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mercredi 14 octobre 2020

Noirceur totale : Affronter l'orage, de Larry Brown

Il y a des livres dont on sait, avant même d’en débuter le premier chapitre, à peu près ce qu’ils nous réservent, mais il en est d’autres que l’on ne voit pas forcément arriver et que l’on prend en pleine face au moment où l’on s’y attend le moins. Vous ne serez sans doute guère surpris de constater que ce recueil de nouvelles de Larry Brown appartient indiscutablement à la seconde catégorie. Associé pour je ne sais trop quelles raisons aux écrivains de l’école du Montana, Larry Brown est né dans le Mississippi et y a vécu toute sa vie avant de mourir à l’âge prématuré de 53 ans. Son univers est donc étroitement associé à cette région et on retrouve dans ses textes l’atmosphère très particulière du Sud profond, ses problématiques sociales ainsi que la mentalité qui y règne, encore largement imprégnée de préjugés et de racisme. Issu d’un milieu plutôt populaire, Brown a exercé de multiples boulots (bûcheron, charpentier, peintre, pompier…) avant de connaître le succès en tant qu’écrivain. Sa littérature est à l’image de son existence, elle parle des gens simples, de la misère et de la pauvreté, elle évoque les problèmes de drogue ou d’alcool, aussi bien que les disputes amoureuses et les déchirures. Elle est rude, âpre et sans concessions, elle cogne et ne laisse aucun répit au lecteur. Tenez-le vous pour dit, Larry Brown ne fait pas dans la littérature pour les fines bouches et appuie là où ça fait mal. Et pourtant il y a une grande sensibilité dans son écriture, une capacité à saisir la nature humaine et à nous toucher au plus profond. Parce qu’il parle à notre humanité et ne s’embarrasse pas de fioritures.

Les neuf nouvelles qui composent ce recueil sont d’une noirceur absolue et s’adressent aux lecteurs qui ont le coeur bien accroché. Difficile de toutes les évoquer sans sombrer dans le catalogage. Je me contenterai d’en évoquer trois qui m’ont particulièrement impressionné et qui, je pense, méritent à elles seules l’achat de ce recueil. Commençons avec “Julie : un souvenir”, qui est le seul texte un peu expérimental du livre. Récit totalement déstructuré évoquant à la fois un viol et un avortement, “Julie” alterne les phrases en apparence sans queue ni tête, avant que progressivement le lecteur ne réussisse à ressembler les morceaux du puzzle et à reconstituer, sans certitude néanmoins, le fil des événements. Un texte à la fois très dur et déstabilisant, pour lequel une seconde lecture est sans doute nécessaire. “Jésus et ce bon vieux Frank” est également une pièce de choix de ce recueil et raconte sans concession le lent glissement psychologique d’un agriculteur au bout du rouleau, épuisé par un métier de plus en plus dur, démoralisé par la chute de ses revenus et par une femme peu aimante et dépensière. Un récit désespéré au bout duquel aucun espoir ne subsiste. Mais à mon sens la nouvelle la plus touchante est sans doute “Partir”, parce que ce texte recèle encore un peu d’espoir malgré sa noirceur, et cet homme, lui aussi épuisé par un travail éreintant, le manque de considération d’employeurs prêts à le remercier à la moindre défaillance physique, trouve un sens à sa vie en prenant soin de la petite fille handicapée de sa compagne, dont il n’est pourtant pas le père. Bien que le texte soit aussi très dur, il paraît lumineux au milieu de cette noirceur infinie. Les autres nouvelles ne déméritent pas pour autant et leur valeur, tant du point de vue littéraire que de l’analyse sociale, est indiscutable.

Lire Larry Brown n’est pas exactement une partie de plaisir tant ses textes prennent le lecteur à froid dès les premières pages. Mais la noirceur de ces nouvelles n’a rien de gratuit ou de l’exercice de style, sa littérature sent le vécu ou, tout du moins, a valeur de témoignage. Elle est le porte-voix de l’Amérique profonde, celle des pauvres, des minorités et autres oubliés du grand rêve américain. Avec son écriture simple et directe, mais d’une très grande force, il en dresse le portrait à la fois implacable et terriblement humain, sans complaisance et sans en édulcorer toute l’horreur. Vous ne sortirez pas totalement indemne de cette lecture tant la voix puissante de Larry Brown résonne encore longuement une fois la dernière page tournée.


4 commentaires:

Soleil vert a dit…

Gallmeister au sommaire de mes deux "blogpotes"

Emmanuel a dit…

C'est un éditeur que j'apprécie beaucoup, d'ailleurs ils sont montés en puissance depuis l'arrivée de François Guérif. Leur catalogue a vraiment de la gueule.

Carmen a dit…

La noirceur du roman ne m’encourage pas trop à le lire.Je préfère aller vers des lecture plus gaies disons pour le moment.
Je n’exclus pas de le lire un jour,mais ces personnages n’ont aucune lueur d’espoir on dirait.
Après c’est vrai que tu donnes envie de le lire et que des lecteurs pourront ”accrocher”.

Emmanuel a dit…

Franchement, je comprends que ça puisse être un repoussoir pour certains lecteurs... et puis il y a tellement de choses lumineuses à lire. Moi j'aime bien alterner et voir toutes les facettes du monde.