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mardi 28 janvier 2014

Uchronie militaire : Tempête rouge, de Tom Clancy

Né de la rencontre entre Tom Clancy, tout juste auréolé du succès de son premier roman, Octobre rouge (1984), et Larry Bond (le fameux créateur du jeu Harpoon), Tempête rouge (1986) est l’un des rares romans de l’auteur à ne pas appartenir au cycle de Jack Ryan, cet agent de la CIA devenu une superstar du renseignement.  La préface de Tom Clancy est d’ailleurs tout à fait claire concernant la genèse du roman et souligne tout ce que l’auteur doit au travail de Larry Bond ; l’attitude est suffisamment rare pour être soulignée.  Si au milieu des années 80 le roman pouvait passer pour une habile histoire de politique-fiction superbement documentée, il paraît aujourd’hui difficile d’adopter ce type de point de vue tant la réalité politique s’est éloignée de ce que la fiction de Tom Clancy avait imaginé à l’époque. Peut-être faut-il considérer le roman comme une uchronie mettant en scène une troisième guerre mondiale, dans un conflit conventionnel mais purement hypothétique. Toujours est-il que la suspension de l’incrédulité sera chez les lecteurs mise à rude épreuve durant près de 800 pages. Ces précautions ayant été prises, nul doute que nous ayons affaire à l’un des meilleurs romans d’un auteur devenu hélas, au fil des années, non seulement répétitif, mais également  fortement conservateur, voire politiquement douteux. Pour être honnête, Tom Clancy reste un auteur très intéressant dans la première partie de sa carrière littéraire, jusqu’au virage fatidique de Rainbow Six, où l’écrivain se transforme en véritable faucon, fer de lance d’un patriotisme triomphant….jusqu’au ridicule.  Ses interventions publiques, notamment consécutives aux attentats du 11 septembre ne laissent planer aucun doute quant à ses orientations politiques ; Donald Rumsfeld n’aurait sans doute pas renié ses saillies les moins subtiles. Mais rien de tout cela dans Tempête rouge, le roman paraît même étonnamment mesuré sur le plan idéologique et n’a rien du brûlot anticommuniste auquel on aurait pu s’attendre.

L’action se situe donc au milieu des années 80. Alors que l’URSS peine à soutenir la compétition qui l’oppose aux Etats-Unis et s’enlise du côté de l’Afghanistan, son économie est mise en péril par un attentat perpétré par un groupe de terroristes islamistes dans l’une de ses plus importantes raffineries d’hydrocarbures. Quasiment au bord de l’asphyxie énergétique, l’URSS cherche une solution qui ne l’obligerait pas à courber l’échine et à mendier auprès de l’Occident une aide substantielle. Le politburo imagine donc un plan en deux étapes, qui lui permettrait de mettre la main sur les champs pétrolifères du Moyen Orient. Mais pour cela il doit détourner l’attention de l’Otan de ses véritables objectifs stratégiques, et pour le coup la méthode, intitulée opération Dreamland, est un rien brutale. Les soviétiques organisent  sur leur territoire un attentat mettant en cause les services de renseignement ouest-allemands, Bohn est accusée d’orchestrer la déstabilisation du régime communiste et sommée de se justifier. Evidemment, tout ceci n’est qu’un prétexte pour envahir l’Allemagne et affaiblir les forces de l’Otan, histoire d’avoir ensuite le champ libre du côté du Moyen Orient. Le roman relate pour l’essentiel le déroulement des opérations, depuis leurs prémices jusqu’à leur résolution finale, avec un grand souci de réalisme et une minutie dans les détails qui plongent le lecteur au coeur de l’action d’un conflit conventionnel moderne.


Tempête rouge est un roman dont la réputation en matière de réalisme technologique et militaire n’est plus à prouver, Tom Clancy a d’ailleurs en grande partie fondé sa renommée sur sa capacité à proposer un background politique, technologique et stratégique fortement crédible, notamment grâce à un travail de documentation considérable. Pour autant, si l’ensemble paraît effectivement solide et hautement réaliste, la victoire de l’Otan dans le roman est basée sur l’existence et l’efficacité d’un avion purement hypothétique à l’époque, le F19A Ghostrider, avion  furtif qui n’a jamais existé et dont l’équivalent, le fameux F117 n’a jamais disposé de capacités air air. Or la victoire de l’Otan, ou tout du moins sa capacité à éviter une défaite rapide et humiliante en début de conflit, repose sur l’efficacité mortelle de cet avion furtif  sur le front allemand, stoppant la progression des divisions blindées soviétiques. Mais faisons appel à nouveau à nos capacités de suspension de l’incrédulité et imaginons que cet avions ait réellement existé ou bien que le F117 (dont l’existence n’a été reconnue qu’en 1988 par le Pentagone) ait été engagé sur le théâtre des opérations. On pourrait effectivement croire que disposer d’une escadrille de bombardiers furtifs soit un avantage considérable sur l’ennemi et puisse conférer à l’Otan un avantage tactique décisif. C’est sans doute simplifier à l’extrême la complexité d’un conflit conventionnel moderne et méconnaître par ailleurs l’histoire militaire récente. Les Américains et leurs alliés l’ont d’ailleurs appris à leurs dépens lors de la guerre de Yougoslavie lorsqu’ils ont tenté de réduire à néant les défenses antiaériennes serbes déployées en particulier autour de Belgrade. A ce petit jeu l’Otan a perdu face à l’inventivité et à la mobilité des défenses antiaériennes serbes, qui en dépit de leur infériorité technologique ont toujours déjoué les offensives aériennes des forces de l’Otan (pendant 79 jours très exactement). Pire, malgré son arsenal technologique, l’aviation américaine a connu une sévère humiliation lorsqu’un de ses fameux F117 furtifs fut abattu en 1999 par une batterie antiaérienne serbe considérée comme obsolète (un autre F117 fut d’ailleurs touché par un missile serbe, mais réussit à regagner une base de l’Otan). Une affaire qui mit plus ou moins fin à la carrière de cet avion au sein de l’armée américaine, mais qui fit également le bonheur des Chinois, qui achetèrent aux Serbes les débris de l’appareil abattu.

Tout cela est-il finalement annexe ? Probablement, car il s’agit d’un roman et non d’un essai ou d’un rapport de prospective, le plus important c’est que l’ensemble donne l’apparence d’être crédible sur le plan tactique et très honnêtement de ce côté on ne peut pas reprocher grand chose à Tempête rouge.

Sur le plan purement littéraire, Tom Clancy vise avant tout l’efficacité et la clarté du propos, multipliant les points de vue presque à la manière d’un récit choral, dans une succession de chapitres très courts, dynamisant au maximum la narration. Si l’on peut rester dubitatif concernant les motivations réelles de cette troisième guerre mondiale, on est en revanche littéralement happé par le rythme du roman et par la capacité de Tom Clancy à donner de la substance à son récit. Les amateurs d’histoire militaire ne seront pas dépaysés et retrouveront facilement leurs marques malgré la multiplication des explications et des détails concernant le matériel ou les tactiques employées sur le terrain (y compris concernant les aspects purement logistiques de la guerre, comme l’approvisionnement en carburant ou bien encore la gestion des stocks de munition). En contrepartie, si vous n’avez qu’une vague idée de ce qu’est un missile SAM, un Mi24 ou un Backfire, vous ne serez pas à la fête ; sauf à faire preuve d’une étonnante capacité d’abstraction ou à garder sous la main un accès à wikipedia. Plus étonnant, les personnages qui émaillent le roman sont loin d’être inconsistants, certains sont même plutôt fouillés en dépit du fait que tous ne sont pas développés avec le même traitement de faveur. Par ailleurs, Tom Clancy n’oublie jamais que malgré toute l’horreur de la guerre, les militaires, du modeste soldat de deuxième classe au général quatre étoiles, restent avant tout des hommes, avec leurs forces et leurs faiblesses ; une dimension qui aurait pu passer à la trappe dans la description d’un conflit en grande partie technologique, déshumanisé et impersonnel. On est tout de même loin de l’horreur des tranchées, ici les morts restent des chiffres et les blessures sont davantage morales que physiques. Une dimension psychologique qu’incarne parfaitement bien l’un des personnages les plus intéressants du roman, le capitaine Morris, commandant d’un bâtiment de guerre spécialisé dans la chasse anti-sous-marine et souvent torturé par son combat contre l’ennemi invisible. Les cas de conscience demeurent cependant relativement peu nombreux, Tom Clancy n’a rien d’un antimilitariste convaincu et il ne faut pas chercher dans ses romans l’ombre d’une critique en la matière, ce n’est d’ailleurs pas pour ces raisons qu’on lit du Tom Clancy.

vendredi 17 janvier 2014

Sauveur du rock : Apathy for the devil, de Nick Kent

Au rayon des journalistes de rock, on ne sait trop s’il faut classer Nick Kent dans la catégorie des mythomanes sur le retour, ou bien dans celle des junkies touchés par la rédemption, avides de transformer une expérience vieille de plusieurs décennies en monnaie sonnante et trébuchante. Qu’on se rassure, personne n’a jamais fait fortune en publiant des mémoires de critique rock, quant à surfer sur la vague des seventies, on veut bien croire que la mode soit au rétro (pardon, au vintage), mais à n’en pas douter le punk ne constitue  pas un fond de commerce suffisamment rémunérateur pour toucher le jackpot. On aurait de toute façon envie d’accorder un minimum de crédit à un homme qui a été le disciple de Lester Bangs, qui s’est entiché des Stooges et qui plus d’une fois s’est retrouvé au petit matin la gueule enfarinée, un bras coincé entre le corps d’une groupie et celui d’Iggy Pop (ou de Keith Richards). Et peu importe la quantité de poudre que le bonhomme ait pu se fourrer dans le pif, il n’a pas été le seul à cette époque. Donc, Nick Kent, journaliste de rock au New Musical Express dès la fin des années soixante, auteur de l’excellent The dark Stuff et de centaines d’articles de fond, d’interviews et de critiques de disques, Nick Kent est une légende du rock ; pour ça mais aussi parce qu’il fut durant une période tout à fait éphémère membre des Sex Pistols, avant de se faire tabasser à coups de chaîne de moto quelques semaines plus tard par un Cid Vicious surexcité. Bienvenue dans le monde du punk rock.

    Le bonhomme a donc un CV qui impose le respect et annonce la couleur. Et c’est sans doute là que se situe le premier écueil de ces mémoires, pour y adhérer il faut impérativement prendre en considération la subjectivité assumée des souvenirs et des jugements de valeur portés par Nick Kent, qui a des goûts bien arrêtés sur la question. Ainsi, porte-t-il au pinacle les Rolling Stones et en particulier Keith Richards, vénère par dessus tout les Stooges et respecte au plus haut point Led Zeppelin, mais malheur à tous ceux qui n’ont pas l’heur de satisfaire aux critères d’exigence du journaliste anglais, ils sont descendus en flamme sans autre forme de procès (au hasard Jethro Tull, Eagles ou bien encore Fleetwood Mac). Autant il est facile de comprendre ce qui cristallise la haine de Nick Kent à l’encontre du groupe Eagles (trop lisse et trop consensuel, pour ne pas dire commercial), autant l’on reste interdit en ce qui concerne Fleetwood mac (surtout qu’il s’agit là du Fleetwood mac de la première époque, mené par l’excellent guitariste Peter Green). Nick Kent est un personnage aux goûts affirmés, mais étonnamment éclectiques, capable d’apprécier la puissance bestiale d’un mur d’amplis poussés à fond comme les arrangements sophistiqués d’un Brian Eno ou  d’un David Bowie. On se gardera bien de chercher une ligne directrice ou un point commun entre des artistes aux approches aussi variées et des goûts musicaux qui s’étendent du jazz (un peu) au punk rock (beaucoup). On ne pourra pas lui reprocher en revanche de ne pas avoir eu le nez creux au cours de ces décennies de pratique à côtoyer les plus grands, y compris lorsqu’ils se trouvaient au fond du trou. Toute la science de Nick Kent est d’avoir été présent au bon endroit et au bon moment, flairant les bons coups et les groupes au fort potentiel, les mettant en lumière alors même que personne ne croyait en eux. Assurément Nick Kent a été un journaliste musical de talent, foncièrement intègre dans son approche de la musique et doté d’une plume juste et acérée. Son rôle dans la montée en puissance du mouvement punk à la fin des années soixante-dix est incontestable, il a d’ailleurs été l’un des premiers européens à découvrir la scène de Detroit et à s’en enthousiasmer à tout bout de champ. Il est d’ailleurs l’un des rares à avoir cru au potentiel d’Iggy Pop, de ses débuts jusqu’à son ascension inespérée après des années de galère. Rien que pour cela on est en droit d’accorder du crédit à ses propos, aussi alambiqués soient-ils en maintes occasions (la mémoire est de toute façon une bien infidèle compagne).

En dépit de leurs limites, inhérentes à tout témoignage pourrait-on dire, les mémoires de Nick Kent n’ont rien de l’objet putassier que l’on aurait pu craindre, mais elle sont au contraire une mine de renseignements divers et variés sur les coulisses du rock et du monde de la musique dans les seventies. Mais si l’on adhère aux propos du journaliste et du professionnel (quoique, à force d’endosser le rôle du justicier sauveur du rock, moralisateur et pontifiant, le bonhomme finit parfois par agacer), on reste quelque peu circonspect en ce qui concerne le parcours personnel et intime de Nick Kent. Son goût pour l’alcool et la drogue, ainsi que son instabilité chronique, en font un personnage fatiguant à suivre au quotidien. Honnêtement, on se fout éperdument des abus auxquels il a pu s’adonner durant ces années sombres, qu’il ait sniffé des kilos de coke et se soit injecté des litres d’hero ne nous passionne pas plus que les frasques sans intérêt de pseudos stars totalement ravagées par le succès et les abus en tous genres. Une fois encore les années soixante dix se résument au sexe et à la drogue, comme si cette décennie n’avait été qu’une vaste orgie continue. On aurait aimé que tout ceci ne soit pas réduit à une équation aussi triste et lamentable, mais il faut croire que non si l’on s’en tient aux propos de Nick Kent. Finalement que nous reste-t-il pour nous consoler de tant de désespoir, eh bien tout simplement la musique produite durant cette décennie peut-être pas si sombre, une musique  qui, elle, reste intemporelle et précieuse.

dimanche 12 janvier 2014

Témoignage : Mélancolie ouvrière, de Michèle Perrot

A l'heure où les commémorations pour le centenaire de la Première guerre mondiale commencent et qu'on parle de la douceur de vivre des la "Belle Epoque", Michèle Perrot nous emmène, en partant d'un court témoignage dans une revue gauchiste de cette fameuse époque, dans l'envers (l'enfer ?) du décors. 

Lucie baud est une ouvrière des usines textiles de la Drôme, ni plus ni moins maltraitée que les autres, mais dont l'engagement syndical va faire une ouvrière à part. Entrée tôt à l'usine comme beaucoup de fillettes à la fin du 19e siècle, elle découvre petit à petit l'univers de la filature, qui trouve des échos très contemporains quand on regarde du côté de l'Asie. Après son mariage avec un garde-champêtre et la naissance de deux enfants, elle se retrouve assez jeune veuve et c'est là que commence son destin singulier de déléguée syndicale et de meneuse de grève.

Lucie Baud se bat contre les injustices : la baisse des rémunérations et la hausse des cadences consécutives à l'apparition de nouvelles machines américaines beaucoup plus rapides, les conditions de vie dans les dortoirs où sont confinées les jeunes filles et le sort des ouvrières italiennes.
En effet, quand les machines américaines arrivent, les patrons de la région en profitent d'une part pour mettre une seule ouvrière sur deux ou trois métiers, et pour baisser le prix à la pièce.
Quant aux internats, censés accueillir les jeunes filles afin qu'elles ne se perdent pas de réputation, ce sont des prisons sans guère de possibilité de sortie tenues par des religieuses qui trouveraient tout à fait leur place aux côté des Magdalena sisters irlandaises de sombre réputation. Mais au moins pouvaient-elles rejoindre leur famille régulièrement.
Quant aux ouvrières italiennes, on retrouve avec elles tous les problèmes de l'immigration. Attirées par de fausses promesses, notamment sur les salaires et le prix du voyage d'Italie en France et vice-versa, les pauvres filles se retrouvent littéralement enfermées dans l'usine dans des dortoirs plus infâmes que celles des Françaises, où les draps pourris de vermine ne sont changés que deux fois par an, interdites de la moindre sortie, mal nourries, et contraintes de rester sur place par un système de dettes savamment dosées. Ajoutons avec cela la haine des ouvrières françaises qui les rendent responsables de la baisse des salaires, et de "dévoyer les honnêtes Français"... Nous sommes en plein dans la période qui a vu la tragique chasse au Rital d'Aigues-Mortes.


Lucie Baud, c'est presque une inconnue, mais pas tout à fait. Presque une ouvrière comme les autres, mais pas tout à fait. Michèle Perrot, qui a retrouvé l'unique article qu'elle a écrit et menée l'enquête sur place, n'a pas retrouvé beaucoup de traces de sa vie, mais tout de même suffisamment pour dresser un portrait émouvant de cette femme exceptionnelle et fragile à la fois.Pas une passionaria, mais une ouvrière debout, aux prises avec un quotidien qui n'avait rien de celui des rentiers de cette époque, pas belle pour tout le monde...


mardi 31 décembre 2013

Thriller poétique et introspectif : La mort aura tes yeux, de James Sallis


 "La mort viendra et elle aura tes yeux -
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu'au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde."
                                             Cesare Pavese

 
On aimerait croire que l’adaptation sur grand écran de son roman Drive ait permis à James Sallis d’atteindre une certaine notoriété auprès du grand public, hélas le succès du film aura surtout bénéficié à un certain Ryan Gosling, propulsé désormais au rang de superstar du cinéma américain. Il faut dire que l’acteur a sans doute un physique plus avantageux et apte à provoquer des vapeurs auprès de la gent féminine que celui de James Sallis. Il n’empêche, on aurait aimé que le talent d’écrivain de l’auteur américain soit un peu plus mis en avant par les critiques de tous bords, surtout promptes à saluer la réalisation un peu pompeuse de  Nicolas Winding Refn, sans doute au sommet de sa forme mais pas franchement au premier rang des laudateurs de James Sallis. Rien de choquant pour le commun des mortels, Refn n’est ni le premier et ne sera sans doute pas le dernier à passer sous silence la filiation purement littéraire de son film, comme si le scénario et l’écriture d’un long métrage n’étaient qu’un détail technique parmi d’autres dans les différentes étapes de production. Le phénomène n’est de toute façon pas nouveau, Hollywood pille depuis des décennies la littérature, matériau scénaristique de premier choix, mais également réserve inépuisable de talent et refuge inaltérable pour producteurs en mal d’inspiration. L’ingratitude affectée du monde du cinéma n’aurait que peu d’importance si le grand public n’affichait pas le même mépris pour les oeuvres littéraires originelles, après tout pourquoi se fatiguer à lire un roman alors qu’il suffit de poser son postérieur deux petites heures tout au plus pour en avoir un résumé imagé. Consternant et affligeant, mais finalement assez logique au regard de la manière dont nous consommons du divertissement de masse. 

Ces considérations bassement vindicatives mises à part (on a bien le droit de râler de temps à autres), il serait sans doute temps de revenir à James Sallis, auteur précieux s’il en est. A la fois poète, écrivain de romans noirs, traducteur, scénariste, enseignant, mais également musicien et grand connaisseur du blues et du jazz, James Sallis fut également éditeur et directeur d’un magazine de science-fiction (Sallis reste un grand amateur du genre et glisse souvent des clins d’oeil à ce sujet dans ses romans). Ce que l’on sait moins, c’est qu’avant de devenir un écrivain reconnu par ses pairs et admiré des lecteurs de tous horizons, la vie de James Sallis fut pour le moins chaotique, une existence précaire de hobo, de l’Arkensas, où il grandit, jusqu’à New York, en passant par le Texas, la Louisiane et même l’Europe. Une vie de bohème, parfois difficile, mais qui lui permit d’acquérir une vaste connaissance du monde et la maîtrise de plusieurs langues (dont le français). Désormais bien connu des amateurs de polars pour la série consacrée au détective de la Nouvelle Orléans Lew Griffin, mais également pour sa trilogie John Turner, un ancien du Vietnam retiré du monde, James Sallis a également publié quelques-uns des plus beaux romans noirs de ces vingt dernières années parmi lesquels La mort aura tes yeux, probablement sa plus grande réussite à ce jour. 

A mi chemin entre le polar, le thriller d’espionnage et le road movie, La mort aura tes yeux est un surtout un livre inclassable tant l’auteur prend un malin plaisir à brouiller les pistes. L’histoire commence comme un roman d’espionnage à la Robert Ludlum avant de lorgner une cinquantaine de pages plus loin du côté de John Le Carré. David est un ancien agent du gouvernement spécialisé dans l’élimination, durant la période la plus sombre de la guerre froide il a fait partie d’un groupe très réduit de tueurs sélectionnés pour leurs aptitudes à la violence et leur maîtrise de techniques de combats diverses et variées, mais depuis neuf ans l’homme est désormais hors circuit. Après avoir quitté les services secrets, David a tiré un trait sur son violent passé et s’est installé non loin de Boston pour mener une carrière d’artiste plasticien, non sans succès. Une vie tranquille en compagnie de Gabrielle, une jeune femme rencontrée dans un musée et qui partage son quotidien depuis toutes ces années. Jusqu’au jour où un coup de fil le réveille en pleine nuit. L’autre survivant de cette unité très spéciale a refait surface après des années de silence et semble avoir perdu tout contrôle, David est donc réactivé et chargé de le traquer puis de l’éliminer. S’ensuit alors une poursuite étrange à travers les Etats-Unis, un jeu dans lequel le chasseur devient chassé. James Sallis aurait pu s’en tenir là et nous servir un énième thriller d’espionnage calibré aux petits oignons, un page turner diffusant sur deux cents pages une dose savamment orchestrée de suspense et d’action. Raté ! En réalité La mort aura tes yeux n’est pas un véritable roman d’espionnage, on aurait tout intérêt à plutôt aller chercher sa filiation dans le road movie car il s’agit avant tout d’une errance à travers une partie des Etats-Unis à la fois lente et langoureuse, voire intimiste, un voyage fait de rencontre simples et touchantes ponctué par quelques scènes d’une violence irréelle. Il y a comme de la poésie à partir à la poursuite du véritable visage de David, qui multiplie les figures d’emprunt et les  identités factices sans que l’on puisse déterminer laquelle relève de sa véritable personnalité.  Il y a du Drive dans cette histoire de solitaire qui traverse l’Amérique des petites gens, à la fois proie et prédateur, à ceci près que David, le héros, est un personnage profondément humain. Un roman bref, mais profond et percutant. 


mercredi 18 décembre 2013

Manifeste hardboiled : Moisson rouge, de Dashiell Hammett

Considéré comme le précurseur et l’un des plus grands maîtres du polar hardboiled, Dashiell Hammett a vécu sa vie comme un roman. Détective privé pour la Pinkerton, puis écrivain à plein temps à partir des années 1920, Dashiell Hammett fut l’auteur de cinq romans et d’un peu moins d’une centaine de nouvelles, oeuvre à laquelle il faut ajouter un roman inachevé. Puis brusquement, sans raison apparente, Hammett cessa d’écrire au début des années trente, après avoir rencontré, Lilian Hellman, sa maîtresse et sa compagne jusqu’à sa mort en 1961. La seconde partie de sa vie fut dominée par les excès, notamment l’alcool, et le harcèlement dont il fut victime durant les années noires du maccarthysme. Etiqueté “communiste”, auditionné deux fois par la commission Maccarthy, plus ou moins grillé à Hollywood, Hammett eut l’insigne privilège d’être emprisonné pour subversion et de voir ses romans interdits dans les bibliothèques publiques américaines avant que le président Eisenhower en personne n’intervienne pour lever cette sanction aberrante.  
En dépit de cette carrière littéraire digne d’une étoile filante, Hammett demeure un maître du roman noir et son influence sur le genre fut considérable, aux Etats-Unis aussi bien que dans le reste du monde. Sa technique d’écriture, sèche et dépouillée, centrée sur l’action plutôt que sur l’introspection des personnages, en fit le chef de file du courant behavioriste. On peut regretter néanmoins que le style d’Hammett laisse peu de place à la musicalité et au rythme de la langue pour viser un objectif simple et précis : l’efficacité. Certains de ses successeurs  (Raymond Chandler, William Irish ou bien encore David Goodis), tout en se réclamant de cette école behavioriste, auront le mérite de s’en démarquer en travaillant stylistiquement davantage leurs manuscrits. Reste que pour le cinéma les romans de Hammett, et dans une moindre mesure ses nouvelles, furent une source immense d’inspiration ; Hollywood s’empara rapidement de cette matière première parfaitement adaptée dans sa dimension diégétique et visuelle au récit cinématographique. A titre d’exemple, Le faucon maltais eut droit à trois adaptations successives, même si dans l’imaginaire collectif le film reste indissociable de la prestation de Humphrey Boggart dans la version de John Huston (1941). Ce succès à Hollywood lui assura sa part de gloire, ainsi que des revenus confortables, qu’il dilapida en menant un train de vie pharaonique.


A l’occasion de la sortie de l’oeuvre intégrale de Dashiell Hammett dans la collection Quarto de Gallimard, l’éditeur a offert au public français une nouvelle traduction intégrale des cinq romans de l’auteur américain, assurée par Pierre Bondil et Natalie Beunat. L’auteur méritait assurément que l’on revienne sur le travail effectué dans les années cinquante pour le bénéfice de la collection Série Noire dirigée par Marcel Duhamel, tant les textes originaux  avaient été remaniés par le traducteur, voire parfois même tronqués pour correspondre au format de la collection (environ 200 pages). Que l’on apprécie ou pas le style employé dans ces traductions initiales, trop proche de l’argot parisien mais qui avait un certain charme (à condition d’aimer le style Tontons flingueurs), il n’en demeure pas moins que ces nouvelles traductions sont désormais plus fidèles au style de Dashiell Hammett et permettront aux amateurs de l’auteur américain de redécouvrir ses romans.
Moisson rouge (Red harvest), publié en 1929 aux Etats-Unis, est le premier roman de Dashiell Hammett, la légende veut que l’histoire soit en partie inspirée par l’expérience de l’auteur en tant que détective privé pour la Pinkerton, en particulier lorsqu’il fut envoyé dans la ville minière de Butte (Montana), dont on imagine sans peine l’atmosphère industrieuse, polluée, teintée de corruption et matinée d’un soupçon de criminalité organisée autour du trafic d’alcool. Un grand classique des années de prohibition. Poisonville (Personville en réalité) est tout cela à la fois et guère plus, le roman tourne exclusivement autour d’une demi-douzaine de personnages qui tiennent les rennes du pouvoir, officiel et officieux, dans cette ville sans charme dominée par le figure patriarcale d’un certain Elihu Willsson, propriétaire de la mine locale, poumon économique de la région. C’est son fils, Donald Willsson, qui avait fait appel au Continental Op (le personnage central de l’histoire, dont on ne connaît pas le nom), un détective privé venu de San Francisco ; mais les deux hommes n’auront guère l’occasion d’échanger leurs points de vue respectifs sur Poisonville, car Donald Willsson est assassiné avant même qu’ils ne puissent se rencontrer. Le Continental Op est finalement chargé par le père de la victime d’élucider le meurtre, mais il réalise rapidement que Poisonville est un véritable nid de vipères, la corruption gangrène la police jusque dans les hautes sphères de la hiérarchie et le maire n’est qu’un personnage fantoche sous la coupe de ceux qui mènent la danse, à savoir les bootleggers (trafiquants d’alcool) assistés de leurs hommes de main. La ville est en proie à la corruption et à la violence, plus ou moins avec la bénédiction d’un certain Elihu Willsson, qui espérait initialement contrôler tout mouvement de contestation de la part des ouvriers de la mine et de leurs syndicats. C’était sans compter sur l’appétit des barons de la criminalité organisée, qui rapidement dépassèrent les attributions que leur avait fixées Elihu Willsson, à savoir briser tout embryon de grève. Il faut bien avouer que le commerce illicite d’alcool est nettement plus rémunérateur. Willsson n’avait hélas pas prévu que la situation lui échapperait à ce point, et c’est avec sa bénédiction (plus ou moins arrachée de force) que le Continental Op s’apprète à faire le ménage à Poisonville. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses méthodes sont très peu orthodoxes.


Moisson rouge vaut évidemment moins pour la qualité de son intrigue, un peu trop sujette aux effets de manche, que pour son ambiance et sa vision assez noire de l’Amérique des années 1920. On observe avec une fascination évidente cette petite ville totalement livrée à la violence et à la délinquance organisée, une ville dans laquelle les pouvoirs locaux semblent totalement dépassés, voire tout simplement inexistants. La police est corrompue et ses méthodes ne semblent guère la distinguer de la pègre locale, la justice répond aux abonnés absents, le maire n’est qu’une marionnette. La collusion entre le pouvoir économique et la pègre dépasse la simple porosité, elle est ici une manière de gouverner et de contrôler les masses populaires pour mieux court-circuiter les instances démocratiques locales et accroître ainsi les bénéfices en toute impunité. Il n’en fallait pas moins pour qu’un justicier pétri d’idéaux n’apparaisse au moment le plus propice afin de donner un grand coup de balai. Mais là encore, le héros n’en est pas exactement un, du moins il n’en a guère les attributs canoniques. Le Continental Op est un personnage assez énigmatique, sous l’apparence d’un détective cynique et désabusé dont on ne sait rien ou pas grand chose, sinon qu’il boit comme un trou et fume comme un pompier, se cache en réalité un idéaliste, mais un idéaliste qui ne s’embarrasse pas de principes et emploie des méthodes de dur à cuir, voire de voyou, pour parvenir à ses fins. Evidemment, tout ceci paraît assez commun aujourd’hui, mais gardons à l’esprit que lors de sa parution le roman policier était calqué sur le modèle du roman à énigme, une littérature sage et policée dont Arsène Lupin et Sherlock Holmes étaient les plus illustres représentants. Avec son détective alcoolique et frondeur, Dashiell Hammett signait avec Moisson rouge un roman coup de poing, un roman qui s’affranchissait de tout artifice stylistique et qui aujourd’hui encore fait figure de manifeste du polar hardboiled. Tout juste osera-t-on critiquer ce monument en soulignant tout de même l’aridité du style, qui laissera sur leur faim les amoureux d’une langue riche et travaillée.

jeudi 12 décembre 2013

Voyage au pays de Kim Jong ill : Pyong Yang, de Guy Delisle

La bande dessinée est dans son écrasante majorité consacrée à la fiction et jusqu’à une époque récente il paraissait saugrenu de l’associer au documentaire. Pourtant, certains auteurs ont osé concilier les deux genres et raconter autrement une page de l’histoire humaine (La véritable histoire du soldat inconnu, Jacques Tardi ou bien encore Maus de Art Spiegelman), une expérience personnelle (Persépolis de Marjane Satrapi) ou un témoignage à valeur journalistique (Palestine, de Joe Sacco). C’est donc dans cette veine de s’inscrit Pyong Yang de Guy Delisles.
    Pyong Yang est le récit d’une expérience professionnelle vécue par Guy Delisle au début des années 2000. D’origine québécoise, spécialiste de l’animation pour une société fabriquant des dessins animés, Guy Delisle est envoyé superviser une partie de la production sous-traitée à Pyong Yang, en Corée du Nord. Comme le pays n’est pas à un paradoxe près, il cherche à faire rentrer des devises extérieures en accueillant à bras ouverts les sociétés étrangères souhaitant faire de la sous-traitance à bas coût. La production de dessins animés étant un investissement conséquent, de nombreux studios occidentaux ou asiatiques cherchent à réduire les coûts en délocalisant les étapes d’animation intermédiaires à Pyong Yang, détachant un salarié pour superviser le travail des animateurs coréens ; un rôle qui est confié à Guy Delisle pour plusieurs semaines.


Dès son arrivée à l’aéroport de Pyong Yang le ton est donné, les étrangers n’ont pas le droit de circuler librement dans le pays, ils sont cantonnés dans un quartier de la capitale et dans leurs déplacements ils doivent toujours être accompagnés d’un interprète. Un hôtel, quasiment vide et interdit au Nord Coréens, leur est évidemment réservé, ils y prennent également leurs repas. Pour Guy Delisle le choc culturel est immense, il se sent cloîtré et les occasions de se divertir sont pour le moins limitées dans un pays où il n’y a ni Internet, ni café, ni musique occidentale, ni cinéma. Pour autant, la vie en Corée du Nord semble moins sombre que ne le laissaient supposer les images diffusées par les médias occidentaux, la ville de Pyong Yang n’a rien d’un désert, certes le pays reste une dictature mais ici et là on note des signes de détente et quelques entorses au Juché, cette théorie de l’autosuffisance érigée en programme politique par le régime. Restent les symboles et les usages d’un pouvoir autoritaire qui choquent l’étranger mais dont on a peine à savoir réellement s’ils interpellent encore les Nord Coréens. 

Pyong Yang est une bande dessinée qui, malgré les restrictions de circulation et de contact imposées à son auteur, donne, grâce à une succession d’anecdotes et de détails, un aperçu étonnant de la Corée du Nord ;  un pays figé dans le temps, qui cultive les paradoxes et mêle avec un bonheur discutable archaïsmes politiques, délires mégalo-maniaques et tentatives désespérés de se raccrocher à la modernité du monde. Le résultat laisse rêveur et suscite aussi bien la sympathie que l’incrédulité ou la tristesse. Un  peu à la manière du Tokyo Sanpo de Florent Chavouet, c’est l’accumulation de détails symptomatiques qui donne cette vision d’ensemble, un témoignage à large spectre teinté d’ironie et mâtiné d’humour qui fait sourire autant qu’il crispe le lecteur. Car l’on peut rire de cette débauche de buildings vides construits pour la seule raison qu’ils flatte l’ego d’un régime qui peine à produire l’électricité suffisante pour les alimenter, ou de cette autoroute deux fois deux voies parfaitement moderne et totalement déserte qui relie Pyong Yang au Palais de l’Amitié (80 km tout de même) sans prévoir une seule autre bretelle de sortie, moins lorsqu’on comprend les sacrifices consentis par le peuple pour les construire et les entretenir alors que la misère et la famine ont durant de nombreux hivers ravagé le pays. Pour la petite histoire la carcasse de béton du fameux hôtel Ryugyong (une pyramide haute de 330 mètres), dont la construction débuta en 1987  et que Guy Delisle admire avec consternation, est aujourd’hui recouverte de verre et d’acier. Sa construction est officiellement terminée depuis 2009 bien que l’aménagement intérieur ne dépasse pas le 25ème étage. Ce gratte-ciel symbolise toute la démesure d’un régime mégalomaniaque, obnubilé par un désir de grandeur sans rapport avec ses besoins ni ses moyens puisque l’ensemble des étrangers autorisés à fouler le sol de Corée du nord serait bien en peine de remplir un seul étage de ce monstrueux bâtiment.

dimanche 24 novembre 2013

Récit fort : Le quai de Ouistreham, de Florence Aubenas

Un jour, Florence Aubenas, grande reporter, décide de partir à la recherche... d'un emploi. Pas avec son pedigree de journaliste, mais un simple bac et une vie de femme entretenue inventée. Une immersion dans un univers quotidien et impitoyable.
Elle vit son expérience dans les "emplois de propreté" (traduire : femmes de ménage) avec difficulté : horaires plus que décalés, remplacements au pied levé d'une heure à l'autre, conventions salariales non respectées, humiliations, voire transparence, cadences infernales...
Elle vit le heurt avec Pôle emploi, monstre administratif qui doit faire face à la crise avec toujours plus de chômeurs et toujours moins de moyens, voyant venir le moment où les agents eux-mêmes se retrouveront au chômage... Pôle emploi, ou la gestion de la misère par des réponses comptables et des employés motivés par la menace de leur propre licenciement.

Mais le plus important n'est pas son expérience, qui fait comprendre l'extrême dureté de ces heures de travail éparpillées et jamais certaines, mais les portraits de toutes ces femmes et ces hommes qu'elle rencontre. Florence ne met pas d'apitoiement ni de complaisance dans ces portraits, elle les brosse tel quels, dans l'instant de la rencontre ou sur plus longtemps. Elle dit ses attachements, ses méfiances, ses gratitudes. Elle dit ses dégouts du comportement de certains, moins les patrons, pourtant généralement experts en double langage et qui ne comptent jamais les heures supplémentaires, mais ceux qui sont juste au-dessus, les employés des bureau qui regardent à travers elle comme du cristal, les routiers qui salopent son travail, les clients du ferry qui l'ignorent...
Voici donc la France qui se lève tôt (4h30 au plus tard), qui vit dans de minuscules appartements dans des banlieues sans âme, trop jeunes, trop peu qualifiés, méprisés même par certains syndicalistes car rangés dans la catégorie des précaires qui ne comprennent rien à rien (surtout les bonnes femmes), absolument pas concernés par les politiques qui défilent à chaque élection mais ne changent rien à la situation, qui rêve de s'offrir la voiture indispensable à courir d'un bout à l'autre de l'agglomération de Caen, qui regarde W9. Celle qui cherche désespérément à boucler les fins de mois, payer le gaz, va chercher des cartons de nourriture au secours populaire, celle qu'on traite de moins que rien, sans éducation, pour qui une prime de fin d'année de 150 euros représente un cadeau colossal qu'elle ose à peine dépenser car c'est trop beau pour être vrai.
La France qui a peur. La peur irradie de ce livre à toutes les pages. Peur de perdre les quelques heures de travail qu'on a, de faire le mauvais choix quand deux occasions incompatibles (souvent pour des questions d'horaires) se présentent, de mal faire le travail, d'y passer trop de temps, d'aller chez le dentiste (très difficile de trouver un dentiste compétent qui accepte les "CMU", et deux mois d'attente), le médecin (on préfère les urgences, qui ne vous jugent pas...), de ne pas tenir physiquement, de ne pas pouvoir payer le loyer, de ne pas avoir le temps de manger, de ne pas pouvoir réparer la voiture, de ne pas passer le contrôle technique... La peur est toujours là, omniprésente, comme l'humiliation, les engueulades, la pression (vite, toujours plus vite, toujours plus propre...).

Certains auront critiqué Florence Aubenas car finalement, ce n'est pas une vraie précaire. D'autres diront que ces gens-là s'en sortent encore. Mais est-ce vraiment une vie, qui ne tient qu'à sa capacité à payer un portable pour se tenir à disposition des marchands de bras chaque jour, chaque heure, pour des salaires de misère et hors-la-loi ? Est-ce une vie de faire des dizaines de kilomètres en scooter pour trois heures, dont deux d'attente non payées ? Ou bien d'être à la merci d'une panne de voiture, tout en se chauffant à 13-14° pour ne pas trop payer de chauffage ? Florence a partagé cette vie, cette précarité, cette peur, le luxe inouï d'aller prendre un café en terrasse au centre-ville... Et elle, elle a su le raconter, simplement, sans analyse scientifique, à travers ceux qui continuent la galère quotidienne, qui vident les poubelles, passent l'aspirateur et lavent les toilettes.

jeudi 7 novembre 2013

Essai : Internet rend-il bête ? De Nicholas Carr

Sommes nous sur le point d’assister à la mort du livre, objet qui depuis des siècles et des siècles a façonné l’histoire intellectuelle de l’humanité, notre manière d’écrire, de lire et même de penser ? La question se pose de manière de plus en plus accrue tant nous avons le sentiment de vivre une révolution fondamentale, sans doute aussi importante que celle engendrée par l’invention du codex durant l’Antiquité ou de l’imprimerie au XVème siècle. Ce qui est certain, c’est que l'avènement de la société de l’information a été favorisée par une montée en puissance des outils numériques. La lecture cursive avait été jusque là tant bien que mal épargnée, mais l’arrivée de l’encre numérique et des tablettes tactiles a accéléré en l’espace de quelques années ce glissement vers la lecture numérique. En France, le livre électronique a encore du mal à s’imposer, il ne représente qu’une part infime des ventes de livre (autour des 3% en 2013) et sa croissance est lente. Les barrières culturelles semblent encore fortes dans notre pays pour que le livre papier résiste encore, mais la situation catastrophique du réseau des librairies indépendantes risque d’accélérer ce processus d’érosion dans les années à venir, car le secteur doit faire face à la concurrence du livre électronique, mais également des spécialistes de la vente en ligne comme Amazon ou Fnac.com. Dans les pays anglo-saxons la situation est bien différente, le livre électronique représente désormais un marché important (plus de 20% par exemple aux Etats-Unis) et les Américains, en particulier, s’équipent en masse de liseuses électroniques et de tablettes tactiles. Des poids lourds comme Amazon ont sorti leur épingle du jeu, mais d’autres géants de la librairie, comme Barnes & Nobls, accusent le coup, même si leur activité traditionnelle semble encore rentable (pour combien de temps ?). Ce même Barnes & Noble avait bien senti le vent tourner ces dernières années et s’était engouffré dans la brèche, espérant devenir un acteur majeur dans la vente de livres électroniques ; en dépit de la qualité de sa liseuse (Nook), de sa puissance commerciale et de son catalogue électronique, l’entreprise n’a pu faire face au rouleau compresseur Amazon et à son Kindle, accusant en 2012 près de 500 millions de dollars de pertes sur sa branche livre électronique.


Face à cet avenir incertain, bien malin qui pourra prédire l’avenir du livre papier. Si l’histoire a jusqu’à présent démontré que les médias avaient plutôt tendance à se superposer, voire à cohabiter, certains supports d’informations ont aujourd’hui totalement disparu face à l’arrivée de nouvelles technologies plus séduisantes. La problématique n’est d’ailleurs pas nouvelle, les penseurs de l’Antiquité fustigeaient déjà l’arrivée du support écrit (qui allait affaiblir les capacités cognitives), plus tard l’apparition du codex, qui supplanta le rouleau, suscita également l’émoi des intellectuels, tout autant que l’apparition de l’imprimerie (la facilité d’impression et de reproduction n’allait-elle pas favoriser la multiplication des oeuvres de mauvaise qualité ?). Le livre, et de manière générale le support imprimé, a bien résisté aux assauts des technologies qui ont émergé au cours du XXème siècle, la radio n’a pas signé l’arrêt de mort de la presse écrite, pas plus que la télévision n’a éclipsé le cinéma. Mais le numérique semble cette fois mieux armé pour lui contester une hégémonie vieille de plusieurs siècles. Reste que la disparition d’une technologie comme celle du livre, qui a littéralement façonné notre culture littéraire, scientifique et technique est un bouleversement considérable, dont les répercussions dépassent largement le cadre de l’économie.


Ce sont justement ces conséquences qui intéressent Nicholas Carr. Partant  du principe qu’une technologie, ou un média, n’est jamais neutre, ainsi que le théorisait il y a près de quarante ans Marshall Mc Luhan*, Nicholas Carr s’interroge sur les conséquences sociales de la disparition de l’imprimé. Son livre dépasse largement le cadre de son titre, un peu racoleur il faut bien l’avouer, en faisant la synthèse des modifications neurologiques et cognitives induites par le recours et l’usage massif des technologies numériques, au premier rang desquelles figure bien évidemment Internet. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les conclusions de cet essai sont inquiétantes à plusieurs titres, d’une part parce que le sujet est très rarement évoqué dans les médias (même si très récemment Le nouvel observateur a publié un dossier dans son numéro 2554 d’octobre 2013), mais surtout parce que le système éducatif, qui a tout misé sur le numérique, n’a jamais pris en considération ces questions ; hors les élèves et les étudiants ont recours de plus en plus massivement aux outils numériques, négligeant de plus en plus les supports traditionnels comme le livre.
    Le point central sur lequel repose en grande partie les études menées depuis quelques années par les neurobiologistes, les psychologues et de manière générale les spécialistes du cerveau et du comportement humain, réside dans une notion désormais bien connue : la plasticité du cerveau (appelée également plasticité neuronale ou neuroplasticité). Pour schématiser, il s’agit de l’ensemble des processus et des mécanismes qui permettent au cerveau de modifier sa structure interne en réaction aux apprentissages qui lui sont proposés. Notre cerveau est donc plastique ou malléable si l’on préfère. C’est un phénomène qui commence dès le stade foetal et qui dure jusqu’au terme de notre vie. C’est grâce à cette malléabilité neuronale que l’être humain est capable d’apprendre, de s’adapter, voire même de réorganiser ses circuits internes pour pallier certains handicaps physiques. Depuis des centaines d’années notre cerveau a été façonné par les technologies  cognitives classiques, au premier rang desquelles figure le livre imprimé. Sa structure, sa logique, son utilisation récurrente pour transmettre l’information et acquérir des connaissances ont bien évidemment eu une influence sur l’organisation et la structure de notre cerveau. Le livre imprimé a permis d’intérioriser la lecture, de développer la pensée linéaire et structurée, de faciliter la concentration et donc l’acquisition d’informations en développant des zones très précises du cortex cérébral. Hors la lecture sur écran n’utilise pas les mêmes zones cérébrales, privilégiant le cortex frontal au détriment des zones traditionnelles dédiées à la lecture, ces zones étant de moins en moins sollicitées elles perdent de l’importance, affaiblissant les capacités de lecture des sujets atteints ; ces derniers éprouvant de plus en plus de difficultés à pratiquer une lecture profonde et prolongée. Les internautes pratiquent en effet  de manière accrue la lecture survol, maintenant leur attention sur une page moins de quelques secondes. Les études pointent d’autres phénomènes neurologiques importants, en particulier la saturation du cortex cérébral liée à l’utilisation du web, un média qui envoie en permanence des stimuli, provoquant une cacophonie informationnelle et parasitant les capacités cognitives (multifenêtrage, bandeaux publicitaires, multiples liens, surcharge des pages web en sollicitations diverses et variées…..). Cette sur-stimulation provoque à terme une fatigue inutile de notre cerveau, provoquant dans le cas d’usage abusif de véritables burnouts. La lecture de textes contenant des liens hypertextes pose d’autres problèmes, les chercheurs ont remarqué qu’ils monopolisaient davantage de ressources intellectuelles qu’un texte imprimé, en effet, le cerveau doit déterminer à chaque lien rencontré s’il est nécessaire de cliquer sur le lien en question ou de poursuivre la lecture, cette décision ne prend que quelques micro-secondes, mais se présente de manière récurrente et fatigue inutilement le lecteur, perturbant ainsi la mémorisation et la compréhension du texte. Plus un texte contient d’hyperliens, plus il perturbe la lecture linéaire et utilise des ressources cérébrales.


Autre cheval de bataille des chantres du numérique, les avantages supposés du multitâche en matière d’efficacité et de productivité. Là encore, les chercheurs se sont longuement penchés sur la question et les conclusions des différentes études menées depuis les années 70 sont très nettement en défaveur du recours au multitâche, dont les seuls bénéfices profitent surtout aux fabricants de matériel informatique et de logiciels. Tout autre argument en faveur du multitâche relève de l’intoxication. En réalité les ressources cérébrales sont en très grande partie monopolisées au profit de la gestion du multitâche au détriment une fois de plus de la concentration et des apprentissages profonds. Durant son travail, l’internaute est tenté et sollicité à de multiples reprises, sa barre de tâches est saturée de fenêtres. Traitement de texte, tableur, navigateur web, client de messagerie, la fenêtre même de son navigateur gère plusieurs onglets et la gestion de ces sollicitations multiples accapare ses ressources, sa concentration est perturbée au profit d’un mail arrivé de manière inopportune,  d’un nouveau  poke facebook ou d’un nouveau tweet.


    Cette synthèse des différents travaux scientifiques aboutit à une conclusion relativement inquiétante. L’utilisation des outils numériques provoque une saturation de la mémoire de travail, empêchant en grande partie la mémorisation durable des informations. Hors c’est à cette mémoire que nous faisons massivement appel lors des apprentissages, la saturer inutilement se fait donc à leur détriment. Le recours au numérique génère d’importants problèmes de concentration, perturbant l’attention, provoquant une fragmentation de la pensée, des activités et donc du travail. Ce n’est pas tant la technologie en elle-même qui pose problème, mais son utilisation massive et exclusive au détriment d’outils toujours performants mais délaissés sans raison objective. A la lumière des éléments présentés par Nicolas Carr, faut-il encore s’étonner des problèmes d’attention et de concentration que l’on constate chez les enfants et les adolescents, obstacle majeur dans leurs apprentissages, mais qui, en dehors du monde enseignant, ne semblent guère inquiéter la société (en dépit d’un récent rapport du Sénat sur le risque numérique). Faut-il pour autant diaboliser le numérique alors qu’il présente des avantages indéniables en matière de communication et de mutualisation de l’information ? Nicholas Carr l’avoue lui-même, après s’être imposé une discipline rigoureuse afin d’écrire son livre, il s’est ensuite relâché, retombant dans ses anciens travers avec délice. Sans doute aurait-il dû écrire un chapitre supplémentaire sur l’addiction aux outils numériques (la fameuse cyberdépendance), un terme médical que l’académie des sciences réfute pourtant dans son dernier rapport (L’enfant et les écrans, janvier 2013); à tort ou à raison, seul l’avenir nous le dira. Toujours est-il que ce rapport est extrêmement timide et ne dit les choses qu’à demi-mots, voire en occulte certaines, lorsqu’il n’entre tout simplement pas en contradiction avec les études scientifiques. Quelques contre-vérités sont particulièrement savoureuses (notamment lorsque le rapport affirme péremptoirement que “la culture des écrans favorise la mémoire de travail” p.22) et nécessiteraient à elles seules un nouveau papier car il serait bien trop long de les relater ici. Je ne peux cependant résister à l’envie de vous rapporter cette petite perle dénichée à la page 23 de ce rapport : “La pensée du livre induit un modèle linéaire [houla, ça commence fort], organisé autour de relations de temporalité et de causalité [bon on va dire que oui]. C’est le monde du “Où ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ?” et du “mais où est donc or ni car”. Je vous laisse méditer sur ce savant télescopage entre les bases du questionnement quintilien (qui n’a d’ailleurs rien de spécifique au livre) et un moyen mnémotechnique destiné à permettre aux enfants de retenir plus facilement les conjonctions de coordination. Le reste du rapport est à l’image de ce salmigondis, indigne, approximatif et d’un manque de professionnalisme caractérisé. Mais on ne sera finalement guère étonné en constatant que le très médiatique S. Tisseron co-signe ce rapport, rapport truffé de références aux travaux dudit Tisseron et qui prend bien soin d’occulter la plupart des études anglo-saxonnes concernant l’influence des outils numériques sur nos capacités cognitives. Pratique n’est-il pas ?




* Pour les lecteurs qui éventuellement ne connaîtraient pas les travaux de Marshall Mc Luhan, sa théorie la plus connue concerne les médias et tient en une phrase assez courte : “Le message c’est le medium”. Autrement dit, ce n’est pas le contenu qui affecte la société, mais le contenant lui-même, c’est à dire le canal de transmission. Cette théorie implique par conséquent que les innovations technologiques ont forcément bouleversé les civilisations et engendré d’importantes conséquences sur le plan social ou intellectuel.

mardi 29 octobre 2013

Autobiographie savoureuse : Linux c'est gratuit ! de Linus Torvalds et David Diamond

Il était une fois un petit garçon finlandais sur les genoux de son grand-père professeur de mathématiques à l'université et qui regardait son premier ordinateur. Depuis, il n'a jamais arrêté. Il s'appelle Torvalds, Linus Torvalds, et il a tiré sans presque s'en rendre compte (qu'il dit), un missile balistique dans le monde informatique qui ne s'en pas tout à fait remis. Ça s'appelle Linux.
Le type est fabuleusement sympathique. Ce n'est pas un gourou version Steve Jobs ou Richard Stallman, il est désespérément normal, à un détail prêt : c'est un petit génie de l'informatique, un vrai, du genre à passer sa vie à coder des trucs inimaginables en se nourrissant de pizza et en s'hydratant à la bière. Mais il a quand même réussi à se marier et à avoir une vie de famille classique.
Ce n'est pas non plus un homme d'affaire version Steve Jobs (tiens, je me répète) ou Bill Gates. Il n'est pas spécialement pauvre, mais à côté des susdits, un peu quand même. Et on dirait qu'il s'en fiche du moment que son confort est assuré.

Son autobiographie, réalisée avec le journaliste David Diamond, révèle donc un type qui aime faire du code et résoudre des problèmes informatiques au kilomètre et qui est payé pour ça, ce qui semble le rendre particulièrement heureux. Pour le reste, il est loin des positions catégoriques de R. Stallman sur le monde du libre, mais n'y voit en fait que des avantages. Il n'est pas contre la marchandisation, juste contre le monopole et l'impossibilité de résoudre des problèmes pour des questions de droit. Et il a prouvé à sa manière décontractée que l'informatique n'était pas qu'une histoire de gros laboratoires et de gros sous, mais pouvait également devenir une aventure en Lego avec une bande planétaire de siphonnés de son espèce, par la magie d'un autre truc extraordinaire : Internet.
C'est un peu technique, très amusant, un "storytelling" très réussi avec une figure emblématique de l'informatique, et en prime un leçon sur les systèmes d'exploitation. Ça permet aussi de mettre un peu le nez dans les rouages économiques de l'industrie informatique (d'ailleurs, ça mériterait une relecture rien que pour ça). Bref, c'est un peu lourd pour le collège, sauf bons lecteurs de 3e mais bon sang, si j'avais eu ce bouquin à mettre entre les mains des élèves de BTS informatique à l'époque, je les aurai convertis à la lecture sans coup férir !

Manga engagé : l'orchestre des doigts de Osamu Yamamoto

En 1912, un jeune étudiant japonais doit renoncer à son rêve : partir en Europe pour étudier la musique. Comme il doit gagner sa vie, il devient professeur dans un institut pour sourds et aveugles. Lui qui voulait faire de la musique, le voici contraint d'enseigner à des enfants qui ne peuvent pas entendre !
Mais Kiyoshi Takahashi se prend d'une véritable passion pour son métier et pour ces enfants, souvent issus de familles pauvres, considérés comme des débiles et traités comme tels. Il apprend la langue des signes japonaise et mène tous les combats, non seulement pour son école mais plus important encore pour la dignité et l'égalité des personnes sourdes dans la société japonaise.
Des combats, il n'en manqua pas durant toute son existence, d'abord pour faire reconnaître l'intelligence des personnes sourdes, puis contre la méthode oraliste qui refuse catégoriquement l'apprentissage des signes.
Constamment il cherche à améliorer la vie de ses élèves, en se battant pour les faire reconnaitre comme des citoyens à part entière. C'est la fin de la guerre et l'avènement de la démocratie qui apporta cette première victoire. Puis, les sourds créèrent une association. Mais la langue des signes n'est toujours pas enseignée de nos jours, sauf à l'institut d'Osaka, qui a intégré depuis longtemps des éléments d'oralisation, mais sans jamais renoncer à la langue des signes si importante pour l'apprentissage des sourds.
 Takahashi et l'institut qu'il dirigea ont traversé l'histoire japonaise, les guerres, les typhons, l'arrivée de la modernité. Jamais il ne baissa les bras devant l'adversité, donnant le meilleur pour ses élèves.
En lisant les quatre albums qui retracent la vie de cet homme bon et obstiné, j'ai pensé aux quelques scènes du film "Ridicule" mettant en scène l'Abbé de l’Épée, et au documentaire de Nicolas Philibert, Le pays des sourds, qui racontent tous deux des fragments de la longue histoire des sourds et de leur intégration (ou pas) dans la société. Et du long combat des sourds pour faire entendre leur différence par le langage des mains, le fameux orchestre des doigts.
Osamu Yamamoto  a un graphisme simple et clair, un peu moins fin que celui de Jiro Tanigushi, mais très agréable et expressif. Et il en faut de l'expression pour faire passer la détresse des enfants, mais aussi les doutes, les joies, les peines de tous.Il a su conquérir par la justesse de ses dessins le public des sourds, qui s'est reconnu dans cette magnifique biographie.