Une fois n'est pas coutume, je ne vous parlerai pas d'un roman en particulier, mais d'une série de polars grandement recommandables, écrits par l'excellent écrivain américain Craig Johnson. Au cas où à la suite de ce billet, l'envie de lire cet auteur vous démangerait, je ne saurais trop vous conseiller de débuter votre lecture par le premier volume de la série consacré au shérif Walt Longmire, à savoir Little Bird, disponible en poche chez Gallmeister.
Chez Gallmeister on aime bien le nature writing, c’est même un peu une marque de fabrique, mais on aime aussi le polar, alors il n’est guère étonnant de retrouver au catalogue de l’éditeur les excellents romans de Craig Johnson. Un choix judicieux s’il en est car depuis quelques années, la série des romans mettant en scène le shérif Walt Longmire, semble, sans pour autant côtoyer les scores de vente vertigineux atteints outre-Atlantique, obtenir un certain succès en France. Il faut dire que la série TV (sobrement intitulée Longmire) a probablement contribué à ce petit succès populaire, ce qui n’enlève absolument rien à la qualité des romans de Craig Johnson.
Direction donc le Wyoming, l’un des états les plus sauvages et les moins peuplés des Etats-Unis, mais aussi l’un des plus beaux (le parc du Yellowstone se situe d’ailleurs en majeure partie dans le Wyoming), dans le comté fictif d’Absaroka où officie le shérif Walt Longmire. Âgé d’une bonne cinquantaine d’années, veuf depuis peu, Longmire a bien du mal à se remettre du décès de sa femme et sombre plus ou moins dans un état de déprime semi-alcoolique sans jamais pourtant perdre totalement pied. C’est finalement le boulot et son entourage (sa fille et son meilleur ami) qui le remettront dans le droit chemin, sans pourtant réussir totalement à gommer cette fêlure qu’il porte en lui. Cette mélancolie, souvent contemplative, colle parfaitement à l’ambiance far-west de l’environnement local, imaginez ces grandes plaines balayées par le vent ou paissent tranquillement quelques bisons, à l’horizon se découpent les montagnes Rocheuses et leur sommets délicatement saupoudrés de neige ; bon ben vous y êtes, bienvenue dans le Wyoming. Il serait abusif de déclarer que le principal intérêt de la série est purement géographique, mais il est incontestable que cette délocalisation dans le Grand Ouest américain participe en grande partie au succès d’une série qui a d’emblée refusé de jouer la carte du polar urbain moderne. Exit donc les costumes Armani hors de prix, les lunettes Ray Ban top classes mais un peu trop branchouilles et la débauche de technologies plus ou moins foireuses. Rien de tout cela dans les romans de Craig Johnson, le shérif Longmire a une dégaine de cowboy, ne possède ni ordinateur ni téléphone portable, préférant les procédures classiques mais éprouvées. En somme, voilà un flic à la fois besogneux, tenace, mais non dénué de flair et de sensibilité. L’autre facteur géographique de la série, c’est la proximité de ce comté (fictif rappelons-le) avec une importante réserve cheyenne. Evidemment, Johnson illustre à merveille la porosité entre deux mondes qu’à priori tout oppose après plus de deux siècles de relations houleuses. Mais ce choc culturel est également pour l’auteur l’occasion d’interroger la place de l’homme blanc et de son influence sur un territoire qui autrefois n’était foulé que par les indiens, sa soif de conquête (aujourd’hui celle du pétrole et du gaz) et ses rapports avec les native americans, mélange de racisme ordinaire mâtiné de condescendance et de paternalisme. Bien que le portrait dressé soit nuancé et contrebalancé par la relation d’amitié qui lie Walt Longmire et Henry Standing Bear, la question indienne n’est jamais évoquée de manière frontale mais surgit fréquemment par la bande ; c’est l’accumulation de détails qui au fil de la série dresse un panorama d’une grande pertinence et démontre à nouveau que la question n’est toujours pas réglée et les esprits loin d’être apaisés.
Sur un plan plus formel, les enquêtes de Walt Longmire mêlent habilement contexte socio-économique, histoire locale et culture de l’Ouest américain. Le Wyomoing est une région peu peuplée, aux hivers rigoureux et aux ressources économiques limitées, les grands propriétaires terriens y concentrent l’essentiel de la richesse et le boom du secteur énergétique leur est surtout profitable, laissant une bonne part de la population sur le bord de la route. Thématiquement, c’est assez classique : viols, meurtres passionnels, trafic de drogue (les grandes forêts et la faible densité favorisent l’éclosion de labos clandestins)... les amateurs de polars seront en territoire connu, mais le rythme lent des enquêtes et la dimension contemplative du romans peuvent surprendre les lecteurs habitués à un suspense plus soutenu.
A noter que Craig Johnson sera présent en France jusqu’au 10 octobre, vous aurez notamment la possibilité de le rencontrer à Toulouse, à l’occasion du festival Polars du Sud.
2 commentaires:
Il est dans ma pal depuis trop longtemps... J'ai bien envie de m'y mettre. Merci pour ce billet!
Faut pas laisser ce genre de bouquin traîner dans sa pal, c'est trop bon pour finir en strate archéologique.
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