Voilà un livre bien étrange qu’il
paraît délicat de recommander au plus grand nombre, non pas qu’il
soit mauvais ou traite d’un sujet qu’il serait préférable de
cacher, non, rien de tout cela, mais Morwenna s’adresse avant tout
aux amateurs de science-fiction et de fantasy les plus chevronnés.
Et pourtant il n’y a pas l’ombre d’un robot ou d’un vaisseau
spatial, pas plus que de Balrog ou de sorcier à la chevelure
argentée car ce roman parle avant tout de lectures, celles qui ont
jalonné l’existence de la jeune Morwenna, qui ont façonné son
univers de jeune galloise et son imaginaire d’adolescente. Et
pourtant de magie il est question, tout au long du récit, car elle
imprègne ce roman, écrit à la manière d’un journal intime, de
la première à la dernière ligne de manière singulière et
subtile.
Morwenna a quinze ans, autrefois elle
avait une soeur jumelle, morte dans un terrible accident de voiture
qui l’a laissée elle-même en partie estropiée. Depuis elle ne se
déplace plus qu’à l’aide d’une béquille et se tient éloignée
de sa mère, car elle la soupçonne d’être une sorcière et
d’avoir voulu la tuer. Désormais Morwenna vit auprès de son père,
qu’elle n’a jamais vraiment connu et qui reste pour elle en
partie un mystère. Cloîtré depuis son divorce dans son domaine à
la frontière du Pays de Galles et de l’Angleterre, il semble se
contenter d’une vie d’ermite fortuné, bien qu’il vive sous la
férule de ses trois soeurs, des tantes dont Morwenna a du mal à
cerner les intentions. Qu’importe puisque de toute façon, et sans
que cela ne semble révolter outre-mesure son père, ces dernières
ont décidé de l’envoyer dans une école pour riches héritiers.
Quitte à partir loin de son Pays de Galles natal, Morwenna préfère
finalement être en pension et échapper à l’oeil inquisiteur et à
la sollicitude feinte de ces tantes qu’elle ne connaît finalement
pas réellement, ayant grandi dans sa famille maternelle auprès de
ses grands-parents. Au pensionnat, Morwenna fait quelque peu figure
de vilain petit canard, son infirmité la met à l’écart d’un
grand nombre d’activités sportives et son goût immodéré pour la
lecture d’oeuvres de science-fiction lui vaut d’être considérée
comme une fille étrange et peu fréquentable. Mais la
jeune-fille n’en a cure et trace son chemin avec une patience et
une obstination qui confinent au stoïcisme, car son univers est bien
plus vaste que les locaux étriqués de l’école, son horizon va
bien au-delà des mornes collines anglaises pour embrasser des
milliers de mondes différents, ceux imaginés par des auteurs aussi
fantastiques que Zelazny, Brunner, Asimov, Silverberg, ou bien encore
Tolkien. Mais les êtres magiques et mystérieux ne peuplent pas que
son imagination car Morwenna pratique un peu la magie, qu’elle voit
dans toutes choses du quotidien. Au détour d’un chemin, à l’ombre
d’un vieil arbre, dans les ruines d’une grange abandonnée, dans
les roseaux humides d’un étang, de petits êtres fabuleux qu’elle
nomme “fées”se manifestent à son intention. Tantôt biscornus
tantôt diaphanes, grands, petits, beaux ou au contraires laids comme
des trolls, chacun a ses spécificités et communique avec Morwenna
dans un langage inconnu du commun des mortels. Les fées sont ses
alliées et l’aident à se défendre contre les obscurs maléfices
lancés par sa mère, qui tente de l’atteindre malgré la distance,
elles l’aident également à entrer en communication avec sa soeur,
dont le fantôme erre encore entre deux mondes. Mais Morwenna n’use
que modérément de sa magie et seulement dans les cas d’urgence
extrême.
Fascinant roman sur l’adolescence
dans lequel, on l’imagine, Jo Walton a mis beaucoup d’elle-même,
Morwenna est un pur ovni littéraire. C’est un roman à la fois
très personnel et profondément humain, mais sa portée universelle
ne paraîtra pas évidente à tout un chacun en raison des nombreuses
références à la culture F&SF qui émaillent le récit. Et
pourtant le personnage de Morwenna est incroyablement touchant dans
sa singularité, ce n’est pas tant son infirmité qui émeut que sa
profonde différence, sa solitude et le décalage par rapport aux
autres adolescents de son âge. Morwenna est une sorte de nerd au
féminin, brillante dans de nombreux domaines, incroyablement fine et
intelligente, capable de réflexions d’une grande profondeur, mais
totalement immergée dans son monde ; au point de faire douter le
lecteur. Morwenna possède-t-elle réellement des pouvoirs magiques
ou bien n’est-elle qu’une adolescente un peu rêveuse qui confond
son imaginaire avec la réalité ? Subtilement suggéré, cet univers
magique n’en est que plus fascinant encore, rappelant les meilleurs
moments des romans de Robert Holdstock ou de Lord Dunsany. Brillant,
tout simplement !
4 commentaires:
Conquis, hein ?
Bienvenue au club.
Ubik
Yes !
Et paf.
Même pas fini la trilogie chinoise de Liu Cixin qu'il faut que je rajoute à livre à mon interminable LAL...
C'est sans fin, tu le sais bien
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