Maître
incontestable et incontesté du roman noir, mais souvent réduit à sa
dimension polardesque, Jim Thompson est l’une des figures les plus
importantes de la littérature américaine. Comme beaucoup d’auteurs
américains de romans noirs c’est en France que son oeuvre a suscité le
plus grand intérêt, mais sa réhabilitation auprès des hautes sphères
intellectuelles est hélas bien trop lente, notamment aux Etats-Unis
(reconnaissons tout de même qu’Hollywood repéra rapidement le potentiel
cinématographique de son oeuvre). Souvent cité pour son exceptionnel
roman 1275 âmes, Jim Thompson est pourtant l’auteur d’autres romans majeurs, au premier rang desquels figure Le démon dans ma peau, qui donna lieu à deux adaptations cinématographiques.
Lou Ford est natif de Central City, une petite ville tranquille perdue
au fin fond des plaines du Texas. Sa famille est l’une des plus
respectée de la région et son père y exerça la fonction de médecin
jusqu’à sa mort. En apparence l’enfance de Lou fut sans histoire et sa
vie d’adulte a tout de celle du paisible flic de campagne dont l’horizon
d’attente peine à dépasser les frontières du comté. Un boulot peinard,
une magnifique petite amie, une maison héritée à la mort de son père...
le roman aurait pu s’intituler “la vie est un long fleuve tranquille”.
Mais dans l’intimité, Lou lutte en réalité contre de terribles démons
hérités d’un ancien traumatisme infantile, jusqu'au jour où il ne peut
plus se contenir et laisse la violence se déchaîner. Lou aime
particulièrement cogner les femmes, alors il démolit une prostituée avec
laquelle il entretenait une relation sado-masochiste et abat dans la
foulée le fils d’un important homme d’affaire local. Il s’empresse
ensuite de maquiller son crime pour aiguiller ses collègues sur de
fausses pistes. Mais un crime en entraîne un autre et Lou s’engage dans
une spirale infernale faite de mensonge, de dénis et trahisons.
Le démon dans ma peau
est le second roman de Thompson à mettre en scène un flic pourri en
milieu rural (ou semi-rural) et l’on peut pointer un certain nombre de
similitudes. Mais Lou Ford n’est pas exactement Nick Corey, le shérif
roublard de 1275 âmes,
dont l’objectif est avant tout de se maintenir au pouvoir de manière
opportuniste. Alors que Nick Corey est un calculateur et un
manipulateur, Lou Ford est surtout un homme torturé, traumatisé par son
passé et qui tente de contenir ses démons sans réellement y parvenir ;
les mécaniques psychologiques qui les conduisent au meurtre sont
différentes, même si en apparence les deux hommes affichent une attitude
décomplexée, voire une arrogance déplacée. On détecte cependant dès le
départ une tendance prononcée au sadisme chez Lou Ford, ne serait-ce que
dans sa manière de titiller ses interlocuteurs lors de conversation en
apparence anodines, mais qui n’ont d’autre but que de mettre mal à
l’aise. Un fond de perversion qu’on ne retrouve pas tout à fait chez
Nick Corey, qui est un enfoiré de première mais pas exactement un serial
killer. Sauf erreur, Le démon dans ma peau est l’un des premiers romans à mettre en scène à la première personne un véritable psychopathe, bien avant l’excellent Un tueur sur la route de James Ellroy.
En filigrane Thompson décrit également le microcosme que représente
cette petite agglomération rurale, les pressions exercées par les
notables et en particulier par ceux qui détiennent le pouvoir
économique, les petits arrangements dégueulasses entre puissants et le
localisme forcené des élites. Une communauté gangrenée jusqu’au coeur,
qui cache ses vices et les turpitudes de ses concitoyens derrières ses
façades immaculées. Un background qui n’est d’ailleurs pas sans
rappeler le Poisonville de Dashiell Hammett en version campagnarde.
Reste au final un roman précurseur, féroce, violent, diaboliquement
intelligent dans sa narration et d’une noirceur peu commune.
4 commentaires:
Je note ! Du même auteur, j'avais lu La mort viendra, petite. J'en garde un bon souvenir.
Pour ma part je considère que "1275 âmes" est encore un cran au-dessus, en raison notamment des dialogues et de la personnalité assez hallucinante du sherif Corey.
Et paf. On s'en quelque temps, il en profite pour refaire le papier peint. Pas mal la déco... Pour le reste, je suis noyée dans ma rentrée, et je lis plutôt des romans jeunesse. mais ne désespère pas de me revoir rôder par chez toi...
Eh ouais, le noir sur fond noir ça devenait déprimant.
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