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mardi 26 octobre 2010

L'espion qui venait des îles : Dr Frigo, de Eric Ambler

Pas forcément très populaire auprès du grand public, Eric Ambler est pourtant considéré par ses pairs comme l’un des maîtres du roman d’espionnage. Ses livres auraient, dit-on, inspiré John Le Carré en personne et Hitchcock aurait fait appel à ses services à maintes reprises. D’ailleurs, sans le savoir, vous connaissez très probablement Eric Ambler, car il fut co-scénariste (mais non crédité au générique) des Révoltés du Bounty de 1962. On a vu pire comme CV. Curieusement, l’un des derniers romans du maître, Dr Frigo, n’avait jamais été publié en France. 36 ans après la parution originale du roman, les éditions Rivages/noir réparent cette terrible injustice

Médecin apprécié d’un petit hôpital insulaire, Ernesto Castillo, alias Dr Frigo, coule des jours paisibles sur sa petite île des Caraïbes ; jusqu’au jour où il est convoqué par la DST. Que peut bien vouloir le contre-espionnage français à un petit médecin de son calibre ? C’est que le Dr Castillo n’est pas exactement le premier venu. En dépit de ses efforts pour se démarquer du passé, Ernesto Castillo ne peut effacer le fait qu’il est le fils d’un ancien président assassiné par la junte militaire, quelque part dans un obscur pays d’Amérique latine. Affaiblie, la dictature militaire est sur le point de s’écrouler et les anciens lieutenants de son père ont senti le vent tourner. Avec l’aide du gouvernement français (et donc de la DST), ils tentent plus ou moins adroitement de se rapprocher de Castillo, afin de s’arroger une partie de la popularité dont il bénéficie dans son pays en tant que fils de martyre. Sauf que le sujet de leur convoitise n’est pas vraiment intéressé par la lutte politique. En fait, le Dr Frigo aurait préféré qu’on le laisse exercer la médecine en toute tranquillité sur son île paradisiaque. Hélas pour lui, son pays d’origine aiguise d’autant plus les convoitises, qu’on y a découvert d’importants gisements de pétrole. Tous les éléments sont donc réunis pour transformer cette affaire en une véritable pétaudière où intérêts politiques, économiques et personnels se confondent de manière douteuse et nauséabonde. Les événements vont prouver au Dr Castillo qu’il est difficile d’échapper à son passé, même lorsqu’on fuit son héritage paternel depuis près de deux décennies.

Je m’en voudrais de paraître trop catégorique, surtout après n’avoir lu qu’un seul de ses romans, mais avec Dr Frigo, Eric Ambler prouve que sa réputation de maître du roman d’espionnage est loin d’être usurpée. Sans avoir l’air d’y toucher, ce livre lève un coin de voile sur cette petite cuisine malodorante, ces tractations douteuses qui se jouent à l’échelle des états et dont quelques personnages hauts en couleur, barbouzes, hauts fonctionnaires tatillons ou politiciens cyniques, se sont fait une spécialité (certains y ont même gagné un prix Nobel de la paix). A mille lieues des romans à la Ian Flemming, Dr Frigo, s’inscrit dans la veine réaliste du roman d’espionnage, sans gadget, sans course-poursuite, sans explosion ni coup de feu... bref, sans esbroufe. Ce côté quasiment documentaire et clinique fait la grande force d’un récit, qui, sur le plan purement stylistique, ne surprend guère, mais reste fluide et agréable à lire. La seconde bonne idée d’Eric Ambler, c’est d’avoir imaginé des personnages de fiction d’une très grande justesse. A cet égard, Castillo est l’un des plus parfaits exemples d’anti-héros de la littérature moderne, à la fois sobre, juste et tout simplement dépassé par les événements. Un cas suffisamment rare pour être souligné, dans un genre où les protagonistes principaux sont souvent plus proches d’un Jason Bourne (La mémoire dans la peau, de Robert Ludlum) que d’un Joseph Turner (Les six jours du Condor, de James Grady ; un auteur sur lequel il faudra que je revienne plus longuement).

samedi 9 octobre 2010

Polar pop corn : Savemore, de Sean Doolittle


Loin de se scléroser en ne se concentrant que sur les auteurs phares de son prestigieux catalogue, la collection dirigée par François Guerif est perpétuellement à la recherche de nouveaux talents. Le petit dernier s’appelle Sean Doolittle et son second roman, Savemore, fait la preuve que, malgré une recette largement éprouvée, ce n’est pas uniquement dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.

Rétrogradé après avoir frappé l’officier avec lequel vit désormais son ex-femme, Mathew Worth exerce ses fonctions d’agent de police dans un petit supermarché de banlieue. Une mesure disciplinaire qui pourrait être mal vécue par n’importe quel policier, mais que Mathew prend avec une certaine philosophie. Et le jeune homme se fait un devoir d’assurer ses missions avec le plus grand sérieux. Il dissuade les voleurs potentiels, rend service à la ménagère en empaquetant les achats et, accessoirement, prend un certain plaisir à observer le travail de la jolie Gwen, caissière de son état. Pas exactement heureuse en ménage, Gwen travaille surtout pour payer ses études d’infirmière et entre deux clients, il lui arrive souvent de sortir un livre de cours pour réviser. De temps à autre, Mathew assiste aux passes d’arme qui l’opposent à son petit ami, une brute à l’esprit étroit, amateur de grosses cylindrées. Un soir, voyant la situation s’envenimer, il juge bon d’intervenir, déclenchant une réaction de jalousie totalement disproportionnée de la part de l’apollon bodybuildé. Prise à partie et battue de retour à la maison, Gwen tue la Bête en situation de légitime défense. C’est à partir de là que les choses de gâtent. Au lieu de prévenir ses collègues et de mettre en branle les procédures réglementaires, Mathew décide de maquiller la scène de crime. Il embarque le corps dans le véhicule surpuissant du défunt propriétaire, nettoie de fond en comble l’appartement et prend la déposition de Gwen en modifiant quelques éléments clés pour faire croire que le petit ami s’est enfui après avoir simplement battu sa compagne. Sauf que le petit ami en question appartenait à la pègre et que sa voiture contenait plusieurs centaines de milliers de dollars soigneusement dissimulés.

Les intrigues policières les plus réussies ne sont pas forcément les plus complexes, c’est ce que semble avoir parfaitement intégré Sean Doolittle, qui a plutôt pris le parti de soigner sa narration et ses personnages. Il en résulte un roman d’une fluidité exemplaire, rondement mené et remarquablement prenant. Mais si Savemore fonctionne aussi bien, c’est essentiellement grâce à Mathew Worth, ce faux loser qui entretient avec une facilité déconcertante l’illusion à propos de son personnage. Rétrogradé, rabaissé voire carrément humilié, Mathew est en réalité un petit malin qui réussit contre toute attente à tirer son épingle du jeu. Évidemment, l’ambiguïté n’est pas totale, le lecteur sait bien que cet éternel second couteau, qui court sans cesse après le fantôme d’un frère couvert de gloire, a en réalité bon fond et sa naïveté n’est pas tout à fait feinte ; elle se heurte d’ailleurs à un principe de réalité bien tangible. Bref, Savemore fait partie de ces petits polars bien troussés, qui nous régalent sur le moment, mais hélas s’oublient relativement vite. Pas grave, il nous aura au moins diverti quelques heures. On attend cependant Sean Doolittle au tournant, en espérant que son prochain roman soit sur la forme aussi réussi et sur le fond nettement plus mordant.