Depuis quelques années, le travail de Frantz Duchazeau semble particulièrement inspiré par la musique et par l’histoire du sud des Etats-Unis. Après Le rêve de Meteor Slim, magnifique hommage au blues des années trente, et Les jumeaux de Conoco Station, directement ancré dans le rock n’roll des fifties, le dessinateur et scénariste replonge à nouveau dans les racines de la musique afro-américaine, avec un album consacré à John et Alan Lomax. Le père et le fils Lomax ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la musique américaine grâce à leur travail de collecte et de préservation du patrimoine musical (dans les répertoires folk et blues essentiellement) pour le bénéfice de la bibliothèque du Congrès (l’équivalent de notre BNF pour les Etats-Unis). L’apport des deux musicologues américains est tout simplement inestimable et leur rôle dans l’histoire de la musique n’a pas d’équivalent, durant près de dix ans ils contribuèrent à l’enrichissement des collections de l’Archive of American Folk Song, avant qu’Alan reprenne seul le travail de son père. On leur doit une quantité inestimable d’enregistrements d’artistes afro-américains, que l’on retrouve encore couramment sur les compilations de standards du blues. Ces enregistrements font certes le bonheur des labels peu scrupuleux, qui rééditent à peu de frais ces chansons fondatrices et fondamentales du blues, mais il faut bien comprendre que sans le travail de collecte et d’archivage de John et Alan Lomax, tout un pan de la musique afro-américaine, celle-là même qui constitue les racines originelles du rock, de la soul et du hip-hop, serait tout simplement perdu. Plus que cela, grâce à leur travail de terrain, certains bluesmen sont sortis de l’ombre, tel Leadbelly pour qui Alan Lomax jouera le rôle de producteur ou bien encore Muddy Waters, qu’Alan réussit à convaincre de son potentiel musical et commercial.
On mesure assez mal, à moins de connaître dans le détail la vie des deux musicologues, la difficulté du travail qu’ils entreprirent dans le courant des années trente. Le blues est alors une musique de ghetto, circonscrite aux états de la région du delta. Cette région, qui ne correspond pas géographiquement au delta du Mississippi n’a pas davantage de réalité administrative, c’est une aire culturelle à cheval sur plusieurs états et qui s’étend de Memphis (Tennessee) au Nord, jusqu’à Vicksburg (Mississippi) au sud, elle est encadrée par le fleuve Mississippi à l’ouest et la Yazoo river à l’est. Le delta représente le sud profond des Etats-Unis, un territoire profondément marqué par la guerre de sécession et encore régi par les lois Jim Crow. C’est une région de plantations de coton où l’esclavage, s’il a disparu officiellement, marque de son empreinte les relations sociales, politiques et économiques ; l’industrie y est marginale et la mécanisation de l’agriculture, alliée à la crise économique, pousse dès les années trente la communauté noire à émigrer vers le nord, en particulier à Chicago et dans une moindre mesure à Saint Louis et Detroit. La plupart de ces migrants emprunteront la route 61, reliant la Nouvelle Orléans à Chicago, ce qui explique le caractère encore mythique de cet itinéraire pour les amateurs de blues.
Mais nous n’en sommes pas encore là. Frantz Duchazeau s’intéresse à la première campagne de collecte des Lomax (1933). John a déjà dépassé la soixantaine et son fils Alan est alors tout juste âgé de 18 ans, au volant de leur voiture ils sillonnent les routes du sud et enregistrent sur des cylindres de cire les chansons traditionnelles interprétées par les bluesmen locaux. Ils se heurtent ainsi très rapidement à l’hostilité des blancs, qui voient d’un sale oeil deux étrangers troubler l’ordre public, c’est à dire accorder un peu d’attention et de respect à des noirs, ou à la peur de ces derniers, tétanisés par la démarche des deux musicologues. Mais en dépit des difficultés, leur patience et leur obstination finissent par payer et les portes des plantations et des juke joints finissent par s’ouvrir. L’entreprise rencontrant un certain succès, ils obtiennent de la part de la bibliothèque du congrès du nouveau matériel, un phonographe enregistreur de plus de 150 kg qu’il installent dans le coffre de leur Ford. Ils auront l’occasion de l’inaugurer au pénitencier d’Angola, en enregistrant un certain Huddie Ledbetter, alias Leadbelly, qui fut probablement leur plus grande (re)découverte parmi des dizaines d’artistes plus ou moins oubliés aujourd’hui (Stavin Chain, Tom Bradford, Ernest et Paul Jennings...).
Mais nous n’en sommes pas encore là. Frantz Duchazeau s’intéresse à la première campagne de collecte des Lomax (1933). John a déjà dépassé la soixantaine et son fils Alan est alors tout juste âgé de 18 ans, au volant de leur voiture ils sillonnent les routes du sud et enregistrent sur des cylindres de cire les chansons traditionnelles interprétées par les bluesmen locaux. Ils se heurtent ainsi très rapidement à l’hostilité des blancs, qui voient d’un sale oeil deux étrangers troubler l’ordre public, c’est à dire accorder un peu d’attention et de respect à des noirs, ou à la peur de ces derniers, tétanisés par la démarche des deux musicologues. Mais en dépit des difficultés, leur patience et leur obstination finissent par payer et les portes des plantations et des juke joints finissent par s’ouvrir. L’entreprise rencontrant un certain succès, ils obtiennent de la part de la bibliothèque du congrès du nouveau matériel, un phonographe enregistreur de plus de 150 kg qu’il installent dans le coffre de leur Ford. Ils auront l’occasion de l’inaugurer au pénitencier d’Angola, en enregistrant un certain Huddie Ledbetter, alias Leadbelly, qui fut probablement leur plus grande (re)découverte parmi des dizaines d’artistes plus ou moins oubliés aujourd’hui (Stavin Chain, Tom Bradford, Ernest et Paul Jennings...).
Au fil des pages se dessine le portrait de deux hommes unis par des liens d’une force étonnante et par une passion commune : la musique. Deux progressistes qui se moquent des histoires de race et de couleur, transgressent les lois ségrégationnistes et les préjugés pour mener à bien leur démarche artistique et culturelle. La BD de Frantz Duchazeau, illustrée par de magnifiques planches en noir et blanc est une porte ouverte vers le Sud profond, vers ces états pauvres et délaissés par le rêve américain, qui depuis plus d’un siècle ont si peu changé.
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