
Honnêtement, la SF ethnologique (magnifiée dans ce roman par l’étonnante superposition des cultures) ne court pas vraiment les rues, alors quand on met la main sur un spécimen on ne peut qu'être intrigué ; en l'occurrence La cinquième tête de Cerbère vaut moins pour l'originalité de l'histoire que pour la narration absolument brillante de Gene Wolfe. On pense tour à tour à Le Guin, R.C Wilson ou bien encore à Iain M. Banks, tant la manière de raconter, tout en subtilité, se rapproche de la peinture ; au début c'est la toile blanche, puis l'auteur dessine un contour, apporte quelques touches ici et là pour donner vie à son oeuvre. Et lorsque le tableau est terminé, il faut encore l'observer sous différents angles, se rapprocher, reculer, s'attarder sur quelque détail pour en saisir toute la subtilité. L'écriture de Gene Wolfe est absolument irréprochable, tout en douceur et en légèreté, pas d'effets de style pour épater le lecteur, pas d'esbroufe et une proximité psychologique avec les personnages remarquable. Gene Wolfe a la capacité de dire beaucoup en peu de mots, ce qui lui permet d'éviter le didactisme dont font preuve nombre d'écrivains de SF. C'est un vrai plaisir que de lire ce roman qui brasse des tonnes de concepts passionnants ; la gémellité et la copie, la notion d'unicité, le rôle de la mémoire (dans le premier récit le personnage central est un clone), mais également des questions essentielle sur le colonialisme, le génocide ou bien encore la notion de paradis perdu. Les lecteurs habitués de Gene Wolfe ne seront pas dépaysés, l’auteur utilise avec bonheur les procédés narratifs qui ont fait sa réputation et le texte regorge en réalité de petites subtilités qui peuvent, si le lecteur est suffisamment attentif, renverser complètement le sens du récit. Les dix dernières pages du roman sont à ce titre tout à fait symptomatiques de cette approche littéraire.
La cinquième tête de Cerbère est une oeuvre marquante, envoûtante et définitivement géniale, à condition d’apprécier les récits lents et subtils empreints d’une profonde mélancolie.