Les
amateurs de manga connaissent déjà probablement l’adaptation très
fidèle et très touchante réalisée par Jiro Taniguchi de ce
beau roman de Hiromi Kawakami, mais peut-être n’ont-ils jamais eu
l’occasion ou la curiosité de lire l’oeuvre originelle, qui
mérite assurément qu’on s’y attarde un peu. Publié en 2005 aux
éditions Picquier, Les
années douces
fait
partie de ces romans qui semblent en apparence céder aux sirènes de
la sensiblerie éhontée, on serait presque tenté, au vu du résumé
de la quatrième de couverture, de le voir plutôt figurer au
catalogue de la collection harlequin…. Jugement hâtif et erroné,
voire un peu méprisant à l’égard de ceux qui aiment les romans à
l’eau de rose, après tout chacun est libre d’avoir quelque
passion coupable.
Tsukiko,
jolie jeune femme de 37 ans, mène une vie de célibataire un peu
solitaire. Mais alors que certains comblent leur vide affectif en
multipliant les sorties entre amis, Tsukiko se contente d’aller
boire du saké après le travail, dans un petit troquet à l’abri
de l’agitation d’une mégapole toujours très affairée. C’est
là qu’un soir elle fait la rencontre de l’un de ses anciens
professeurs de lycée, de trente ans son aîné, et qu’elle
surnomme affectueusement le maître. Ensemble ils se souviennent de
leurs vies passées, partagent de nombreux verres de saké, ainsi que
les petits plats que l’on consomme traditionnellement pour
accompagner cette boisson. Lentement des liens se tissent, balisés
par ces rencontres désormais devenues rituelles sans qu’aucun
d’eux ne se concerte : même heure, même lieu, mêmes gestes…
bercés par le rythme de leurs conversations feutrées. De temps à
autre, les deux amis s’autorisent quelques sorties, une cueillette
de champignons, une balade au marché ou bien encore la fête des
cerisiers en fleur. Jusqu’au jour où Tsukiko réalise qu’elle
est bien plus attachée au maître qu'elle ne l'avait imaginé.
Les
années douces
est
un roman d’amour à la fois doux et subtil, mais aussi un récit
étonnant sur le Japon contemporain, qui nous permet de mieux cerner
certaines facettes de la société japonaise et de ses moeurs, que
l’on a tendance à réduire à l’agitation tokyoïte des
quartiers les plus animés, en oubliant que tous les Japonais ne sont
pas des poulpes scotchés à leur téléphone portable ou bien encore
des salarymen avides de réussite professionnelle. Pour être
tout à fait honnête, le roman semble échapper à l’agitation qui
caractérise la vie urbaine actuelle de façon sans doute un peu trop
romanesque pour être totalement réaliste. C’est probablement ce
décalage, cette dimension en dehors du temps, qui lui confère
autant de charme et rend l’histoire si touchante, mais également
sa grande délicatesse et son extrême pudeur. Lent, contemplatif, le
roman de Hiromi Kawakami aime à prendre son temps, berçant le
lecteur sur un rythme auquel il est peu habitué, s’attardant sur
les détails qui font tout le sel de l’existence et donnent du
relief aux personnages. A lire impérativement, ainsi que
l’excellente adaptation graphique de Jiro Taniguchi.