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jeudi 8 octobre 2020

Spleen harrisonien : Nageur de rivière, de Jim Harrison

D’aucuns auront sans doute remarqué, chez votre serviteur, une tendance quelque peu monomaniaque à explorer aussi loin que possible une piste littéraire. Celle de Jim Harrison étant riche et féconde, et par ailleurs rarement décevante, je continue, après avoir terminé ses romans majeurs, à découvrir son oeuvre si singulière et notamment ses nouvelles, un genre que j’affectionne particulièrement et qui se fait pourtant si rare sous nos latitudes.  Les anglo-saxons appelleraient d’ailleurs ces textes relativement longs (entre 100 et 150 pages) des novellas plutôt que des short stories, mais en France nous ne faisons point la distinction. Certains diront qu’il s’agit là d’un détail secondaire et sans grande importance, mais au regard du nombre de pavés indigestes que j’ai lus au cours de ces dernières années, j’aurais tendance à penser que les éditeurs et les auteurs seraient bien inspirés de se pencher sur cette question, car toutes les idées n’ont pas vocation à être délayées sur des centaines et des centaines de pages…. et certains romans mériteraient bien une cure d’amaigrissement. La brièveté en matière de littérature est aussi une qualité et un exercice pas aussi évident qu’il n’y paraît. A l’instar de la photographie, où la distance entre le photographe et son sujet participe grandement à la réussite d’une image, à sa composition, tout autant que le cadrage, la littérature doit aussi s’adapter à son sujet et lui consacrer la longueur suffisante, mais sans excès. Pas plus que je ne juge la qualité d’un jambon à l’épaisseur de la couche de gras qui l’entoure, je ne juge la qualité d’un texte à sa longueur et je ne me suis jamais senti floué parce qu’un roman était trop court. Mais à l’heure des sagas à rallonge, sans doute n’est-ce pas un point de vue très en vogue. 



Ce nouveau recueil de nouvelles propose deux longs textes du maître, en tous points excellents, même si je l’avoue, j’ai un petit faible pour le premier (pardonnez donc cette impasse pour le second texte). “Au pays du sans-pareil” est un pur récit harrisonien, qui met en scène un vieil universitaire proche de la retraite, artiste raté, intello certifié amateur de bonne chère. Dans le milieu, Clive est surnommé plus ou moins amicalement “Monsieur Gros Bonnet”, sa réussite en tant que critique d’art et spécialiste de haut vol de la peinture américaine est incontestable, mais ces derniers temps rien ne lui réussit. Au cours d’une conférence, une femme le prend à partie et l’insulte copieusement, ruinant son intervention, mais également son costume préféré après lui avoir jeté un pot de peinture. Et puis sa soeur, désirant prendre des vacances bien méritées en Europe, ne cesse de le harceler pour qu’il vienne s’occuper de leur vieille mère, une femme à tendance castratrice, au caractère quelque peu revêche et passionnée d’ornithologie. Clive n’en a pas très envie, mais il doit bien cela à sa soeur. Il prend donc un congé d’un mois et se rend dans la ferme familiale. Aussitôt arrivé, Clive est assailli par les souvenirs. Le paysage qui s’offre à ses yeux depuis la fenêtre de sa chambre de petit garçon, les odeurs, les plats préparés par sa mère…. et surtout la présence de son ancien amour d’enfance, dont la beauté semble à peine ternie par les affronts du temps, tout cela s’impose à lui avec une douloureuse acuité. Mais peu à peu, l’esprit de Clive s’apaise, lentement un nouveau rythme s’empare de lui,  il renoue avec la peinture, cet art essentiel dont il s’était éloigné non pas intellectuellement mais sur le plan charnel. Au doute succède donc une certaine forme de sérénité et d’harmonie, qui permet à Clive d’envisager l’avenir sous un nouveau jour. 



Réflexion douce-amère sur le temps qui passe et la nécessité de renouer avec une vie simple et harmonieuse, “Au pays du sans-pareil” est un petit concentré des thèmes chers à Big Jim. On y retrouve un homme taraudé par le doute existentiel alors qu’il entre tout doucement dans la dernière phase de sa vie et que plus rien ne semble avoir de sens. Mais Jim Harrison insuffle toujours à ses personnages une énergie vitale qui les rend foncièrement attachants et profondément humains. Le sexe, la bonne bouffe, les balades en pleine nature, revoir les gens que l’on aime, voilà les éléments qui permettent de renouer avec une vie saine, joyeuse et pleine de sens, loin de l’agitation mortifère de la civilisation moderne. Comme tous les artistes, Jim Harrison répète invariablement les mêmes motifs, mais à chaque fois on se laisse convaincre par tant de verve, de joie de vivre et de simplicité. 




4 commentaires:

Carmen a dit…

Je l’avais lu et apprécié, même s’il reprend les mêmes thèmes souvent,le pouvoir de la nature,la mère castratrice, l’amour,le désir et toutes les contrariétés qui vont avec.
Finalement,on ne s’en lasse pas.

Bon week-end.😎

Emmanuel a dit…

C'est ça le talent, mêmes ingrédients, même recette et pourtant à chaque fois c'est un peu différent et toujours aussi plaisant.

Bon week-end à toi aussi !

Carmen a dit…

Je ne connaissais pas le Jim Harrison poète. Je suis tombée sur L’éclipse de lune de Davenport et autres poèmes. En e book.
Intrigant.

Joyeuses Fêtes de fin d’année à toi.

Emmanuel a dit…

Ecoute moi non plus, je n'ai jamais lu sa poésie, mais si jamais je tombe dessus je me ferai un plaisir de m'y plonger.

Bonnes fêtes Carmen !