Grand
classique de la littérature américaine contemporaine, La
fenêtre panoramique
souffre
en France de la réputation plus que discrète de son auteur, Richard
Yates, considéré pourtant aux Etats-Unis comme un auteur majeur et
une figure incontournable des lettres américaines. Mais cela n’a
pas toujours été le cas, l’écrivain new-yorkais ayant même
failli tomber dans l’oubli, délaissé par les universitaires et
presque oublié par la critique (en son temps le prestigieux New
Yorker
refusa
obstinément de le publier). Mais ses pairs ont toujours reconnu son
influence, de Tennessee Williams à Raymond Carver en passant par
Richard Ford ou Joyce Carol Oates, nombreux sont les écrivains à
avoir salué son oeuvre, lui permettant à titre posthume d’entrer
au panthéon des auteurs respectés et admirés. Yates désormais
devenu auteur culte ! Le bonhomme s’en retournerait sans doute dans
sa tombe de dépit, lui qui mourut dans le dénuement le plus total,
abandonné de tous, mais laissant en héritage une oeuvre dont
aujourd’hui tout le monde s’accorde à citer les louanges. La
fenêtre panoramique
est
considéré comme son chef d’oeuvre et bénéficia en 2007 d’une
adaptation cinématographique assez réussie (Les
noces rebelles),
signée Sam Mendes.
USA,
fin des années cinquante. April et Frank Wheeler semblent incarner à
eux seuls le couple parfait. Jeunes, beaux, intelligents et cultivés,
ils occupent avec leurs deux enfants un joli petit pavillon de
banlieue, non loin de New-York. Mais leur bonheur de façade cache
mal leur désespoir et la crise qui couve déjà depuis plusieurs
années, car le couple aspire en réalité à autre chose. Cette
petite vie tranquille et confortable, à laquelle tout bon Américain
se doit de rêver, fait surtout le lit de leur frustration,
intellectuelle, morale et professionnelle. Plus jeune, April se
voyait déjà comédienne, son insolente beauté alliée à son
talent pour le théâtre allaient directement la propulser vers
Broadway. Quant-à Frank, son esprit brillant devait le mener bien
plus loin que son modeste poste d’employé de bureau pour une
société de machines à calculer. Mais le talent ne suffit pas
toujours face aux aléas de la vie et lorsque vint accidentellement
le premier enfant, Frank et April firent une croix sur leurs rêves.
Ils quittèrent leur modeste appartement new-yorkais et achetèrent
un pavillon en banlieue, une voiture, une télévision et tout
l’électroménager auquel aspire toute mère de famille qui se
respecte. Solution non satisfaisante pour construire sur des bases
plus que fragiles les fondations de leur future vie. Désormais
arrivés à un croisement de leur existence, les Wheeler prennent la
décision de renouer avec leurs vieux rêves, bien décidés à ne
plus se laisser piéger par les vicissitudes de la vie, ils
envisagent de partir à l’étranger et de se donner le temps
d’accomplir quelque chose. C’était sans compter sur le sort,
April tombe à nouveau enceinte et Frank se voit offrir une
promotion, remettant en cause le bien fondé de leur départ.
Construit
à la manière d’une tragédie grecque, Le
fenêtre panoramique
est
un roman difficile, sombre et désespéré. Yates y ausculte la face
cachée du rêve américain, cette obligation de bonheur conditionnée
par une consommation frénétique, la réussite matérielle étant la
preuve d’une vie réussie et épanouie. Et c’est sans doute ce
constat qui secoue le plus le lecteur, ce n’est ni le manque
d’amour, ni même l’infidélité qui brise le couple Wheeler,
mais tout simplement le rythme usant et monotone de la vie moderne.
Perdre ses rêves, perdre la foi et se bercer d’illusions de
bonheur, devenir la marionnette de sa propre vie et se faire broyer
par le rouleau compresseur d’une société qui étouffe les élans
du coeur et les véritables aspirations intellectuelles ou
artistiques à coup de slogans publicitaires, sacrifiant les femmes
et les cantonnant dans leur rôle de mère de famille. Lentement
et méthodiquement Yates décrit la lente implosion d’un couple qui
se ment à lui-même pour sauver les apparences et préserver les
conventions sociales. Se conformer au modèle, se couler dans le
moule pour correspondre à ce que le société attend de vous, quitte
à foncer droit dans l’impasse et s’écraser contre le mur à
pleine vitesse. Sidérant et toujours aussi moderne cinquante ans
plus tard.