Paru en 2009, Une femme simple et honnête est le premier roman de
Robert Goolrick, écrivain américain originaire de Virginie, désormais
bien implanté dans le paysage littéraire français. Si j’ai un conseil à
vous donner au sujet de ce livre, c’est de ne pas porter trop
d’attention au résumé de quatrième de couverture, non pas qu’il soit
malhonnête ou mensonger, mais il ne recouvre qu’une très mince partie
des enjeux de ce roman et n’en donne qu’une vision très parcellaire…
sans doute par peur de trop en dévoiler.
L’histoire se déroule à la fin du XIXème siècle, dans la région du
Wisconsin. Ralph Truitt, riche magnat local, âgé d’une cinquantaine
d’années, décide de mettre fin à son célibat forcé en passant une
annonce dans un journal de Chicago. L’homme, désabusé par un passé
amoureux difficile, ne cherche pas exactement l’amour, mais la compagnie
d’une femme “simple et honnête”, qui acceptera de devenir son épouse et
sera disposée à prendre soin de lui lorsque ses vieux jours seront
arrivés. En échange, il lui apportera tout le confort matériel et la
sécurité financière que son immense fortune lui confèrent. Aussi la
choisit-il, jeune certes, mais sans grâce excessive, de peur que
l’attrait d’une femme plus belle ne ravive les vieux démons d’une
sensualité profondément réprimée. Une époque de débauche et de violence
dont il préfèrerait ne plus jamais se souvenir. Aussi est-il surpris
lorsque Catherine Land dépose sur le quai de la gare ses maigres effets
personnels, car la jeune femme ne ressemble en aucune manière à la
photographie qu’elle lui avait envoyée dans une de ses lettres. Certes,
sa mise est simple, voire austère, et sa petite valise ne semble presque
rien contenir, mais celle qui lui fait face est d’une beauté à couper
le souffle. Sa petite robe de laine grise ne peut cacher sa taille
gracile et laisse deviner des formes d’une grande sensualité. La finesse
de ses traits, rehaussés par l’intensité de son regard, l’élégance de
son port de tête et le raffinement de ses gestes cadrent mal avec la
silhouette un peu lourde et les traits sans charme de la femme de la
photographie, qu’il avait eu tout le loisir de contempler au cours des
jours précédents. Aussi Ralph Truitt est-il contrarié et le sentiment
d’avoir été trahi et manipulé le taraude profondément, au point de lui
faire perdre le contrôle de son attelage sur le chemin du retour à la
maison. Cette femme assise à ses côtés lui a menti, cette femme à la
beauté époustouflante l’agace autant qu’elle l’attire. Rendus nerveux
par la colère de leur maître, les chevaux s’emballent à la suite d’un
petit incident avec un cerf qui n’en demandait pas tant. L’attelage sort
de la route et termine à quelques mètres de la rivière gelée. Ralph
Truitt a chuté et reçu un profonde blessure à la tête, l’un des chevaux
s’est cassé une patte, il faudra l’abattre. Catherine réussit néanmoins
à calmer les bêtes et à ramener Ralph dans sa demeure, où attendent
avec impatience sa gouvernante et son mari. Avec leur aide, Catherine
parvient à soigner Ralph, à recoudre sa plaie, à le veiller durant des
nuits entière, alors que la fièvre le fait délirer et que les spasmes
agitent son corps de soubresauts. Les soins qu’elle lui apporte le
sauvent de l’infection et de la mort… et Ralph n’est pas un homme aigri
ni ingrat. Il décide donc de l’épouser, mais quel mariage peut-il
commencer par un mensonge, comment deux être rongés par de lourds
secrets peuvent-ils construire une relation saine et équilibrée et,
surtout, pour quelles raisons semblent-ils fuir l’amour et se retrancher
derrière une froideur de façade ?
Mensonges et secrets sont donc au coeur d’une intrigue que le lecteur
aura sans doute rapidement devinée, mais qu’il serait pour autant
dommage d’évacuer trop rapidement. Il est évident que le thème de la
manipulation et de la veuve noire ont été exploités à l’envi en matière
de littérature et que toutes leurs variations sonneront de manière
familière au lecteur. Mais l’auteur a suffisamment d’intelligence pour
le savoir et pour connaître les limites de l’exercice de l’hommage.
Certes, le roman rappelle par certains aspects les grands auteurs
romantiques du XIXème siècle et le rapprochement avec l’oeuvre des
soeurs Brontë n’est en rien usurpé, mais le style (admirablement
retranscrit par la traduction) se veut évidemment plus moderne et le
sentimentalisme exacerbé est ici quelque peu contenu. Ce qui n’empêche
en rien ce roman de déployer à travers le récit passé des personnages,
une très grande sensibilité. Le désir est également au coeur de ce roman
à la sensualité puissante et imagée, sans pour autant sombrer dans le
graveleux ou l’érotisme débridé. Le désir est ici ausculté à travers le
prisme du passé, pour mieux éclairer le présent. Nous sommes certes bien
plus que la somme de nos désirs et de nos souvenirs, mais l’auteur
s’attache à expliquer les réactions de ses personnages à travers leur
histoire, en évoquant les traumatismes de leur enfance, le poids de leur
éducation ou des valeurs morales et religieuses. D’une certaine manière
le personnage de Catherine fait parfaitement écho à celui de Ralph.
Tous deux sont en souffrance, tous deux sont hantés par leur passé, tous
deux répriment leurs émotions, terrifiés à l’idée de laisser parler
leur désir et leurs sentiments. Et pourtant ces deux êtres qui se
cherchent finissent par se trouver et par laisser leur sensualité
s’exprimer et parler le langage du corps, celui qui se passe de mots et
exprime une pure vérité. Cet amour qui naît n’a rien d’une bluette gnan
gnan, sa puissance renverse tout sur son passage, il est pétri
d’humanité, il ouvre les coeurs et soigne les maux du passé, il fait
oublier les mensonges et les demi-vérités, il n’est que pardon. Nous ne
sommes pas monolithiques semble nous dire à juste titre Robert Goolrick,
chaque être humain doit composer avec son héritage, ses démons
intérieurs, ses angoisses, mais aussi avec ses désirs et ses
aspirations. Le mal n’est pas inscrit dans nos gênes et, sans pour
autant faire abstraction de notre passé, il est possible de pardonner et
de se pardonner. Une évidence ? Peut-être, mais si c’était réellement
le cas, le monde tournerait sans doute bien mieux.
Une femme simple et honnête, n’est pas un roman parfait, certes, mais
porté par deux personnages puissants et émouvants, il est traversé par
un profond humanisme et une grande sincérité. Ses qualités d’écriture
sont par ailleurs évidentes, servies par une traduction impeccable et
élégante. A défaut d’atteindre la perfection supposée du modèle
revendiqué, cela suffit à faire de ce roman une lecture plus que
recommandable.
7 commentaires:
Je n'ai pas lu celui-là, mais "Arrive un vagabond" m'a beaucoup plu,c'est noir mais j'ai vraiment aimé l'écriture de cet auteur,et les réflexions que les personnages inspirent.
Je sais pas si tu continues tes publications sur ce blog,comme ça fonctionne un peu au ralenti..🙂
Ne t'inquiète pas Carmen, en vacances je lis beaucoup, mais j'écris peu... Pour me consacrer à d'autres projets (photo et astrophoto), mais ça va revenir. J'ai presque terminé d'écrire un papier, publication ce soir si tout va bien. La bise !
Bon ben ça va alors,je n'osais pas venir aux nouvelles sur tes publications à venir mais c'est vrai qu'un blog c'est beaucoup de boulot.On ne se rend pas compte toujours.
Bises et bon week-end.
Oh, j'avoue que je suis un peu feignant et que je n'écris pas systématiquement une critique chaque fois que je lis un livre. Ce serait un peu fastidieux et de manière générale j'aime surtout écrire sur les bouquins qui m'ont marqué, je préfère être sélectif plutôt que pléthorique. En plus je trouve que ça permet de dégager une sorte de ligne éditoriale, modeste, mais néanmoins présente.
Oui c’est pas plus mal..Il faut que ça reste un plaisir surtout et pas une obligation.
Pour revenir à Goolrick,Arrive un vagabond est vraiment un excellent roman.
Comme c’est triste,je viens de voir qu’il est décédé dans la solitude et le dénuement.
J’essaierai de lire son dernier roman.
Je ne savais pas du tout. Quelle tristesse. J'ai encore deux de ses romans sur ma pile à lire.
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