Le combat écologique peut-il passer par la littérature ? Voilà une question à laquelle l’écrivain américain Edward Abbey répondit en 1975 en publiant The monkey wrench gang, roman qui eut un succès retentissant outre-Atlantique. Traduit initialement chez Stock en 1997 et affublé d’un titre plus que discutable (Ne meurs pas ô mon désert), il fut repris chez Gallmeister en 2006, puis bénéficia d’une nouvelle traduction toujours chez le même éditeur en 2013, récupérant par la même occasion un titre plus proche de l’original (Le gang de la clef à molette). Il est d’ailleurs amusant de constater que pour l’éditeur, le terme de clef à molette semble commercialement plus porteur que celui de clef anglaise (monkey wrench). Mais bon, cessons de pinailler sur des détails techniques sans grande importante pour nous concentrer sur l’oeuvre d’un auteur connu pour ses positions radicales et son militantisme écologique. Souvent comparé par ses pairs à Thoreau ou bien encore Mark Twain, Edward Abbey a également quelque chose de Théodore Monod (le radicalisme en plus), ne serait-ce que pour son amour du désert et son action militante qui contribua en partie à l’éveil des consciences en matière d'écologie aux Etats-Unis.
Oui bon d’accord, mais de quoi ça cause Le gang de la clef à molette. Contrairement à son oeuvre précédente, Désert solitaire (récit mystico-politico-philosophique de son expérience de ranger dans le parc national des Arches), qui contribua en grande partie à faire d’Abbey une icône de la contre-culture américaine, Le gang de la clef à molette est un véritable roman, une oeuvre détonnante à la fois engagée, drôle et parfaitement déjantée. Construit de manière somme toute assez classique, le récit met en scène quatre personnages hauts en couleurs : Doc Sarvis, un médecin d’Albuquerque qui prend un malin plaisir à tronçonner les vilains panneaux publicitaires qui bordent les routes du Nouveau Mexique, son assistante (et amante) la superbe et non moins intelligente Bonnie, Seldom Seen Smith, mormon polygame et guide expérimenté, spécialiste des excursions dans les différents parcs nationaux qui bordent le Colorado, et enfin, George Hayduke, un vétéran du Vietnam (ancien béret vert) fasciné par les explosifs et légèrement fêlé. Ces quatre hurluberlus se rencontrent un peu par hasard à l’occasion d’une descente des gorges du Colorado et forment rapidement un groupuscule écolo-terroriste (quel vilain mot), dont l’objectif est de bouter hors du désert du grand Ouest, les profiteurs, exploitants miniers, pollueurs en tout genre et autres promoteurs avides de profits. Autant dire que la tâche est ardue tant les menaces qui pèsent sur ces espaces fragiles sont nombreuses : barrages hydro-électriques, mines à ciel ouvert, pont et viaducs, autoroutes….. L’idéal serait de pouvoir dynamiter le grand barrage de Glen Canyon (à l’origine de la création du lac Powell), qui selon Seldom Seen Smith a défiguré le paysage de la région, en plus d’avoir englouti sa ville natale, Hitte, sous les flots. Oui mais voilà, le barrage est un gros morceau et nos quatre lascars manquent encore d’expérience et de moyens techniques, car il faut un peu plus que dix bâtons de dynamite pour réduire en poussière un tel mastodonte. Qu’à cela ne tienne, autant se faire la main sur des cibles plus accessibles. La fine équipe, en grande partie financée par ce bon doc Sarvis, parcourt donc les grands espaces de l’Utah et de l’Arizona, semant des caches aux quatre coins du désert, sabotant quantité de chantiers (les bulldozers ont en particulier les faveurs de George Hayduke, qu’il prend plaisir à balancer depuis les hauteurs du grand canyon), de ponts et de voies ferrées…. L’ennui, c’est qu’à force de mettre la pagaille d’un coin à l’autre de l’Utah et de l’Arizona, ces défenseurs un peu extrêmes de la cause écologique finissent par se mettre à dos l’ensemble des autorités locales, voire fédérales. Commence alors une vaste course-poursuite à travers les étendues désertiques du Grand Ouest américain, à la fois rocambolesque et empreinte d’une certaine gravité.
Par certains aspects, Le gang de la clef à molette peut donc paraître déroutant, essentiellement parce qu’il traîte un sujet sérieux à la manière d’une comédie burlesque, une approche que les Monty Python n’auraient pas reniée. Certains éléments du roman paraissent même vaguement contradictoires, notamment le personnage de George Hayduke, qui prétend sauver les paysages du désert, tout en semant un peu partout une quantité phénoménale de canettes de bière vides. Puisque les routes enlaidissent le paysage, George considère que semer des détritus tout au long de ses trajets constitue un acte militant. Dont acte ! On atteint sans doute là les limites de l’exercice tenté par Edward Abbey, qui nous offre un roman formellement très réussi, à la fois drôle, haletant, divertissant et par certains aspects fort jouissif, mais qui sur le fond peine à convaincre. On se plaît même à penser que finalement, ce bon Dr Asimov avait raison, “La violence est le dernier refuge de l’incompétence”. Dans un genre un peu similaire, Zodiac de Neal Stephenson était nettement plus convaincant, réussissant une critique au vitriol des grandes organisations écologistes, tout en préservant le fond, à savoir un discours sensé sur la préservation de l’environnement et de la biodiversité.
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