Phénomène du jeu vidéo, la série GTA a longtemps défrayé la chronique, avant de rentrer finalement dans le rang à l’occasion de la sortie de son cinquième opus. Mais si le travail de Rockstar a désormais trouvé une certaine légitimité critique, en plus du succès auprès du public gamer, cela ne s’est pas fait sans heurts. Depuis la sortie du premier GTA sur PC et Playstation, chaque épisode a vu enfler la polémique à mesure que le réalisme graphique et esthétique du jeu atteignait un nouveau degré de sophistication. La polémique s’est même transformée en affaire juridique lorsque des modeurs mirent à jour en 2004 l’affaire hot coffee, une partie du jeu au contenu hautement explicite que les développeurs avaient caché dans le but d’éviter une interdiction aux moins de 21 ans sur le territoire américain. Mais loin de causer du tort à la série de Rockstar, ces multiples controverses médiatiques et juridiques assurèrent à GTA une publicité d’ampleur internationale, focalisant l’ire de ses opposants les plus conservateurs mais également l’exaspération des joueurs, fatigués d’être assimilés à des psychopathes en puissance. Qu’on le veuille ou non, GTA a marqué une étape importante dans l’histoire du jeu vidéo, lui permettant, parfois à son corps défendant, d’accéder à une certaine maturité artistique. Aussi puéril qu’il puisse paraître à l’époque, et à fortiori aujourd’hui, le mod hot coffee posait de véritables questions à la communauté du jeu vidéo (à l’industrie comme aux joueurs), de même que la violence intrinsèque du jeu interrogeait la violence de notre société, l’apparition d’un contenu sexuel explicite (plutôt ridicule au demeurant) heurtait le puritanisme américain et pointait les failles d’une société qui refusait de voir la réalité de face. D’une part les jeux vidéo avaient grandi, comme leur public, qui attendait désormais autre chose que des mondes enchantés à la Nintendo, d’autre part l’Amérique conservatrice réalisait que le monde de GTA ne faisait que révéler les failles et les lignes de fractures d’une société en mal de repères, qui ne faisait que s’accrocher aux lambeaux d’une sacro-sainte morale désormais tombée en désuétude. Les joueurs eurent en grande partie le sentiment que le jeu vidéo faisait office de bouc émissaire, au même titre que le rock n’roll dans les années cinquante ou les jeux de rôle vingt ans plus tard. Le jeu vidéo était stigmatisé et accusé de tous les maux (“simulateur de meurtre”), par une faction de la société qui refusait de réguler la vente d’armes à feu et laissait ses enfants s’abreuver de violence télévisuelle dès le plus jeune âge. Quant à l’industrie vidéoludique, elle se retranchait derrière l’Entertainment Software Rating Board (un classement des jeux en fonction de leur contenu) et renvoyait les parents à leurs propres responsabilités, signalant qu’en 2004, 60% des enfants qui avaient joué à GTA San Andreas, s’étaient vus offrir le jeu par leurs parents ; un comble sachant qu’aux Etats-Unis le jeu avait été classé M (mature), ce qui interdisait la vente de GTA aux moins de 17 ans.
Et Rockstar dans tout cela ? L’enfant terrible du jeu vidéo pratiquait la politique de l’autruche, muré dans un silence qui en disait long quant à la capacité du développeur à assumer la polémique qu’il avait initiée avec la subtilité d’un pachyderme à pleine charge. Cette attitude était tout autant l’expression de l’immaturité de ses dirigeants que l’affirmation d’une volonté d’imposer sa propre vision des jeux vidéo. Celle d’un loisir pratiqué désormais massivement, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, et dont les contenus devaient nécessairement évoluer et se rapprocher des thématiques brassées par le cinéma ou la littérature. Cette maturité artistique, Rockstar réussit pourtant à l’exprimer dans le quatrième volet de la série. GTA IV (2008) mit tout le monde d’accord, les critiques comme les joueurs étaient stupéfaits par l’ampleur démesurée du jeu, le développeur avait frappé un grand coup avec une direction artistique à couper le souffle et une architecture de Liberty City tellement proche de New York qu’elle vibrait de réalisme et d’énergie. Le ton s’était également fait plus réaliste et plus sombre, délaissant le fun et l’aspect potache des épisodes précédents, quitte à se prendre parfois un peu trop au sérieux.
C’est cette histoire houleuse, longue de plus de quinze ans que retrace David Kushner, centrant son propos sur l’impact sociétal de GTA plus que sur la genèse technique et artistique du jeu, même si quelques aspects sont évoqués. Il ne s’agit nullement d’un making off, mais plutôt d’une analyse à posteriori des événements, on oubliera donc les illustrations couleur double page, Jacked ne contient que du texte, rien que du texte, ce qui n’enlève rien à ses qualités.
2 commentaires:
Comment faire comprendre ces choses à une fille qui n'a jamais dépassé le stade de "Pharaon, construit ta cité égyptienne" ou le démineur de Microsoft (remarque que dans sa version Windows 8.1, le démineur n'est plus ce qu'il était !!!) toute la subtilité des jeux vidéos ???
Le fait est qu'il est très difficile de se faire une idée de GTA (ou de ce type de jeu) sans y avoir joué en profondeur. On pourrait n'y voir effectivement qu'un simulateur de meurtre un tantinet malsain, mais en réalité le jeu offre également un niveau de lecture nettement plus intéressant et il égratigne au passage la société américaine avec une certaine acuité, voire beaucoup de cynisme. Cependant, je doute que tous les joueurs prennent en considération cette dimension critique, à fortiori les plus jeunes (rappelons que le jeu est déconseillé aux moins de 18 ans en Europe).
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