Voici une plongée dans le monde de la mode. Pas celui du Diable qui s'habille en Prada, mais celui bien feutré d'un prestigieux atelier de couture anglais de la fin du 19e siècle. Elinor Jones, jeune couturière douée et enthousiaste, rejoint l'atelier de haute couture Tiffany menée par une jeune prodige, Bianca Tiffany. Chaque saison, elle organise, sous la houlette de Hope Tiffany, sa mère, et le contrôle financier d'Abel, son frère, un bal magnifique où chaque invité porte les créations et font la réputation de la maison.
Il y a là les couturières : la seconde d'atelier, Rachel, solide et efficace ; l'ancienne, Macy, qui représente la tradition, l'expérience et l'excellence ; Lody, la joie et la bonté incarnée, et puis la magnifique Siam, métisse et compagne d'Abel, taiseuse mais doigts d'or. Il y a aussi deux domestiques chinois, Chao et Heng, qui ne s'aiment pas, l'un majordome et l'autre jardinier, l'un mystérieux et un peu angoissant, l'autre colosse et rassurant.
Dans ce microcosme que nous découvrons avec Elinor, la jeune fille trouve rapidement sa place, travaille comme quatre et sait se faire apprécier par son incroyable gentillesse. Mais les petites intrigues des uns et des autres, les lourds secrets, y compris celui d'Elinor, les envies et les rêves de ce petit monde, et la fièvre de la préparation du bal d'hiver vont se nouer petit à petit et resserrer leur étau autour des personnages.
La série ne fait que trois tomes. L'intrigue n'a pas la complexité d'un bon polar, mais elle est très habilement menée et les fils sont suffisamment nombreux et bien tissés pour qu'on ne s'ennuie jamais. Dans ce décors feutré et doux comme la soie, la vie et la mort vont et viennent, les joies succèdent aux chagrins et la tension monte imperceptiblement jusqu'au troisième tome où tout s'emballe, pour le meilleur et le pire, sans tomber dans l'invraisemblance une seule fois. On redoute la fin, on la suppute, on la refuse, mais elle est d'une implacable logique, et elle arrive comme un concours de circonstances imparable, un destin.
L'ambiance feutrée ne masque pas une certaine brutalité, qui s'exprime d'une manière toute féminine, qui pour en être moins sanglante que dans les histoires de garçons n'en est pas moins violente. Les hommes ne sont pas absents, loin de là, et ne sont pas réduits à la figuration, mais ce ne sont pas eux les moteurs de l'histoire : ce sont les femmes.
L'histoire aborde aussi le thème de l'anorexie avec une très grande délicatesse, ce qui n'est pas son moindre mérite. Quant à l'ultime conclusion de l'histoire, en forme maxime, elle est laissée à Heng, le jardinier, et elle m'a beaucoup plu, même si elle ne m'a pas débarrassée d'une poignante mélancolie à la lecture du mot fin.
Le dessin aux allures de mangas est très rond, agréable, et les couleurs chatoyantes. Il plaira à un public jeune (les deux premiers tomes ont été testé avec grand succès auprès des lycéennes d'Issoudun l'année dernière, je pense que la série trouvera bientôt sa place au collège). Les décors et les tenues sont en général sobres, ce qui fait ressortir la beauté des robes des bals. Les personnages sont facilement reconnaissables mais pas caricaturaux (à l'exception de la veuve Bethania, mais des veuves Bethania, nous en connaissons tous au moins une, et peut-être encore plus acariâtres que celle-là....), ce qui ajoute à la lisibilité de l'ensemble.
Aviez-vous compris combien j'ai aimé cette série ? Bien sûr, j'aurai peut-être apprécié un quatrième bal, une autre fin... mais ces trois tomes forment un tout bien cadencé, une histoire complète et non une succession d'épisodes. Plus aurait été trop ; moins aurait fait manquer aux amateurs de bandes-dessinées un très bel ouvrage.
2 commentaires:
Tiens, je vais mettre ça sur ma liste de suggestions pour le CDI, ça changera de la sainte trinité Titeuf, Kid Paddle, Légendaires.
C'est une vraie histoire de filles, pas gnangnan, sans fin heureuse (mais avec un mariage quand même...), sans fin du monde, et surtout c'est une histoire qui aborde des thèmes très intéressants pour les adolescent(e)s. Et puis le graphisme manga, sans les excès du genre, plait beaucoup. Tu m'en diras des nouvelles quand tu l'auras fait tester ?
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