à quel point les affirmations sentencieuses et univoques sont casse-gueule
3 commentaires:
A relire donc merci pour ton eclairage
C'est pas forcément le livre que je conseillerais pour débuter avec Jacques Abeille, c'est sûr, il faut vraiment avoir lu les tomes précédents pour en saisir toute la richesse. Il me semble.
D'accord,mais pour moi c'est le plus accessible.j'avais pas trop compris les autres ouvrages.
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