tag:blogger.com,1999:blog-90246059526305227732024-03-22T02:50:41.292+00:00Blogger in fabulaOù l'on cause de lecture et de littératureEmmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.comBlogger334125tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-1645964508500073692024-02-19T17:43:00.005+00:002024-02-27T13:20:20.147+00:00Sexe, drogue et rock n'roll : Daisy Jones & The six<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiYusUHQZw64d8D64Wp2a9W7DrRWEsKiOtVpsvJiZ6YAXZILbDqkLmbse5P43ameLHzFxyTx9tJ7r1pIwsrNeYfbuUfqPSsfTgGgSg7VBAoqgLt3DsWa0E0qpsQQ-4Q_RHAiagm7QUQEIa-WPhuwMBiDaOK9yvOZuF1uF6IKUTdzCYRy9NMrcJ3Y-hiNmE/s350/daisy.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="213" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiYusUHQZw64d8D64Wp2a9W7DrRWEsKiOtVpsvJiZ6YAXZILbDqkLmbse5P43ameLHzFxyTx9tJ7r1pIwsrNeYfbuUfqPSsfTgGgSg7VBAoqgLt3DsWa0E0qpsQQ-4Q_RHAiagm7QUQEIa-WPhuwMBiDaOK9yvOZuF1uF6IKUTdzCYRy9NMrcJ3Y-hiNmE/s320/daisy.jpg" width="195" /></a></div><div style="text-align: justify;">A l’été 1979, le groupe Daisy Jones & The six livre à
Chicago l’un des concerts les plus mémorables de l’histoire du
rock. Le groupe est alors au sommet de sa gloire et son troisième
album, Aurora, après avoir été immensément salué par la
critique, s’arrache dans les bacs des disquaires. Mais ce que le
public ne sait pas encore, c’est que ce concert sera le dernier. En
pleine gloire, le groupe se déchire et se sépare. Daisy Jones &
The six ne remontera jamais sur scène et ne publiera plus aucun
album. Personne ne sut jamais pourquoi. Musiciens, fans, managers,
amis et proches livrent dans cet ouvrage leurs témoignages pour
raconter l’ascension fulgurante, puis la chute d’un groupe
désormais devenu mythique. </div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">L’histoire débute
à Pittsburg à la fin des années soixante. Elevés par une mère
célibataire, Billy et Graham Dunne se prennent très de tôt de
passion pour la musique et forment dès l’adolescence leur premier
groupe, les Dunne Brothers. Ils invitent le batteur Warren Rhodes, le
bassiste Pete Loving et le guitariste rythmique Chuck Williams à les
rejoindre. Le groupe se taille un petit succès local, écume les
mariages et les bars du coin avant de connaître un premier écueil.
Chuck est appelé sous les drapeaux et doit partir au Vietnam. Il est
alors remplacé par le jeune frère de Pete, Eddie Loving. Repéré
lors d’une prestation à Baltimore par le leader des Winters, qui
les invite à faire la première partie de leurs concerts, le groupe
en profite pour débaucher Karen Sirko, qui jouait alors du clavier
pour les Winters. Les Dunne brothers changent alors de nom et se
rebaptisent The six avant d’entamer leur propre tournée. Lors d’un
concert à New York, ils font la rencontre de Rod Reyes, qui
deviendra leur manager et leur marchepied vers le succès. C’est ce
dernier qui leur suggère de quitter la côte Est pour tenter
l’aventure à Los Angeles. Sur place, le groupe tente de percer sur
la scène indépendante et se fait remarquer par Teddy Price, un
producteur influent chez Runner records, qui décèle immédiatement
le potentiel des Six.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Née d’un père
peintre et d’une mère mannequin, Daisy est une adolescente qui
grandit dans une certaine solitude. Ses parents lui portent peu
d’intérêt et lui laissent une grande liberté, qu’elle met à
profit pour sortir dans les bars de sunset street (Los Angeles). Elle
vient y écouter les groupes de rock qui la passionnent et joue de sa
plastique avantageuse pour se mêler aux groupies et participer aux
soirées festives après les concerts. Elle y perd sa virginité à
quinze ans, ainsi qu’une certaine innocence. Mais d’un
tempérament passionné, Daisy ne se laisse pas démonter et refuse
qu’on la cantonne au rôle de groupie. Alors qu’elle sort avec le
chanteur des Breeze, Wyatt Stone, elle tombe sur l’ébauche d’une
chanson qui semble parler d’elle. Les couplets lui semblent plutôt
pauvres et le refrain peu accrocheur, elle suggère alors à Wyatt de
modifier son texte en profondeur et lui propose quelques idées, dont
le compositeur s’empare immédiatement. Tiny Love devient
rapidement le plus grand succès des Breeze. Mais Daisy ne veut pas
être la muse d’artistes en manque d’inspiration, elle souhaite
créer ses propres chansons et bien évidemment les interpréter.
Alors elle écrit et consigne toutes ses chansons dans un petit
carnet qui, pense-t-elle, finira bien par retenir l’attention d’un
membre influent de la scène musicale. Mais finalement, c’est grâce
à sa voix que Daisy finit par se faire remarquer. Alors que son
petit ami de l’époque, le chanteur du groupe Mi Vida, l’invite à
monter sur scène pour interpréter une reprise, Daisy fait
sensation. Runner records tente de lui faire signer un contrat, mais
refuse systématiquement ses textes. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Du côté des Six,
la sortie de leur premier album, puis la tournée qui s’ensuit,
permettent au groupe de faire sensation. Mais déjà le succès
naissant bouleverse l’équilibre du groupe. Billy prend de plus en
plus l’ascendant sur les autres musiciens ; il impose ses textes,
ses compositions, ses arrangements tout en résistant mal à la
pression et aux excès qui accompagnent forcément la folle ascension
des Six. Les filles se bousculent dans les loges, l’alcool et la
drogue coulent à flot et les soirées qui suivent les concerts se
transforment en véritables orgies. Billy perd de plus en plus le
contrôle sur son processus créatif et cède à tous les excès.
Il lui faudra tout l’amour de son épouse, Camila, et une petite
cure de désintox pour reprendre les rênes de sa vie. C’est Teddy
Price, leur producteur commun, qui mettra en relation les Six avec
Daisy Jones. Alors que la jeune femme refuse d’enregistrer la
moindre chanson dont elle n’aurait pas écrit le texte, Teddy lui
propose une collaboration avec les Six. Ces derniers sont sur le
point de finaliser leur second album, mais le label, tout en
reconnaissant la qualité des compositions, cherche un morceau
susceptible de faire un hit. Teddy espère que cette collaboration
donnera lieu à une nouvelle alchimie et apportera la petite
étincelle qui manque encore à l’album. C’est le début d’une
fructueuse, mais tumultueuse association entre les Six et Daisy
Jones. La collaboration entre Billy et Daisy, co-architectes des
principaux succès du groupe, mais duo aux relations orageuses et
conflictuelles, donnera lieu à la création de l’album Aurora,
chef d’oeuvre de l’histoire du rock et testament bien malgré lui
d’un groupe parvenu au sommet de son talent créatif. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Daisy Jones &
The six, au risque de vous décevoir, n’est hélas qu’une
fiction. Le groupe n’a jamais existé, mais à travers son parcours
on peut tout de même déceler un certain nombre d’influences. Les
amateurs de rock des seventies auront sans doute détecté de
nombreuses similitudes avec le groupe Fleetwood mac (seconde
génération, pas le groupe initial créé par Peter Green), dont
l’album Rumours (énorme succès lors de sa sortie en 1977) connut
un processus créatif assez complexe, pour ne pas dire tumultueux. La
relation d’amour/haine entre Billy Dunne et Daisy Jones, s’inspire
en grande partie de celle qui se tissa entre Stevie Nicks (chanteuse
des Fleetwood mac) et Lindsey Buckingam (lead guitariste). Construit
sous la forme d’un documentaire recueillant les témoignages
croisés des musiciens, des producteurs, managers et de quelques
proches du groupe, le roman a l’intelligence de varier les points
de vue, mais aussi la vision et l’interprétation que chacun a pu
avoir de cette courte mais intense aventure musicale. Certaines
anecdotes sont ainsi racontées sous deux angles différents ou
simplement se complètent pour élargir la focale. Les témoignages
courts et intenses s’enchaînent à une vitesse vertigineuse,
parfois entrecoupés de petites synthèses explicatives, rares, mais
toujours placées de manière pertinente. C’est
indiscutablement superbement construit et rappelle l’excellent
Please Kill Me (un vrai documentaire cette fois sur l’histoire du
punk). </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Le moteur de cette
histoire, c’est bien évidemment la relation complexe qui unit
Billy et Daisy, une relation puissamment créatrice mais qui s’avère
destructrice, leurs égos se heurtent et se complètent à merveille
tout autant que leurs imaginaires respectifs, profondément
mélancoliques, se télescopent et explosent en particules d’énergie
pure. Billy et Daisy s’aiment autant qu’ils se haïssent,
s’admirent mutuellement tout autant qu’ils se détestent, se
déchirent puis se réconcilient dans la minute qui suit. La présence
de l’autre leur semble insupportable tout autant qu’elle leur est
nécessaire, voire vitale. Ensemble ils créent des textes et des
compositions d’une intensité folle, se répondent l’un à
l’autre par couplets interposés, entrelacent leurs âmes par des
vers d’une beauté à couper le souffle et se brisent le coeur à
coups de punchlines dévastatrices. Car leur amour, aussi puissant et
intense soit-il, est impossible et ne peut trouver de fin heureuse.
Quant aux autres membres du groupe, ils sont de facto exclus de ce
processus créatif parfaitement binaire et se retrouvent réduits à
la condition d’exécutants, de musiciens de studio à qui on
demande de jouer une partition à laquelle ils n’ont guère
participé, exacerbant ainsi les tensions. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">La démonstration
est parfaitement implacable et retranscrit avec finesse et justesse
les jeux de pouvoir qui peuvent s’exercer au sein d’une formation
musicale, où les égos et les susceptibilités des uns et des autres
finissent souvent par s’entrechoquer. Mais la réussite de cette
plongée au cœur des relations d’un groupe de rock ne doit pas
faire oublier la richesse de la reconstitution historique, qui nous
ramène cinquante ans en arrière, dans cette époque d’une
richesse musicale inouïe et d’une liberté absolument fascinante.
Bref, si vous êtes un amateur de rock des seventies, Daisy Jones &
The six est un incontournable et devrait vous pousser à exhumer de
vos armoires vos vinyles les plus précieux. Sortez-les de leurs
pochettes, époussetez-les avec amour avant de les placer sur votre
platine puis de poser délicatement le saphir sur les microsillons,
et pensez à ce que l’album Aurora aurait pu vous procurer comme
plaisir s’il avait vu le jour. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">NB : à noter que le
roman a inspiré une excellente petite série télé, diffusée si je
ne m’abuse sur Prime et qui s’avère très fidèle à l’esprit
du livre. La partie partition musicale est en demi-teinte, mais les
acteurs sont formidables.</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-47331401556955567402024-01-23T17:39:00.000+00:002024-01-23T17:39:14.927+00:00Lointain futur ? Rossignol, d'Audrey Pleynet<p> </p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">
</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://images.weserv.nl/?url=https%3A%2F%2Fwww.belial.fr%2Fimages%2F%2Fbook%2F69%2F80269.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img alt="Couverture du livre d'Audrey Pleynet : Rossignol" border="0" data-original-height="800" data-original-width="532" height="320" src="https://images.weserv.nl/?url=https%3A%2F%2Fwww.belial.fr%2Fimages%2F%2Fbook%2F69%2F80269.jpg" width="213" /></a></div><br />D’abord la couverture. Je choisis rarement un livre sur sa
couverture, parfois même malgré celle-ci. Mais ce petit rossignol
au corps nébuleux perché au-dessus d’un sombre abysse et comme
enveloppé d’un délicat rameau aux feuilles évanescentes attire
l’œil.<p></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">Regardez-le bien,
car il ne réapparaîtra pas de sitôt. Mais ce n’est pas si grave.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">A travers le regard
de la narratrice, nous découvrons le monde de la station, une espèce
d’île pirate du cosmos. Là, les différentes espèces de
l’Univers connu se côtoient, se mêlent, s’étreignent, se
métissent pour donner naissance à des hybrides plus ou moins
viables. Chacun vit selon ses paramètres. La station est une espèce
d’utopie anarchiste, une communauté au mélange extrême vivant de
trafics plus ou moins commerciaux et d’extraction des minerais des
astéroïdes, et grâce à une technologie que personne en fait ne
connaît plus vraiment. Dans ce microcosme, la narratrice est en
fuite, et se souvient, mêlant ses souvenirs à sa réalité du
moment, passant d’un présent incertain à un passé émietté et
vice-versa, jusqu’à un futur lointain. Elle est poursuivie pour on
ne sait quoi, par un certain Victor, chef de file des Spéciens,
tandis qu’elle est protégée par les Fusionnistes de son amie
d’enfance ‘Ha.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">En moins de cent
trente pages (format poche), l’autrice nous fait découvrir un univers miniature extraordinaire de complexité, nous fait
partager des sentiments très forts, déroule une énigme à la façon
d’un thriller, tout cela par les yeux d’une héroïne au centre
du maelström, petit rouage devenu actrice centrale du drame qui se
joue, mais dans un fil du temps aux courbes sinueuses.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">Le récit vous
emporte comme une lame de fond, vous soulève, vous noie et vous
recrache, hébétée dans votre fauteuil. La première lecture n’est
pas aisée, car si le style est élégant, les informations sont
foisonnantes. On pourrait se perdre, comme la narratrice à certains
moments de sa vie, et pourtant le fil est là, toujours, qui nous
empêche de dériver trop loin malgré les digressions, jamais
gratuites, les retours en arrière, toujours éclairants, les bonds
en avant, toujours angoissants.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">Quant à la seconde
lecture... Je crains qu’elle manque de la saveur incomparable de la
découverte, mais elle permettra de replonger, à nouveau, dans la
station, et de ressentir, un peu plus, toutes les émotions de la
narratrice.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">Un petit livre pour
un grand moment de science-fiction.</p>
Valérie Mottuhttp://www.blogger.com/profile/02593743808220673303noreply@blogger.com8tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-30647585406972100252024-01-23T09:38:00.007+00:002024-01-24T10:14:46.678+00:00Polar de la frontière : Tijuana straits, de Kem Nunn<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGQUU_WdtqKk3oXnt3h_8DBuvBqYtj5xvWIShFYNJBqYcBIowhPakyA5Wzcllow7weWXTuUEduRLy4R_0hO5sqt1XPV-vEP4OccLtF1f8dsQ5kwkhrona5ti6hHKWSpdbkSXlAv9Fdy4E4wJ-SSdKV7JJZx-lkBbOvaKb24BwRs_oTZXc5en1h0lDCQhI/s350/kemnunn.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="212" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGQUU_WdtqKk3oXnt3h_8DBuvBqYtj5xvWIShFYNJBqYcBIowhPakyA5Wzcllow7weWXTuUEduRLy4R_0hO5sqt1XPV-vEP4OccLtF1f8dsQ5kwkhrona5ti6hHKWSpdbkSXlAv9Fdy4E4wJ-SSdKV7JJZx-lkBbOvaKb24BwRs_oTZXc5en1h0lDCQhI/s320/kemnunn.jpg" width="194" /></a></div><div style="text-align: justify;">Le monde du surf a quelque chose de parfaitement dichotomique. En
réalité, deux oppositions de style, ou plutôt deux philosophies
parfaitement antinomiques, s’affrontent depuis que ce sport
est devenu l’une des activités nautiques les plus populaires
autour de la planète. La première est sans doute la plus ancrée
dans l’imaginaire collectif, c’est celle qui présente les
surfeurs comme des amoureux inconditionnels de l’océan, des
mystiques qui ont organisé leur mode de vie autour du surf, ne
vivent que pour le surf et par le surf. Elle présente les surfeurs
comme des adeptes de la coolitude extrême, se contentant de peu (une
planche, un bus Volkswagen, une combi et une belle droite qui casse
avec régularité sur une mer glassy), des êtres en quête de
spiritualité marine, ne rêvant que de voyages à travers les
océans, à la recherche de “La Vague”. Ce mythe est parfaitement
retranscrit dans le film <i><b>Endless summer</b></i> (Bruce Brown, 1966),
mais ne représente en réalité qu’un mirage. Loin de moi l’idée
de nier l’existence de ce type de surfeurs, mais la réalité est
incontestablement moins séduisante. Au début des années 90, <b><i>Point
break</i></b> proposait une vision plus contrastée du monde du surf,
certes parfois un peu outrancière, mais pas inintéressante. Un
milieu assez peu accueillant, où les “locaux” squattent les
spots les plus populaires et n’hésitent pas à jouer du
poing pour imposer leur hiérarchie dans l’eau. Quarante ans plus
tard, la situation ne s’est guère améliorée, il suffit
d’observer de qui se passe sur les plages pour se rendre compte
que, toute l’année, le moindre spot est saturé à l’envi. Le
surf est devenu un loisir de masse victime de son succès. Le fameux
spot secret du Cap St Francis d’Endless summer, qui a fait rêver
des générations entières de surfeurs, est ainsi devenu la proie
des promoteurs immobiliers sans scrupules et une usine à touristes
sans charme. Pour le rêve il faudra repasser. Cette pression sur la
moindre vague surfable a rendu certains spots quasiment
infréquentables, sauf si vous aimez poireauter au line up et
batailler au peak pour prendre la moindre vague (au risque de prendre
dans la figure autre chose qu’un mur d’eau). </div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Autant vous dire que
la littérature de Kem Nunn s’inscrit plutôt dans la deuxième
tendance, celle du désenchantement, que l’on avait clairement pu
percevoir dans <i><a href="https://bloggerinfabula.blogspot.com/2011/09/dans-la-chambre-verte-surf-city-de-kem.html" target="_blank">Surf city</a></i> ou bien encore <i>Le sabot du diable</i>.
Des polars bien noirs, qui annonçaient clairement la couleur : le
surf, c’est pas vraiment le pays des Bisounours. Dans <i>Tijuana
Straits</i>, la recette n’a pas changé, c’est toujours
aussi sombre, extrêmement bien écrit et l’auteur américain prend
soin d’inscrire son roman dans une dimension sociétale à la fois
engagée et finement décrite. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Au sud de San Diego,
à la frontière avec le Mexique, Sam Fahey, ancien surfeur de renom
passé par la case prison, mène une vie de reclus. Désormais rangé,
mais un peu au bout du rouleau, il tente de survivre en pratiquant la
lombriculture, c'est-à-dire l’élevage des vers de terre, sur la
petite ferme que lui a léguée son père. Mais la vallée de la
Tijuana ne fait guère rêver. Plaque tournante d’un trafic de
drogue quasiment impossible à endiguer, la région est également
polluée par les activités industrielles qui ont fait la fortune de
quelques ploutocrates des deux côtés de la frontière et le malheur
de la rivière, qui charrie des eaux chargées en toxines et
polluants divers et variés jusqu’à l’embouchure de l’océan.
Dernière ombre au tableau, la zone est aussi l’un des principaux
points de passage des migrants qui tentent de passer la frontière.
Mais pour atteindre l’eldorado, encore faut-il échapper aux
patrouilles de la police des frontières, à la noyade ou bien encore
aux bandits et autres passeurs malintentionnés qui dépouillent
régulièrement les Mexicains en quête de jours meilleurs. Jusqu’à
présent, rien n’avait réussi à troubler véritablement la
retraite quasi monastique de Fahey, jusqu’au jour où il porte
secours à une jeune mexicaine égarée au milieu de la rivière.
Malgré quelques égratignures et ecchymoses, la jeune femme semble
en bonne santé, mais complètement déboussolée et terrifiée. Sam
se serait bien passé de cet incident, mais il décide de prendre la
jeune femme sous son aile et de l’accueillir chez lui, le temps
qu’elle se remette de ses légères blessures et reprenne des
forces. Sa présence bouleverse immédiatement ses habitudes et
renvoie Fahey à sa propre condition, celle d’un homme au passé
tumultueux, quelque peu désabusé, qui a renoncé à sa plus grande
passion, le surf, pour des raisons que l’on peine à comprendre,
mais qu’il dévoile peu à peu au contact de Magdalena. La jeune
femme reste d’ailleurs un mystère pour Fahey car elle ne
correspond pas vraiment au portrait type du clandestin. Belle,
intelligente, cultivée, Magdalena est l’assistante d’une avocate
de Tijuana spécialisée dans la défense de l’environnement et
visiblement sa patronne ne s’y est pas fait que des amis. En
passant la frontière clandestinement, Magdalena cherchait surtout à
échapper à deux tueurs à gages déterminés à l’assassiner.
Bien malgré lui, Fahey se retrouve donc impliqué dans cette affaire
car il ne peut se résoudre à abandonner la jeune femme. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Profondément humain
et touchant, <i>Tijuana Straits</i> est un livre étonnant sur la
rédemption, mais qui, loin de se replier sur lui-même, s’inscrit
dans des problématiques plus larges, comme l’écologie ou bien
encore la situation catastrophique des migrants à la frontière
américano-mexicaine. Si le roman commence assez doucement, le rythme
finit par s’accélérer dans le dernier tiers du récit et devient
franchement prenant. Mais la réussite tient surtout à la relation
entre Fahey et Magdalena car Kem Nunn ne cède jamais à la facilité
et, tout en retenue et en délicatesse, observe ces deux êtres que
tout oppose se rencontrer, se découvrir et s’apprécier. Vu à
travers le regard de Magdalena, Fahey n’est pas le loser que les
premiers chapitres du récit semblaient esquisser, cette gloire
locale dont l’ascension s’est brisée à peine au sortir de
l’adolescence. Ses failles profondes, ses erreurs de jugement ou
bien encore ses peurs profondément enfouies, font de Fahey un homme
extrêmement attachant car il ne se laisse jamais complètement
submerger et réussit à préserver une petite étincelle de vie au
milieu du chaos ambiant. A force de côtoyer Magdalena, la
personnalité profonde de Fahey remonte à la surface et réussit à
briser les liens qui l’enchaînaient à un passé morbide. La fin
du roman est à mon sens d’une grande justesse et d’une profonde
délicatesse, même si aux yeux de certains elle pourra paraître
injuste ; il ne pouvait en être autrement. La boucle est ainsi
bouclée et Fahey rejoint son destin de surfeur pour
l’éternité. Assurément, <i>Tijuana Straits</i> est probablement
la plus grande réussite de Kem Nunn à ce jour.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-42719290408284496022023-12-11T13:17:00.005+00:002023-12-18T12:14:07.437+00:00Fantasy jubilatoire : Noon du soleil noir, de L.L. Kloetzer<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhBXdLSpGeSkn4sVBe-ZXFCqbFz3lJjwbZlAbkFTHP3PZZ6aeiF-Dj65_ZOeUUunLeXc_lP91tU1jRfvOtcm3gQwHXXv8231DeR8EzCfzMzXP69-WWMKBVw3vHia8aPiUk1talJYTExxLiPEELZmqjm-_upCXDzLlcySVSAhdrzQr4-tjLGinu7Gcbub1g/s350/Noon-du-soleil-noir.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="238" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhBXdLSpGeSkn4sVBe-ZXFCqbFz3lJjwbZlAbkFTHP3PZZ6aeiF-Dj65_ZOeUUunLeXc_lP91tU1jRfvOtcm3gQwHXXv8231DeR8EzCfzMzXP69-WWMKBVw3vHia8aPiUk1talJYTExxLiPEELZmqjm-_upCXDzLlcySVSAhdrzQr4-tjLGinu7Gcbub1g/s320/Noon-du-soleil-noir.jpg" width="218" /></a></div><div style="text-align: justify;">Avis aux amateurs de Sword & Sorcery, cette fantasy à l’ancienne
si chère à Robert E. Howard, Michael Moorcock ou bien Fritz Leiber,
qui a connu ses heures de gloire avant les années 2000 et la montée
en force de la Big Commercial Fantasy. Les lecteurs avaient bien eu
droit à la l’édition chez Denoël Lune d’encre de l’intégrale
des aventures de <i><b>Kane </b></i>(de Karl Edward Wagner) entre 2007 et 2009,
mais depuis, il faut bien avouer que le genre était quelque peu
tombé en désuétude. Laurent et Laure Kloetzer (il s’agit d’une
écriture à quatre mains) ont-ils eu le nez creux ou bien ont-ils
tout simplement suivi leur instinct, toujours est-il que la
publication de <b><i>Noon</i></b>, qui à terme prendra la forme d’une trilogie,
comble un manque et remplit d’allégresse ceux à qui Conan, Kane,
Elric ou bien encore Fafhrd et le Souricier gris avaient
désespérément manqué. C’est plus précisément à ces deux
héros, créés par Fritz Leiber dans le Cycle des épées, que L.L.
Kloetzer rend ouvertement hommage, un hommage assumé et revendiqué,
qui devrait réjouir les aficionados de Leiber mais ne pas perturber
outre-mesure les lecteurs qui ne seraient pas familiers de cet
univers haut en couleur. A cela s’ajoute une excellente idée,
celle d’avoir demandé au talentueux Nicolas Fructus d’illustrer
cet ouvrage, lui donnant un côté graphique du plus bel effet. </div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="line-height: 100%; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; text-align: justify;">Bienvenue à Lankhmar,
oups, pardon, bienvenue dans la Cité de la toge noire où Yors,
ancien mercenaire sans le sou, tente de vendre ses services à qui
voudra bien l’embaucher. Alors qu’une caravane de marchands
franchit les portes de la cité, Yors remarque un jeune homme un peu
lunaire, qui semble plutôt en fonds et caresse le projet de
s’installer en ville comme magicien. Cet homme c’est Noon et si
son attitude laisse quelque peu dubitatif, ses talents de sorcier
semblent incontestables. Yors devient rapidement son homme à tout
faire ; conseiller, guide, garde du corps…. Le bonhomme, un peu
roublard sur les bords, connaît la ville et ses méandres comme sa
poche et se révèle un atout indispensable pour éviter ennuis,
arnaques et coups fourrés qui guettent les esprits candides comme
Noon. Mais les débuts sont quelque peu chaotiques, l’installation
n’a rien d’une sinécure dans une cité où le clientélisme est
roi et où les guildes font la loi. Moyennant quelques entourloupes
et un peu d’astuce, Noon parvient avec l’aide de Yors à
installer sa boutique de sorcellerie, ou plutôt son cabinet de
consultation, car l’homme n’est pas du genre à vendre des
colifichets et autres babioles magiques à quatre sous, mais Noon
semble pourtant prendre un malin plaisir à éconduire ses potentiels
clients, au grand dam d’un Yors qui ne comprendre goutte à
l’attitude de son patron. Mais que cherche donc à prouver Noon,
quelles sont ses véritables intentions, est-il réellement le
personnage ingénu qu’il semble vouloir incarner ?</p>
<p style="line-height: 100%; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; text-align: justify;">Soyons honnêtes, malgré
toutes les qualités dont font preuve Laure et Laurent Kloetzer, <b><i>Noon
du soleil noir</i></b> n’est pour le moment qu’une aimable introduction,
un tome d’exposition qui permet de faire connaissance avec les
personnages et avec le décorum. En l'occurrence, celui-ci paraîtra
forcément très familier aux lecteurs du cycle des épées puisqu’il
s’agit ni plus ni moins que du monde de Nehwon revisité, même si
les auteurs ne nomment pas les lieux de la même façon, on aura tôt
fait de reconnaître Lankhmar (principale cité du cycle des épées)
et ses spécificités. Pour autant, il ne s’agit pas à proprement
parler d’un pastiche, l’évocation reste ici relativement
discrète, et les auteurs ont su s’éloigner suffisamment de leur
modèle de référence pour imprimer au récit sa propre
marque. L’humour se fait aussi plus discret et le lecteur n’a pas
le sentiment comme chez Leiber que l’univers relève de la vaste
blague de potache. Sans se prendre au sérieux tout en respectant
soigneusement l’oeuvre originelle, le roman a pris ses distances
par rapport au ton gentiment parodique du cycle des épées, ce n’est
clairement pas dans ce registre qu’il faudra attendre le couple
Kloetzer. Pour le reste, ce premier tome fournit son lot d'aventures,
de dépaysement et de personnages plus ou moins atypiques pour
remporter assez rapidement l’adhésion du lecteur. Mais bien
évidemment, c’est le personnage de Noon qui intrigue le plus tant
il est entouré de mystère et nimbé d’une aura que son ingénuité
de façade ne parvient pas totalement à effacer. On a envie d’en
savoir davantage sur le personnage, de cerner ses motivations afin de
savoir dans quelle direction nous mènera cette aventure pour le
moment pleine de promesses. </p>
<p style="line-height: 100%; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; text-align: justify;">Avec cette envie
jubilatoire de retrouver le ton décomplexé de la Sword &
Sorcery de nos jeunes années, Laure et Laurent Kloetzer ont mis
carrément dans le mille avec ce projet plein d’une
sincérité rafraîchissante et d’enthousiasme, dont on se régale
à l’avance tant le premier volume regorge de potentialités. N’y
cherchez pas une quelconque révolution stylistique ou thématique,
ici on navigue en territoire connu, mais pour le plus grand plaisir
des plus nostalgiques et bon sang, qu’est-ce que ça fait du bien.
Vivement la suite !</p>
<p style="line-height: 100%; text-align: left;"><br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-16892483424343642442023-12-07T08:49:00.003+00:002023-12-08T08:08:07.093+00:00Thriller historique raté : Tokyo, de Mo Hayder<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGsmqhTTSc5y8T45q2GNNOuw4sIW0xFfcwK9qL4RP6X_KcvjhGiw9ILf6tGpj5950r2cEhYxrEGg3DJ21xMjaKk7G_gnRpW8iZ2b-zGQcJqz_EJLBeVYkEWRonCCQmDaynuafV_As6xZaoUYPvIUaJUS35-PyUnfuKC6R-449VOGWCo9wo_C2l23R9JKs/s350/Tokyo.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="214" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGsmqhTTSc5y8T45q2GNNOuw4sIW0xFfcwK9qL4RP6X_KcvjhGiw9ILf6tGpj5950r2cEhYxrEGg3DJ21xMjaKk7G_gnRpW8iZ2b-zGQcJqz_EJLBeVYkEWRonCCQmDaynuafV_As6xZaoUYPvIUaJUS35-PyUnfuKC6R-449VOGWCo9wo_C2l23R9JKs/s320/Tokyo.jpg" width="196" /></a></div><div style="text-align: justify;">Autant l’avouer d’emblée, j’apprécie de manière générale
les thrillers, mais sans pour autant être un inconditionnel d’un
genre que je considère essentiellement comme récréatif. Rien de
péjoratif dans mes propos, j’adore la littérature de
divertissement, mais j’ai peine à trouver un roman relevant du
thriller pur et dur qui m’ait durablement marqué. Bref, c’est
sympa, ça se lit bien, mais ça s’oublie en général assez vite.
<b><i>Tokyo </i></b>de Mo Hayder fera sans doute exception à cette règle, mais
pas forcément pour de bonnes raisons. Je n’aime pas ce roman,
voilà, c’est dit. Tout simplement parce que je n’apprécie pas
la manière dont il est construit, écrit et les bases narratives sur
lequel il repose. Je ne consacrerai donc qu’une chronique assez
courte à m’en faire le contempteur, chacune jugera ensuite s’il
peut passer outre les défauts qui m’ont paru les plus saillants. </div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Résumons brièvement
l’histoire. Grey, une jeune anglaise aux troubles psychologiques
assez prononcés, se passionne pour l'histoire de la Chine et en
particulier pour un épisode sanglant de la guerre sino-japonaise :
le massacre de Nankin en 1937. Cette passion confine d’ailleurs à
l’obsession et se mêle à d’autres problématiques familiales
plus ou moins compliquées, qui la conduisent un temps en hôpital
psychiatrique. On l’aura compris, Grey est un personnage en
apparence complexe, instable et sans cesse au bord de la
psychose. Persuadée qu’il existe un film d’archives sur le
massacre de Nankin, dont elle croit avoir trouvé la mention dans un
ouvrage universitaire, Grey plaque tout et vend ses maigres
possessions pour se rendre au Japon et mener l’enquête auprès
d’un vieux professeur chinois, dont elle espère obtenir
d’importantes informations. Hélas, sur place c’est la
désillusion, le vieil homme refuse catégoriquement de lui parler et
la jeune femme se retrouve sans ressources dans un pays étranger
dont elle maîtrise tout de même à peu près la langue. Pour
subvenir à ses besoins, Grey accepte de travailler dans un bar à
hôtesses et tente tant bien que mal de réunir des informations pour
retrouver la trace du film de Nankin. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Tout au long du
roman, l’auteure ne cesse d’établir des parallèles assez peu
subtils entre la propre histoire de Grey (dont on comprends
progressivement l’origine des troubles psychologiques) et le vieux
professeur chinois, dont on a tôt fait de saisir qu’il est l’un
des rares survivants du massacre de Nankin. Le roman est donc
architecturé autour d’un double récit, celui de Grey, ancré dans
le présent, et celui du vieux professeur qui prend la forme d’un
journal de bord écrit lors des événements de 1937. Mo Hayder prend
le parti d’exploiter l’horreur des atrocités commises lors du
massacre de Nankin par les armées japonaises, qui dépassent
d’ailleurs l’entendement, pour en prolonger toute la dimension
cauchemardesque à notre époque et mettre en exergue les aspects les
plus sensationnalistes (attention, là ça va sévèrement
divulgacher). A mon sens, la partie la plus historique, celle
narrée par le vieux professeur chinois, est la plus réussie, mais
la partie plus moderne est plus que discutable. Non contente d’être
bourrée de clichés, elle sombre dans une obscure histoire de
cannibalisme thérapeuthique, réduisant l’horreur de Nankin à un
seul homme, certes malade et profondément dérangé, mais tenu pour
responsable des atrocités commises par les Japonais. Hors nous
parlons d’un massacre qui n’a rien de fictif, plusieurs centaines
de milliers de civils furent assassinés, torturés, violés (hommes,
femmes, enfants confondus) durant près de six semaines par les
troupes japonaises. Il s’agit ici de crimes de guerre légitimés
par les plus hautes sphères du pouvoir impérial, pas forcément
planifiés de manière rationnelle comme le génocide des populations
juives et tziganes d’Europe, mais légitimés et encouragés par
l’état major de l’armée japonaises et couverts par l’empereur
en personne (qui accepta de signer une directive suspendant les
mesures de protection des prisonniers prévues par le droit
international). N’oublions pas, par ailleurs, le rôle de la
propagande japonaise, qui encourageait les soldats à traîter les
Chinois comme des êtres inférieurs et sacrifiables. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Encore une fois,
l’Histoire n’est pas qu’un décor, un substrat à partir duquel
il est possible de broder tout et n’importe quoi et Mo Hayder
n’avait certainement pas de mauvaises intentions en développant
l’histoire de Grey, mais les parallèles qu’elle établit entre
la trame historique réelle de la guerre sino-japonaise et les
développements fictifs de son thriller sont d’une extrême
maladresse et relèvent d’une simplification difficilement
pardonnable. Si vous êtes capable de passer outre ces considérations
historiographiques, <i><b>Tokyo </b></i>reste un thriller bien construit et
rondement mené, bien que parfois peu crédible. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-87003766912151264452023-11-10T07:32:00.005+00:002023-11-15T07:18:31.466+00:00Littérature palestinienne : Un détail mineur, d'Adania Shibli<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjDJRffhaIIONBxg4u9lpXVNwYYY66COWYcUGdrkmp0vS15MdvhOfnlQptHSQCRDgdCtCq37NpdfV50_1ynapuUMobT-L4BiRr_kSZTywfNbZ0Dj8elvxMyo2GBJ_EBr6D3ekBGcmkHgHtsPe5l7Bjt2sk-Xv9RoDpCB-vnj1h9N6TGDhJ_v6RkGBwtwWY/s350/detailmineur.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="220" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjDJRffhaIIONBxg4u9lpXVNwYYY66COWYcUGdrkmp0vS15MdvhOfnlQptHSQCRDgdCtCq37NpdfV50_1ynapuUMobT-L4BiRr_kSZTywfNbZ0Dj8elvxMyo2GBJ_EBr6D3ekBGcmkHgHtsPe5l7Bjt2sk-Xv9RoDpCB-vnj1h9N6TGDhJ_v6RkGBwtwWY/s320/detailmineur.jpg" width="201" /></a></div><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Il est est des fois ou, pour son plus grand malheur, la littérature
ne peut échapper aux tensions qui agitent notre monde.. C’est le
cas du conflit israelo-palestinien, qui vient heurter de plein fouet
le réel et la petite sphère pourtant bien tranquille de la
littérature. L’affaire se déroule un peu avant la foire du livre
de Francfort, au lendemain de l’attaque du Hamas contre des civils
israéliens. Alors que le monde entier est encore sous le choc de ces
atrocités, les organisateurs de la foire du livre annoncent
l’annulation de toutes les activités auxquelles l’écrivaine
palestinienne Adania Shibli devait participer au cours de cette
manifestation. Tables rondes, dédicaces, rencontres avec le public,
tout passe à la trappe, y compris la remise du prix LiBeraturpreis
2023, dont elle est la lauréate. Tout ceci, afin de rendre “les
voix israéliennes particulièrement audibles” dixit la direction
du salon. Consternation dans le milieu de l’édition, mais aussi
auprès du public, pourtant suffisamment intelligent pour faire la
part des choses. A toute chose malheur est bon puisque cette
polémique stérile et non avenue a permis indirectement de mettre en
lumière le travail d’Adania Shibli et provoqué un regain
d’intérêt pour ses livres, même si on aurait préféré bien
évidemment se passer d’une telle polémique. Pour être tout à
fait honnête, sans <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/16/la-foire-du-livre-de-francfort-declare-rendre-les-voix-israeliennes-audibles-tandis-qu-elle-reduit-l-espace-accorde-aux-voix-palestiniennes_6194805_3232.html">un
article du Monde publié le 16 octobre</a>, je serais très
certainement passé à côté de son troisième roman, <i>Un détail
mineur</i>, traduit et publié chez Actes Sud en 2020. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Le roman s’inspire
d’un fait réel, rapporté par le quotidien Haaretz en 2003, qui
révèle qu’en août 1949, des soldats occupant un avant-poste
situé dans le Néguev, capturèrent, violèrent, puis assassinèrent
une jeune palestinienne, avant d’enterrer son cadavre au milieu du
désert. Une affaire sordide dont s’empare soixante-dix ans plus
tard Adania Shibli, avec un mélange de force et de délicatesse dont
on ne peut être qu’admiratif. La première partie du roman se
déroule en 1949 et décrit le déroulement de ce crime odieux,
mettant en scène le commandant du camp, un homme obsédé par
l’ordre et par l’hygiène, et sa victime mutique dont on ne
perçoit que l’effroi terrible et désespéré. La seconde partie
du récit se déroule un peu plus de cinquante ans plus tard, alors
que l’affaire est publiée dans les médias, et met en scène une
jeune palestinienne, qui, intriguée et profondément émue par cette
histoire tragique, qui se déroula vingt-cinq ans jour pour jour
avant sa naissance, décide de mener l’enquête. Bravant les
obstacles les uns après les autres, la jeune femme se rend sur
les lieux du crime, tente de réunir des documents qui pourraient
éclairer cette affaire, mettre en lumière le récit passé
totalement sous silence de cette innocente et si jeune victime. Mais
ses recherches semblent vouées à l’échec, chaque piste menant
dans une impasse. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Pour qui n’a
qu’une vision très approximative de la géopolitique du
Proche-Orient, et de la Palestine en particulier, le roman d’Adania
Shibli a le très grand mérite de remettre les choses dans leur
contexte. La Cisjordanie est un territoire occupé, dont la tête a
été décapitée en 1967. Il existe bien une Autorité
palestinienne, mais elle n’a d’autorité que le nom, et encore
sur une toute petite portion d’un territoire morcelé (Ramallah à
peu de choses près), divisé et entrecoupé de checkpoints, de
routes quasiment interdites aux autochtones, d’enclaves
palestiniennes, de colonies israéliennes parfaitement illégales aux
yeux du droit international. Divisée en trois zones distinctes, la
Cisjordanie n’est pas un territoire de libre circulation et si la
théorie autorise en principe aux Palestiniens d’une zone à se
rendre dans une autre, dans les faits, de nombreuses mesures
d’exception les en empêchent. Et lorsque ce n’est pas le cas,
encore faut-il qu’ils soient motivés pour passer les différents
checkpoints destinés à entraver leur libre circulation. A cela,
faut-il ajouter les nombreuses opérations de police menées par
l’armée israélienne et destinées à lutter contre le terrorisme
ou assurer la sécurité d’Israël. Ainsi n’est-il pas rare
d’être arrêté de manière arbitraire, d’assister à une scène
de guérilla urbaine entre Tsahal et un groupuscule armé palestinien
ou au dynamitage d’un immeuble censé être occupé par les
terroristes. C’est également pour des raisons de “sécurité”
que l’Etat israélien s’empare de certaines routes stratégiques
ou bien encore empêche les Palestiniens de creuser des puits pour
irriguer leurs cultures alors même que les colons s’octroient les
meilleures terres agricoles et l’essentiel des ressources
hydriques.</p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"> Evidemment, Adania Shibli se montre bien plus subtile dans
sa démonstration et ne dénonce jamais gratuitement, elle ne fait
que narrer le plus simplement du monde le réel auquel ses
personnages sont confrontés. La démonstration se montre implacable
et sans doute plus efficace encore qu’un énième brûlot
politique. La force du roman réside dans la capacité de l’auteure
à se montrer essentiellement factuelle, évitant toute forme de
partialité forcément piégeuse. Ainsi tout en nuances et par
touches successives, Adania Shibli dénonce un système
incroyablement répressif et terriblement humiliant, sans mettre pour
autant en accusation le peuple israélien. Ainsi, l’autre n’est
pas forcément l’ennemi aux mille visages, mais un humain en proie
aux doutes, à la peur ou bien à l’incompréhension. L’ennemi
c’est ce soldat qui par peur pointe son arme sur une jeune femme
qui cherche juste à rejoindre son travail, mais c’est aussi ce
jeune israélien qui lui indique gentiment une chambre d’hôte où
passer la nuit ou bien encore ce militaire qui lui sourit alors
qu’elle visite un musée de Tsahal. Reste la violence d’un
système qui nie dans sa mécanique implacable la sensibilité
de l’individu, son innocence et son humanité profonde. <i>Un détail
mineur</i> n’est pas un roman qui oppose Israéliens et Palestinien,
c’est un roman qui montre la fragilité de l’individu face à une
politique parfaitement déshumanisée, qui n’a d’autre objectif
que des considérations géostratégiques et sécuritaires, occultant
la dimension humaine de tout un peuple qui subit jour après jour
vexations, humiliations et souffrances. Non, il ne s’agit pas d’un
détail mineur, d’un crime parmi d’autres, mais d’un témoignage
bouleversant du drame qui se joue depuis 70 ans en Palestine. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-90746514382115032222023-10-09T07:30:00.008+00:002023-10-09T07:31:11.245+00:00Le chevalier aux épines (T2) : Le conte de l'assassin, de Jean-Philippe Jaworski<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjd4efNMi-aR8pxcWHIF-07VctJIiS9tw2llI5wQN2HeiMZ0QcEVp8ZMHo7ZcQTG3ycnC36yxC0-Z6i5qsCbsI5b8z8mTWIjN3HvfiD_YlKZNXjAcOv3XZHd_QOTEP73fuPAtgJgTsEa6VyXPMeecweGZt5oMcQ0SHQJwQYIf3L1SPpLljGoMAdgkZtnrU/s350/chevalier-epines-2.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="270" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjd4efNMi-aR8pxcWHIF-07VctJIiS9tw2llI5wQN2HeiMZ0QcEVp8ZMHo7ZcQTG3ycnC36yxC0-Z6i5qsCbsI5b8z8mTWIjN3HvfiD_YlKZNXjAcOv3XZHd_QOTEP73fuPAtgJgTsEa6VyXPMeecweGZt5oMcQ0SHQJwQYIf3L1SPpLljGoMAdgkZtnrU/s320/chevalier-epines-2.jpg" width="247" /></a></div><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Inutile d’en faire un mystère étant donné la fin du premier tome
du Chevalier aux épines, don Benvenuto Gesufal est de retour, pour
la plus grande joie des lecteurs de Jean-Philippe Jaworski. Ce
personnage gouailleur et haut en couleurs, assassin de son état, ou
plutôt tueur à gages pour les puissants seigneurs de la cité-état
de Ciudalia, avait fait sa première apparition dans “Nouvelle
donne”, un texte figurant au sommaire de l’excellent recueil de
nouvelles Janua Vera, puis il avait définitivement conquis le coeur
des amateurs de fantasy un brin crapuleuse en incarnant le personnage
principal de Gagner la guerre, pierre angulaire de l’oeuvre de
Jean-Philippe Jaworski, qui lui permit de s’imposer comme l’un
des grands maîtres de la fantasy moderne. Il faut bien reconnaître
que le bougre nous avait manqué. Sa verve insatiable, son
franc-parler et sa morale douteuse teintée d’une certaine malice,
nous avaient tant régalés dans Gagner la guerre, que retrouver
ce bon vieux Benvenuto à la fin de l’acte un du Chevalier aux
épines a été à la fois une immense surprise et un plaisir
indicible. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Jean-Philippe
Jaworski a même eu l’excellente idée de lui consacrer ce second
acte en prenant littéralement le contrepied du premier volume afin
de présenter le point de vue du camp adverse, celui du Duc Ganelon.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Résumons
succinctement le premier tome. Afin de laver l’honneur de la
duchesse Audéarde, répudiée par son mari le duc Ganelon de Bromael
pour un supposé adultère, ses partisans organisent un tournoi afin
de défier le parti du Duc. Cette faction, plus ou moins ouvertement
séditieuse, réussit même à rallier l’ancien champion de la
duchesse, le chevalier de Vaumacel, longtemps parti en exil à la
suite de sa disgrâce, mais aujourd’hui bien décidé à faire
valoir son point de vue, dans le sang si nécessaire. Mais aussi
prestigieux soit-il, le tournoi n’est qu’une feinte, une
diversion destinée à permettre au fils aîné de la duchesse de
libérer sa mère du couvent où elle est enfermée. En réalité,
dans l’ombre œuvrent des forces qui dépassent ces champions
obnubilés par leur honneur de pacotille, des mouvements souterrains
puissants s’activent dans le secret afin de renverser l’équilibre
fragile des pouvoirs. Bien malin celui qui réussira à tirer son
épingle du jeu, mais le chevalier de Vaumacel n’en fera sans doute
pas partie, puisqu’au cours du tournoi, il est poignardé par un
soudard à la trogne peu amène et aux manières assez peu
chevaleresques. Les lecteurs avertis auront immanquablement reconnu
le style peu académique, mais redoutable, de Don Benvenuto. C’est
sur ce revirement surprenant que prend fin l’acte un, laissant le
lecteur dans un état proche de la sidération. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Ce second tome ne
démarre pas exactement là où s’arrêtait le premier volet,
puisque Jean-Philippe Jaworski préfère opérer un judicieux retour
en arrière, pour que l’on puisse comprendre l’enchaînement des
événements qui ont permis à Don Benvenuto, pas vraiment à sa
place dans un combat de chevalerie, de se retrouver au coeur de la
mêlée et de poignarder sournoisement le chevalier de
Vaumacel. Si les considérations dynastiques et politiques du premier
tome vous paraissaient déjà un peu obscures, l’auteur se permet
d’élargir le champ et nous fait entrer de plain-pied dans la
géopolitique complexe du vieux royaume. Et soudain, Ciudalia
et ses intrigues de palais dignes des Borgia paraissent moins
éloignées. Je me permets donc d’amender quelque peu ce que
j’avais énoncé dans la chronique du premier volet, avoir lu
Gagner la guerre est, sinon indispensable, très appréciable tant
les références aux aventures initiales de Don Benvenuto sont
nombreuses. Difficile en effet de comprendre les griefs de Clara
Ducatore, désormais épouse du duc Ganelon, à l’encontre de notre
maître assassin, si l’on n’a pas connaissance de leur orageuse
relation passée. Toujours est-il, qu’à la suite du mariage de la
fille du Podestat Leonide Ducatore (Clara) avec le duc Ganelon, le
père de la mariée s’est engagé à verser une dot colossale à
son gendre, agrémentée d’un bonus conséquent pour la naissance
de leur héritier. Mais pour convoyer ce trésor de guerre (plus de
400 000 florins d’or et le le reste en lettres de créances), il
faut, certes, une flotte de combat armée jusqu’aux dents, mais
également des hommes de confiance. Le podestat envoie donc une
délégation composée de son neveu, d’un sénateur de pacotille
destiné à tromper la vigilance de son gendre et de ses conseillers
et du fidèle don Benvenuto, nommé pour l’occasion grand argentier
et responsable du trésor, un comble pour un personnage aussi peu
recommandable que notre assassin préféré. A charge pour lui,
de remplir ensuite les objectifs officieux de sa mission,
c'est-à-dire collecter un maximum de renseignements compromettants
et accéder aux désirs de la nouvelle duchesse, sans pour autant
porter atteinte aux intérêts de Ciudalia, autrement dit du
podestat. Autant vous dire que ce bon Don Benvenuto marche sur
des charbons ardents, non seulement il déteste prendre la mer, mais
en plus Clara Ducatore ne le porte pas vraiment dans son cœur.
Benvenuto ne pourra pourtant pas y échapper, il reste pieds et
poings liés en tant qu’homme du podestat. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Alors que le premier
volume se voulait plus choral, enchaînant les personnages et les
lieux, Le conte de l’assassin se montre plus linéaire puisqu’il
est davantage centré sur la personne de Benvenuto, mais le récit
reste construit de manière assez habile, multipliant les flashbacks
pour rappeler les enjeux passés, parfois de manière enchâssée, ce
qui démontre la maîtrise de l’auteur en matière de construction
narrative. Evidemment, le style a largement évolué pour s’adapter
à la gouaille populaire de Don Benvenuto, très largement inspirée
de l’argot (ce qui fait sens puisque les origines de l’argot sont
liées aux communautés de voleurs, bandits et autres malandrins
peuplant les quartiers mal famés), mais toujours avec une recherche
stylistique qui force le respect et qui, sans aucun doute, demande
tout autant de travail d’écriture. L’ensemble paraîtra sans
doute moins ampoulé et moins précieux, mais ne demandera pas moins
d’efforts de lecture et c’est tant mieux car on apprécie tout le
soin que Jean-Philippe Jaworski apporte au travail de la langue. Oui,
cela s’appelle l’exigence stylistique et c’est d’autant plus
précieux qu’elle a tendance à disparaître ces derniers temps. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Que dire d’autre,
si ce n’est que ceux qui n’ont jamais apprécié le personnage de
don Benvenuto n’auront pas vraiment l’occasion de réviser leur
avis, ce coquin est toujours aussi détestable que truculent. son
fond de commerce reste le crime, le viol et le meurtre. Les cœurs
sensibles sont prévenus. Il est évident que l’un des
principaux ressorts du roman provient en partie du plaisir coupable
et ambivalent lié au personnage de Benvenuto. Moralement,
l’homme est tout à fait déplorable, mais on ne peut s’empêcher
d’éprouver une forme de fascination, voire de jubilation, à le
voir évoluer dans un monde qui ne vaut guère mieux que lui, tirant
son épingle du jeu au milieu des coups fourrés et autres intrigues
de palais. Cette position d’équilibriste sans cesse sur la brèche
incite pourtant le lecteur à une certaine mansuétude vis-à -vis de
cette bonne vieille crapule de don Benvenuto, comme s’il était
difficile de définitivement condamner un homme acculé et prisonnier
de sa propre condition. Dont acte ! Les âmes sensibles
s’abstiendront de suivre les aventures de don Benvenuto, alors que
les plus endurcis reprendront bien une dose de Jean-Philippe
Jaworski. Rendez-vous pris pour le troisième et ultime volet de
cette trilogie, afin d’en découvrir le dénouement sans doute
passionnant. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-12648614297050396262023-10-02T06:47:00.010+00:002023-10-02T06:50:08.790+00:00Littérature américaine : Conte d'automne, de Julia Glass<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJO_kDOkynA9ZqKfzMZFHmgCPgyyqWHvle3bOI3HMVvBAuRzyFxmLYPPdYGn50qN_-SIaVl5i5yah2emPtfU5fMGHHELpiRyPJR926Pa7RJuO0MiJt5hxyxRQZiPy9l9LF0NBds8DyvbEgr6gFXEJF2rjqXJLPg5JKk8e9Wmdo9jGx76xgm_8xJ-IADTw/s336/Conte-d-automne.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="336" data-original-width="217" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJO_kDOkynA9ZqKfzMZFHmgCPgyyqWHvle3bOI3HMVvBAuRzyFxmLYPPdYGn50qN_-SIaVl5i5yah2emPtfU5fMGHHELpiRyPJR926Pa7RJuO0MiJt5hxyxRQZiPy9l9LF0NBds8DyvbEgr6gFXEJF2rjqXJLPg5JKk8e9Wmdo9jGx76xgm_8xJ-IADTw/s320/Conte-d-automne.jpg" width="207" /></a></div><div style="text-align: justify;"><p>Un peu oubliée par la critique française, Julia Glass n’en
demeure pas moins une auteure populaire aux Etats-Unis et son succès
en librairie témoigne de la fidélité et de la constance de son
public. Les éditions Gallmeister ne s’y sont pas trompées et
publient avec la régularité du métronome les ouvrages de
l’écrivaine américaine, pour notre plus grande satisfaction il
faut bien le reconnaître. Bien que parfaitement indépendants, ses
romans forment un univers cohérent où l’on retrouve parfois
quelques personnages récurrents, mais sans qu’il s’agisse
pour autant de suites ou de séries, tout juste des caméos qui
confèrent une certaine unité à son œuvre. On peut également lui
reconnaître un talent assez unique de conteuse, Julia Glass est
capable de nous envelopper dans des histoires aux thématiques
parfois assez dures, mais toujours avec bienveillance et finesse.
Publié en grand format sous un titre différent (Les joies éphémères
de Percy Darling), est son quatrième roman.
</p></div><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Ancien
bibliothécaire de l’université de Harvard, désormais à la
retraite, Percy Darling vit seul depuis de nombreuses années dans sa
grande et vieille maison de Nouvelle Angleterre, non loin de la
prestigieuse cité de Cambridge. Sa maison est l’une des plus
anciennes de la ville et son cadre bucolique, ainsi que son cachet,
ne manquent pas de susciter admiration et convoitise. Mais cette
propriété est aussi le cadre d’une grande tragédie puisque son
épouse trouva la mort dans le petit étang qui borde la propriété,
alors qu’elle y pratiquait son bain quotidien. Depuis Percy vit
seul et s’est construit une petite vie confortable et tranquille,
loin du tumulte de la vie universitaire, soucieux surtout du
bien-être de ses filles et de sa relation privilégiée avec son
petit-fils de vingt ans. Mais curieusement, Percy se laisse assez
facilement convaincre par sa fille aînée de louer son immense
grange, dans laquelle sa femme donnait autrefois des cours de danse,
à une école maternelle privée pour parents bobos fortunés. Drôle
d’idée pour un homme pourtant si attaché à sa tranquillité et
auquel le tumulte de la vie moderne fait horeur. Sans doute ne
s’attendait-il pas à ce que l’arrivée des enfants et de leurs
professeurs bouleverse si profondément son quotidien, sa vie
familiale et même sentimentale. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br /></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Conte
d’automne est, à l’image d’autres romans de Julia Glass, une
chronique familiale au rythme paisible, mais d’une grande
profondeur et d’une rare justesse. L’auteure décortique au fil
des pages, sous l’apparence de la banalité du quotidien,
l’histoire familiale de Percy Darling, ses souvenirs s’entremêlent
avec le présent pour dresser une vaste fresque de son univers. Mais
le roman ne sombre jamais dans la mélancolie, les souvenirs ne sont
là que pour mieux éclairer le présent et comprendre la dynamique
familiale à l'œuvre. Mais à travers cette fresque familiale, c’est
tout un pan de la société que Julia Glass examine et décrit avec
brio. Le regard subtil et aiguisé qu’elle porte sur les classes
sociales aisées nous en offre une image assez juste. C’est très
finement observé, avec la distance critique nécessaire pour ne
jamais sombrer dans la caricature.
</p>
<p></p>Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-36762399599313075632023-09-15T09:23:00.008+00:002023-09-15T09:27:52.865+00:00Lectures estivales (partie 2)<p> </p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><b>
Nicolas Mathieu, <i>Connemara</i></b></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiX3ssbhCUORlw5BMwE-RjryZxp210h5piQVOwkX8PYGq-kdjCF1VRBXwnXEjWddDSz40gyc93778sUxsDArlQ14Zs92NKSq0VQQNRrrRlQNF0Zl6yOtriKUk3SPngfHT4nqRMGWzcc8v4UfCQP3cJSGbFvCj5pmF-ksFHjoKWtGq6YeVN0cpVdB_f5RUk/s350/connemara.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="218" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiX3ssbhCUORlw5BMwE-RjryZxp210h5piQVOwkX8PYGq-kdjCF1VRBXwnXEjWddDSz40gyc93778sUxsDArlQ14Zs92NKSq0VQQNRrrRlQNF0Zl6yOtriKUk3SPngfHT4nqRMGWzcc8v4UfCQP3cJSGbFvCj5pmF-ksFHjoKWtGq6YeVN0cpVdB_f5RUk/s320/connemara.jpg" width="199" /></a></div><div style="text-align: justify;">Ne cherchez pas une
quelconque trace d’impartialité dans cet avis, je suis un grand
fan du travail de Nicolas Mathieu et son précédent roman (<a href="https://bloggerinfabula.blogspot.com/2019/04/grosse-claque-leurs-enfants-pares-eux.html">Leurs
enfants après eux</a>, lauréat du prix Goncourt), m’avait
littéralement scotché. Belote, rebelote et dix de der’, cette
fois encore Nicolas Mathieu a visé juste, son roman est pétri des
mêmes qualités que son prédécesseur, même si on pourrait
toujours lui reprocher d’user de schémas narratifs légèrement
similaires. Pas grave, ça fonctionne si bien qu’on pardonne
aisément. Connemara prend la forme d’un parcours croisé. D’un
côté Hélène, jeune cadre dynamique à l’approche de la
quarantaine, tente de retrouver un sens à sa vie. Après avoir
implosé en vol à la suite d’un burnout, la jeune femme s’est
construit une nouvelle vie en province. Un boulot dans une boite de
conseil de seconde zone mais au salaire confortable, un mari plutôt
avenant mais surbooké, deux filles adorables et une maison cossue…
certes, sans doute n’est-ce pas la vie rêvée de l’étudiante
brillante en école de commerce, mais Hélène a réussi à réaliser
son rêve, à s’extraire de sa condition populaire et du marasme
économique de sa région natale. Certes, l’élite de la nation lui
a fermé ses portes, mais il n’y a pas forcément de honte à
évoluer en deuxième division. Pourtant quelque chose l’agace,
comme si sa vie était incomplète, conséquence funeste d’une
sortie de route mal négociée. Jusqu’au jour où la jeune femme
croise le parcours chaotique de Christophe, “Le Chistophe”, celui
dont adolescente elle rêvait, le beau brun ténébreux, capitaine de
l’équipe de hockey, pour qui toutes les filles avaient un béguin
pas toujours innocent. Avec l’âge, le beau Christophe a pris
quelques kilos et la démarche n’est plus aussi souple et féline,
mais derrière le poids des années, l’adolescent transparaît
parfois fugacement. Christophe tente aussi de se reconstruire après
une séparation difficile avec la mère de son fils, son boulot de
représentant lui pèse, mais lui permet de payer les factures
et de s’assurer une certaine stabilité. Sa vie affective est
devenue un désert, alors la rencontre fortuite avec Hélène agit
comme une allumette sur un feu de paille prêt à s’embraser. </div><p></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Connemara fonctionne
comme une vue en coupe d’une France malade, une France un peu sur
le déclin passée de la jeunesse ébouriffée et pleine de sève à
une France qui aurait dix kilos de trop, une bagnole au bout du
rouleau et un crédit sur une baraque devenue bien trop grande. Un
prisme discutable, mais qui repose sans doute sur une certaine
réalité, celle d’un pays qui peine à se renouveler et à
retrouver son énergie, un pays fatigué de subir depuis trop
longtemps la dure loi du capitalisme, de la politique politicienne et
de la pression sociale orchestrée par les GAFAM. Et au milieu de
cette morosité ambiante, des destins se croisent et s’entrecroisent,
tentant désespérément de trouver un sens à leur vie, de manière
empruntée et pathétique mais non dépourvue de sincérité,
s’accrochant désespérément l’un à l’autre avant de partir
vers des destinations opposées, laissant une fracture encore plus
béante et un goût d’inachevé. Que reste-t-il alors, sinon des
rêves brisés et des souvenirs d’enfance empreints d’une
nostalgie infinie. Tout cela paraît si vain et pourtant il faut bien
vivre. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><b>Edwardo Belgrano Rawson, <i>Fuegia</i></b></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi9gx_gSwM1YdUXuY-qysv3qzGB5sUsDqsPPVMXRXbe8Vb2Ud4NnrMwMnjQvPQUQaJFE0MbU4gApA_BwUSSWkDWLnjf2gdekmueZE6sPPRxp7QVlcq6z5bgMcBbQqtrSWtQ9KdQxqKkRQ0lWVWVzL_h9lW0ATmlvoQQeU7o97nILnKGkUbkt7OHvWpZd_g/s350/fuegia.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="214" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi9gx_gSwM1YdUXuY-qysv3qzGB5sUsDqsPPVMXRXbe8Vb2Ud4NnrMwMnjQvPQUQaJFE0MbU4gApA_BwUSSWkDWLnjf2gdekmueZE6sPPRxp7QVlcq6z5bgMcBbQqtrSWtQ9KdQxqKkRQ0lWVWVzL_h9lW0ATmlvoQQeU7o97nILnKGkUbkt7OHvWpZd_g/s320/fuegia.jpg" width="196" /></a></div><div style="text-align: justify;">A mi-chemin entre le
documentaire et la fiction, Fuegia est une sorte d’Objet Livresque
Non Identifié. En réalité, il s’agit bien d’un roman, mais
extrêmement bien documenté et tellement imprégné d’histoire et
d’authenticité, qu’il pourrait presque se lire comme un
documentaire. Direction à nouveau l’Amérique du Sud, la Terre de
Feu plus précisément, ce territoire austral situé à la pointe Sud
du continent et partagé entre le Chili et l’Argentine. Dans cette
contrée froide et ventée, qui en réalité est un archipel,
les éléments dictent leur loi. L’océan Pacifique et l’océan
Atlantique s’y rencontrent et de leur union tumultueuse les hommes
sont tributaires et bien démunis. Progressivement, les colons
espagnols et anglais ont tenté de s’installer sur ces îles,
attirés par des eaux riches et poissonneuses de ces terres du bout
du monde. Les chasseurs de phoques et de baleines, les pêcheurs de
morue, puis les éleveurs de moutons se sont succédé, pillant les
richesses naturelles, piétinant les territoires sacrés des
populations indigène, les réduisant à la dépendance. Les conflits
n’ont pas manqué d’empoisonner les relations entre blancs et
peuples premiers (Parrikens ou Canoeros), les uns accusant les autres
d’être des voleurs de bétail, les autres des voleurs de terres.
Lentement et insidieusement le génocide a pourtant lieu, les
populations autochtones dépérissent, les maladies venues d’Europe
ravageant leurs rangs, alors que les survivants autrefois fiers
chasseurs en sont réduits à mendier auprès des blancs, persuadés
que cette charité les disculpe aux yeux du seigneur. Une tragédie
invisible à laquelle tente d’échapper une famille de canoeros,
partie tenter sa chance plus au nord.</div><p style="text-align: justify;"></p>
<div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><h2><span style="font-size: small;">Récit poignant et
bouleversant, Fuegia a la force des grandes tragédies de l’Histoire,
que son auteur déroule avec une force implacable. L’avidité et la
cupidité de l’homme blanc, ainsi que son cynisme outrancier, font
face à l’incompréhension des peuples autochtones, qui peu à peu
disparaîssent à bas bruit, oubliant leurs racines profondes,
perdant toute forme de repère, faute de pouvoir perpétuer leur
culture et leurs traditions, parasités par un lent phénomène
d’aculturation qui sape les fondements de leurs sociétés.</span></h2></div>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
<br /><b>
Batya
Gour, <i>Le meurtre du samedi matin</i></b></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj2xEklG3NpFhXJ1dTj-y03Wp1SOW4tY_JNEU77mN7x8zNUOtsi9AoXmxOvObgl1vqnB5lfyhdNJ-aTmtDDrdNPUHoN3oDq3ob7mhJzmhUVRI0bDXphaznCNhNfh3UCb0tYIlfOx2u24qXmn6LLa51NvwaWX3btR0Bh9ZxK6Ub2wrQb607NB5_JriHBpvk/s350/Le-meurtre-du-samedi-matin.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="212" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj2xEklG3NpFhXJ1dTj-y03Wp1SOW4tY_JNEU77mN7x8zNUOtsi9AoXmxOvObgl1vqnB5lfyhdNJ-aTmtDDrdNPUHoN3oDq3ob7mhJzmhUVRI0bDXphaznCNhNfh3UCb0tYIlfOx2u24qXmn6LLa51NvwaWX3btR0Bh9ZxK6Ub2wrQb607NB5_JriHBpvk/s320/Le-meurtre-du-samedi-matin.jpg" width="194" /></a></div><div style="text-align: justify;">Chronique survol
pour ce petit polar israëlien publié en 1988 et premier volet de la
série consacrée au commissaire Ohayon de la police criminelle de
Jérusalem. Un polar à l’ancienne qui n’est pas sans rappeler
une certaine Agatha Christie en plus moderne. Un meurtre a eu lieu
tôt un samedi matin au sein d’un institut de psychanalyse très
huppé, la victime était une praticienne très respectée dans le
milieu et ses méthodes faisaient autorité auprès de tous.
Difficile pour le commissaire Ohayon de démêler le vrai de faux
quand les principaux suspects savent parfaitement manipuler l’esprit
humain et résister à toute forme de pression psychologique. Un
roman policier bien construit, à l’intrigue rondement menée et
aux personnages bien campés. L’ensemble est fluide et prenant,
mais sans grande originalité. Un bon divertissement tout de même,
qui se mange (lit) sans faim.</div><p></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-77916939611726679672023-09-05T16:02:00.008+00:002023-09-05T17:24:04.474+00:00Lectures estivales (partie 1)<p> </p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Je profite de la chaleur écrasante de cette fin d’été pour vous
proposer un petit florilège des mes lectures estivales. Le mois de
juillet fut largement consacré à tenter vainement de faire baisser
l’ampleur titanesque de ma pile à lire, véritable tour de Babel
s’il en est, mais si vous voulez mon avis c’est tout simplement
une cause perdue. Pourtant, je confesse avoir été particulièrement
raisonnable durant ces deux derniers mois, en faisant l’achat de
quelques livres de poche d’occasion en allant au marché. Que
voulez-vous, après avoir acheté un magnifique pain de campagne,
quelques fromages de montagne, un bouquet de basilic et du jambon de
porc noir de Bigorre, mes pas m’ont innocemment porté vers l’étal
du bouquiniste…. je ne pouvais pas repartir le panier vide,
d’autant plus que j’y trouvai deux excellents petits bouquins de
littérature sud-américaine. De quoi évidemment réduire à néant
tout espoir de voir s’amenuiser ma faussement culpabilisante pile à
lire (en vrai j’adore avoir des tas de livres au pied de mon lit,
j’y vois un réservoir inépuisable de friandises littéraires). </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><br /><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">
</p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzxYeMNaM6-q44Oe1DYL1oLjuJrCuBi8ffJKQiOsl9UxTULbdHXEc8ZdUrrivSehZrCYbEIxfGpgJ6ULLZtZe3o4QWDvDqfIiarqbK12A9aTU5XhrsIE-QPFWDyBvWeNOONKg8Yoy4cQxm97fee8NuFEc_KWMlkoJYHA-wNtA5uupgTYR3iYB8Ek6Uloc/s640/lecture.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="427" data-original-width="640" height="377" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzxYeMNaM6-q44Oe1DYL1oLjuJrCuBi8ffJKQiOsl9UxTULbdHXEc8ZdUrrivSehZrCYbEIxfGpgJ6ULLZtZe3o4QWDvDqfIiarqbK12A9aTU5XhrsIE-QPFWDyBvWeNOONKg8Yoy4cQxm97fee8NuFEc_KWMlkoJYHA-wNtA5uupgTYR3iYB8Ek6Uloc/w563-h377/lecture.jpg" width="563" /></a></div><br />
<p></p>
<ul><li><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Eduardo
Fernando Varela,<i> Patagonie route 203</i></span></p>
</li></ul>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Commençons donc ce
voyage littéraire du côté de l’Amérique du Sud, avec l’étonnant
Patagonie route 203 d’Eduardo Fernando Varela, un livre acheté au
feeling sur la simple promesse de faire la route à bord d’un
camion sur les terres poussiéreuses et venteuses de ce bout du monde
austral. Pour être honnête, je ne connaissais pas du tout cet
auteur, passé totalement sous mon radar, mais il s’agit d’un
premier roman assez récent (publié en 2019 en Argentine) qui gagne
à être connu étant donné la maîtrise dont l’auteur argentin
fait preuve sur de nombreux aspects. Le personnage principal
(Parker), est un ancien saxophoniste de jazz, qui un jour décida de
tout plaquer pour devenir chauffeur de camion en Patagonie.
Evidemment, l’affaire n’est pas aussi simple qu’elle n’en a
l’air et au fil des pages on apprend tout doucement à cerner ce
personnage un peu étrange, voire quelque peu fantasque, qui fuit la
civilisation et semble ne vouloir s’attacher à rien ni personne.
Jusqu’au jour où il croise le regard d’une jeune femme dont il
ne peut oublier l’intensité et la promesse muette. Commence alors
une recherche désespérée à travers une Patagonie devenue
désormais territoire étrangement hostile, comme si les éléments
s’étaient ligués contre Parker pour qu’il ne puisse retrouver
cette cette jeune femme. Patagonie route 203 est en réalité bien
plus qu’un road-trip un peu étrange flirtant gentiment avec un
réalisme magique devenu désormais tarte à la crème de tout
chroniqueur en mal d’inspiration. Il s’avère bien plus fascinant
et profond que ce qu’il laisse percevoir en préambule. Eduardo
Fernando Varela réussit à créer une ambiance d’étrangeté
mâtinée d’absurde, qui lorgne parfois du côté du fantastique,
mais sans jamais en franchir réellement la frontière. La Patagonie
y tient un rôle de première importance, immense, hostile et
pourtant magnifique. Elle surprend à bien des égards car la notion
du temps y est toute relative, de même que les distances ou les
simples repères cardinaux. Les gens paraissent insaisissables,
fantasmatiques. Dans son errance dépourvue presque de sens, Parker
semble avoir perdu jusqu’à son âme, parcourant
inlassablement ses grandes routes balayées par le vent et la
poussière d’un point A à un point B, fuyant toute forme de
civilisation. C’est le regard de Mayten, puis son amour, qui lui
permettront de reprendre en partie pied avec le monde des hommes.
Vous l’aurez compris, j’ai été totalement séduit par ce roman
impeccablement construit et superbement écrit où la Patagonie n’est
pas simplement un décor, mais un personnage à part entière,
envoûtant et fascinant. Bref, une lecture fort recommandable, mais
qui nécessite un certain lâcher-prise. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<ul><li><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Luis Sepulveda,
<i> Le vieux qui lisait des romans d’amour</i></span></p>
</li></ul>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Faut-il présenter
l’un des plus célèbres romans de Luis Sepulveda ? Allez, petite
piqûre de rappel, Le vieux qui lisait des romans d’amour est une
novella d’un peu plus d’une centaine de pages, un format court
dans lequel l’écrivain chilien excelle particulièrement et que
personnellement j’apprécie beaucoup. Et je ne dois pas être le
seul, puisque depuis 1992, année de sa publication initiale, ce
livre s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires rien qu’en
France. L’histoire se déroule au fin fond de la forêt
amazonienne, dans le petit village d’El Idilio (dont on savoure
l’ironie du nom) situé au bord d’un fleuve boueux, mais
néanmoins nécessaire à sa survie puisqu’il représente le
principal axe de communication avec la civilisation. La découverte
d’un cadavre atrocement mutilé, abandonné dans une pirogue,
suscite l’émoi dans le village, et le maire, surnommé “la
limace”, sonne le branle-bas de combat pour retrouver l’auteur de
ce crime atroce. Il n’y guère qu’Antonio Jose Bolivar, un vieil
original qui autrefois vécut auprès des indiens Shuars, qui
comprend en une fraction de seconde qu’il ne s’agit pas d’un
crime commis par un humain, mais du résultat de l’attaque
d’un jaguar. Qu’à cela ne tienne, le maire forme une petite
équipe pour traquer et mettre à mort la bête. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Conte tragi-comique,
Le vieux qui lisait des romans d’amour est une fable qui, sous son
vernis quelque peu burlesque, reste empreinte d’une certaine
gravité. Le plus intéressant restant sans doute l’idée de cet
affrontement inéluctable entre la “civilisation” moderne et le
monde de la nature (et de ceux qui en acceptent les règles
inéluctables). Bolivar fait ainsi figure de passerelle entre ces
deux mondes, il est le seul à détenir les codes inhérents à
chacun de ces univers antagonistes et à en avoir une compréhension
fine. Mais plutôt que de choisir l’un ou l’autre, encore
préfère-t-il se plonger corps et âme dans l’univers fictionnel
de la littérature sentimentale. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<ul><li><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Giulia
Caminito, <i>L’eau du lac n’est jamais douce</i></span></p>
</li></ul>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Voici probablement
le roman le plus dur de cette sélection estivale tant il remue les
tripes et s’avère d’une lecture éprouvante. Giulia Caminito
n’est plus tout à fait une inconnue en France puisqu’elle
s’était déjà fait remarquer avec la publication du très
recommandable Un jour viendra, une fresque sociale, familiale et
historique se déroulant dans l’Italie de l’après première
guerre mondiale. Prenant place à une époque bien plus récente (les
années 2000), L’eau du lac n’est jamais douce se situe dans une
veine assez similaire, celle de la chronique familiale et sociale,
que l’on découvre à travers le destin de la jeune Gaia, à qui la
vie n’a d’emblée pas fait de cadeau. Née dans une famille
pauvre de Rome, Gaia est une dure à cuire. Antonia sa mère est la
figure forte d’une famille qu’elle tient littéralement à bout
de bras, puisque son mari est devenu handicapé à la suite d’un
accident sur un chantier. Depuis, ce dernier ne sort quasiment plus
de chez lui et navigue entre son lit et le canapé défoncé du
salon, ruminant son propre malheur et grillant cigarette sur
cigarette. Déjà mère de quatre enfants, Antonia tente de joindre
les deux bouts à coup de petits boulots et de ménages auprès des
familles plus aisées du quartier. Et quand elle ne se bat pas pour
joindre les deux bouts, Antonia tente de faire valoir ses droits
auprès des services sociaux pour obtenir un logement décent pour
ses enfants. C’est ainsi que de mal en pis, la famille finit par
atterrir dans la banlieue éloignée de Rome, sur les rives du lac
Bracciano, dont les eaux noires et vaseuses n’ont rien du paradis
attendu. Mais au moins la famille est chez-elle et Antonia, figure
rude mais fière, tente par tous les moyens d’assurer l’éducation
de ses enfants et de leur assurer un avenir, quels que soient les
sacrifices à accomplir. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Très
autobiographique, le récit de Giulia Caminito est une œuvre âpre
et sans concession, qui raconte une autre Italie, bien éloignée de
la dolce vita, celle des laissés pour compte et des écorchés vifs.
Avec sa rage de vivre Gaia a quelque chose d’à la fois effrayant
et extrêmement attachant, un personnage fort, qui ne laisse pas
indifférent et qui porte littéralement ce roman de bout en bout.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<br />Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-33094070793450086062023-06-07T06:34:00.004+00:002023-06-07T06:34:51.290+00:00Retour au Vieux Royaume : Le chevalier aux épines, de Jean-Philippe Jaworski<p> <br /></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg4zjByEoPZHw4-uvmLIiROEwUCO1R8tDwuGlBXJcSgevtkgcw52Dpyi5GIe0BbDtKI14a-2WKvxNmLs5w3XqfcOgHxBoGiJC0eSDQ-KZqcwcOSHrOizLfdlFCedeCYC1HkYcUUY7sRcRaytX1bDZxFMFO5DyhMK4O0rjTAa5SVLZUuq5NdUYUfRrm-/s350/jaworski.JPG" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="273" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg4zjByEoPZHw4-uvmLIiROEwUCO1R8tDwuGlBXJcSgevtkgcw52Dpyi5GIe0BbDtKI14a-2WKvxNmLs5w3XqfcOgHxBoGiJC0eSDQ-KZqcwcOSHrOizLfdlFCedeCYC1HkYcUUY7sRcRaytX1bDZxFMFO5DyhMK4O0rjTAa5SVLZUuq5NdUYUfRrm-/s320/jaworski.JPG" width="250" /></a></div><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Attelé depuis près de dix ans à son cycle Rois du monde, qui se
déroule dans la Gaule celtique, Jean-Philippe Jaworski revient à
ses premiers amours et à l’univers du Vieux Royaume, grâce au
Tournoi des preux, premier tome d’une nouvelle trilogie intitulée
Le chevalier aux épines. Au programme : amours courtois, tournois de
chevalerie et nécromancie. Le tout enrobé d’un soupçon
d’intrigues de palais et de guerre de succession. J’en vois déjà
qui se précipitent au premier rang et ils ont raison. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Pour ceux qui ne
seraient pas franchement familiers de l'œuvre de Jean-Philippe
Jaworski, Le chevalier aux épines se déroule dans le même univers
que Janua Vera et Gagner la guerre. L’un des personnages principaux
du roman, le chevalier Aedan de Vaumacel est d’ailleurs l’un des
protagonistes d’une nouvelle de l’auteur (“Le service des
dames”, Janua Vera. 2007), dont la lecture n’est pas
forcément indispensable à la compréhension du contexte, mais
néanmoins recommandable. L’auteur s’autorise au fil du récit,
d’autres caméos que les lecteurs les plus familiers de son oeuvre
ne manqueront pas de relever. Cette nouvelle trilogie est donc
l’occasion d’explorer une autre facette du Vieux Royaume, mais
cette fois loin de Ciudalia et de son ambiance Renaissance italienne
pour se diriger vers les contrées d’inspiration plus médiévale
du grand duché de Bromael, en proie à d’importantes querelles
dynastiques. L’un des protagonistes principaux, le chevalier de
Vaumacel, alors en délicatesse avec le pouvoir, y fait son retour
par la petite porte. Autrefois champion de la duchesse Audéarde,
Aedan ne s’est jamais présenté lors du procès les accusant tous
les deux d’adultère, précipitant la disgrâce de la duchesse,
répudiée par le duc Ganelon et enfermée dans un couvent. Désormais
sur la piste d’enfants disparus dans les villages miséreux situés
à la limite du comté de Kimmarc, Aedan est alors attaqué par un
autre chevalier, le jeune et désargenté Yvorin de Quéant, qui n’a
pas grand chose à perdre étant donné son statut et tout à gagner
à faire du chevalier de Vaumacel son prisonnier. Mais l’affaire ne
se déroule pas comme prévu et Yvorin est défait par Vaumacel.
Curieusement, les deux preux finissent par trouver un terrain
d’entente. Le chevalier aux épines accepte de ne pas faire
d’Yvorin son prisonnier, à lui restituer ses armes et son
destrier, s’il s’engage à défendre l’honneur de dame Audéarde
à l’occasion d’un tournoi où la fine fleur des chevaliers de
Bromaël et de Kimmarc s’affronteront ; pendant ce temps, Aedan
continuera à enquêter sur la disparition des enfants, comme il en
avait fait le serment, et rejoindra le tournoi de Lyndinas plus tard
pour combattre lui aussi au nom de la duchesse déchue et restituer
ainsi son honneur. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
Au fil de son
récit, Jean-Philippe Jaworski s’amuse à alterner les points de
vue et les personnages pour donner davantage d’ampleur à son
intrigue et en exacerber les enjeux. La technique demande un peu de
patience au lecteur pour entrer de plain pied dans ce nouveau roman
et en saisir toute les dimensions politiques, les pesanteurs
séculaires héritées de la tradition courtoise et les vieilles
rancœurs familiales. Très progressivement, tous les éléments se
mettent en place, laissant se dessiner en creux une guerre civile
fratricide et immensément tragique. Bien que le rythme de ce roman
de pure exposition soit assez lent, on finit par se laisser porter
par un récit qui se complexifie au fil des pages et devient de plus
en plus prenant. Ce petit tour de force n’est évidemment pas dû
au hasard, on le doit au talent de styliste de Jean-Philippe
Jaworski, dont les textes sont toujours extrêmement travaillés sur
ce plan. Le chevalier aux épines rend évidemment hommage à la
littérature médiévale, dans un style extrêmement riche sur le
plan lexical (la précision du vocabulaire est remarquable), empreint
d’un certain formalisme, mais structurellement assez moderne. Le
mélange fonctionne parfaitement bien, sans jamais dévoiler la
moindre lourdeur grâce à un savoir-faire qui n’a rien à envier
aux plus grands stylistes de la littérature blanche. En ce qui me
concerne, je dois confesser avoir éprouver une grande délectation à
la lecture de ce premier tome, qui renferme de nombreuses promesses
en gestation. Il y a toujours chez J.P. Jaworski une étonnante
capacité à lier la forme et le fond avec une évidence qui frôle
le génie. Bref, vous pouvez y aller les yeux fermés, d’autant
plus que le prochain tome est annoncé pour le courant du mois de
juin, ce qui ne gâche rien à l’affaire.
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-69599307270083336752023-05-23T17:07:00.004+00:002023-05-26T06:40:04.682+00:00Littérature chinoise : Six récits au fil inconstant des jours, de Shen FU<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgeE1YFeMJe5rBEion8N2ZUr6R9pWQAEwhZA-X4ov7Dp6hEb1giJnQ9dMcV2NZO98MrkmKksIhpOSPtKd-Lxxn3yR8si6LnbGEnC7Q1K8Dl9sx1H4H51jr1Osrpmg-5TuFpiqWVQcIBjj1LSjH-Iqs9yZKWF1mQ-5tRoZsJF9hu3iBLDyhV6Nr_dn-S/s350/Six-recits-au-fil-inconstant-des-jours.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="231" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgeE1YFeMJe5rBEion8N2ZUr6R9pWQAEwhZA-X4ov7Dp6hEb1giJnQ9dMcV2NZO98MrkmKksIhpOSPtKd-Lxxn3yR8si6LnbGEnC7Q1K8Dl9sx1H4H51jr1Osrpmg-5TuFpiqWVQcIBjj1LSjH-Iqs9yZKWF1mQ-5tRoZsJF9hu3iBLDyhV6Nr_dn-S/s320/Six-recits-au-fil-inconstant-des-jours.jpg" width="211" /></a></div><div style="text-align: justify;">Oui oui, je sais, j’avais promis une chronique du Chevalier aux
épines, le dernier roman de Jean-Philippe Jaworski publié chez Les
moutons électriques, mais il se trouve que je suis sur le point de
terminer un petit roman chinois qui m’a littéralement enchanté et
dont je vais m’empresser de vous parler. <i>Six récits au fil
inconstant des jours</i> n’est pas vraiment une nouveauté, on peut en
trouver d’ailleurs deux versions différentes, mais pour ma part je
possède celle publiée en avril 2023 chez Libretto. Vous pouvez
également choisir l’édition éditée chez Gallimard dans la
collection Connaissance de l’Orient et intitulée <i>Récits d’une
vie fugitive : mémoires d’un lettré pauvre</i>, puisqu’il s’agit
de la même œuvre nonobstant l’appareil critique qui l’accompagne
bien évidemment. </div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Né à Suzhou, dans
la province du Jiangsu (à l’Est de la Chine), en 1763, Shen Fu
était issu d’une famille de petits fonctionnaires. Fin lettré
mais totalement désargenté, faute d’avoir réussi à entrer
durablement dans l’appareil administratif impérial, il occupa
différents emplois subalternes, s’essaya au commerce des livres, à
la peinture (avec talent) avant de mourir en 1807 en laissant
derrière lui une œuvre littéraire quantitativement modeste, mais
oh combien précieuse par son contenu. De ses six récits d’une vie
fugitive, il ne nous en est parvenu en réalité que quatre, publiés
en un mince volume en 1877, mais c’est bien suffisant pour entrer
dans la grande histoire de la littérature chinoise classique. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">" <i>L'univers
n'est que l'auberge des créatures, et le temps, l'hôte provisoire
de l'éternité; au fil inconstant des jours, notre vie n'est qu'un
songe, et nos joies sont fugaces ..</i>." Li Bai</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Mais de quoi
s’agit-il à proprement parler ? Ces récits ont toute l’apparence
de la banalité puisqu’ils retracent en partie l’existence de
Shen Fu, de sa vie conjugale en passant par ses voyages, ses
péripéties professionnelles ou bien encore ses problèmes
financiers, l’auteur se confie sans pathos excessif sur les aléas
de la vie dans la Chine impériale de la fin du XVIIIème siècle.
Tout cela pourrait paraître ennuyeux si Shen Fu se laissait aller à
l’épanchement égotique, mais c’est tout le contraire qui se
produit. Au fil du récit se dévoile ainsi un homme cultivé, un fin
lettré doté d’une grande sensibilité et d’une éducation
poussée. Le regard qu’il porte sur le monde qui l’entoure a
valeur documentaire et se montre extrêmement riche de précisions
sur les mœurs de son temps, mais il est surtout singulier pour son
époque. Sans doute ses contemporains considéraient-ils Shen Fu
comme un perdant, un raté incapable de faire fortune, ni même de
gagner sa vie décemment. Plus grave sans doute, Shen Fu semble avoir
été coupable d’avoir profondément aimé son épouse, la délicate
et lumineuse Yun, et de s’en être contenté. Cette absence
d’ambition, en fait un personnage parfaitement décalé dans une
Chine où les apparences et les traditions dirigent la vie de chacun
à tout instant. L’amour que Shen Fu éprouve pour sa femme,
disparue prématurément, éclate à chaque instant du récit. Au fil
des pages, il est rare qu’il n’évoque pas son souvenir avec une
émotion vive et une sincérité très touchante. Sa relation avec
Yun fait ainsi figure de colonne vertébrale d’un récit au style
fluide et poétique, empreint d’une sensibilité toute en
retenue et d’une certaine candeur.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Cette candeur
affichée ne doit pas faire oublier la volonté plus ou moins
consciente, de s’affranchir du carcan sociétal de l'époque, de
ses conventions et de ses codes extrêmement rigides. Shen Fu et Yun
sont des esprits libres, de gentils rêveurs portés par leur amour
mutuel, mais des rêveurs prêts à s’affranchir des règles et du
qu’en dira-t-on pour vivre leur passion, quitte à payer leur
liberté et leur indépendance au prix fort. Toujours soudés,
respectueux et soucieux du bien-être de l’autre, ils sont le yin
et le yang délicatement entrelacés, unis par un lien sacré et
indéfectible jusque par delà la mort. A la fois Ode à l’amour,
petit traité de philosophie, précis de littérature, étude de
mœurs, essai sur l’esthétique chinoise… <i>Six récits au fil
inconstant des jours</i> est une œuvre d’une étonnante richesse,
d’une beauté stylistique envoûtante et d’une poésie peu
commune, un délicat petit chef d'œuvre, intemporel et universel. </p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-47193162957136501442023-05-06T09:19:00.015+00:002023-05-09T07:55:53.035+00:00Cette chose étrange en moi, d'Orhan Pamuk<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjk9WOCw26T5Do0768RlKPpEPYquCMdml_WfJpjf2ULYDTp3rQ11C9UphJI7VmK0FUm0l9YVVquMv3YT9iD9xHOzF6n1HTbmDsBSHOQk0fhy-N4L9YsjvPNVAmzqYFbd4DvSPmsnTtuegMIHS1aWp5Xfz5Sthw3BYxEOwSh_DPig_oTzdCB1qGdHNjU/s350/pamuk.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="244" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjk9WOCw26T5Do0768RlKPpEPYquCMdml_WfJpjf2ULYDTp3rQ11C9UphJI7VmK0FUm0l9YVVquMv3YT9iD9xHOzF6n1HTbmDsBSHOQk0fhy-N4L9YsjvPNVAmzqYFbd4DvSPmsnTtuegMIHS1aWp5Xfz5Sthw3BYxEOwSh_DPig_oTzdCB1qGdHNjU/s320/pamuk.jpg" width="223" /></a></div><div style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">Auréolé du prix Nobel de littérature, et donc du prestige qui lui
est associé, Orhan Pamuk est un écrivain qui fait très souvent
l’unanimité auprès de la critique, mais qui divise les lecteurs.
Il y a ceux qui tombent à chaque fois sous le charme de ses romans
et ceux qui lui reprochent de tourner un peu en rond et de se montrer
un tantinet verbeux. Honnêtement, à condition de ne s’en
tenir qu’à l’aspect formel de sa littérature, ces reproches ne
sont pas tout à fait infondés, mais hélas c’est oublier l’aspect obsessionnel de la littérature d’Orhan Pamuk. Cette
capacité à revenir sans cesse parcourir les rues de sa ville
natale, à évoquer inlassablement ses souvenirs à travers ses
romans sont au cœur même du projet de l’écrivain turc et en font
justement tout l’intérêt. Si ce contrat tacite ne vous convient
pas, alors vous risquez effectivement de ne pas saisir pleinement la
mesure (voire la démesure) de cette littérature si personnelle et
si profondément ancrée dans les racines familiales de l’écrivain
stambouliote. Lire Orhan Pamuk c’est être plongé irrémédiablement
dans l’âme d’Istanbul, c’est en saisir toute la richesse
culturelle et la dimension historique, car à chacun de ses romans,
il explore des facettes différentes de sa cité et la fait vivre aux
yeux d’un lecteur désormais ivre de sensations d’une richesse
inouïe. </span></div>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: inherit; font-size: medium;"><br /></span>
</p>
<div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: inherit; font-size: medium;">Cette chose étrange
en moi ne déroge pas à la règle, mais s’éloigne quelque peu du
milieu petit-bourgeois que l’on découvrait dans les romans les
plus autobiographiques d’Orhan Pamuk. Cette fois, l’écrivain
s’intéresse aux petites gens, à ceux venus des lointaines
campagnes d’Anatolie, attirés par le dynamisme de la grande cité
turque, par les promesses d’emploi et le désir d’y faire
fortune. Ainsi, Mevlut a quitté son village natal pour rejoindre son
père, vendeur de yaourt le jour et de boza le soir venu. La boza,
c’est cette boisson traditionnelle très légèrement alcoolisée,
obtenue à partir de la fermentation de céréales et que l’on
consomme avec une poignée de pois chiches grillés. L’islam
interdisant l’alcool, la boza eut beaucoup de succès à l’époque
ottomane (nonobstant quelques polémiques à certaines époques),
mais à la fin des années soixante, elle est en perte de vitesse en
raison d’une certaine libéralisation des mœurs à Istanbul. La
vente de yaourt et de boza en faisant du porte à porte est loin
d’être une activité de tout repos, Mevlut et son père doivent se
lever tôt pour aller chercher au marché de gros leurs plateaux de
yaourt et leur boza, entreposer ce qu’ils ne peuvent pas porter
toute la journée dans quelques endroits stratégiques de la ville et
parcourir inlassablement les rues des quartiers les plus populaires
en ployant sous le poids d’une perche chargée au maximum, quelle
que soit le temps ou la saison. Au cri du vendeur, les fenêtres
s’ouvrent et les clients font descendre les paniers pour récupérer
leurs commandes, parfois les portes s’ouvrent pour laisser entrer
le vendeur, le temps d’une discussion et Mevlut aperçoit alors la
manière dont vivent les stambouliotes, riches ou pauvres, religieux
ou laïcs, jeunes ou vieux, toute la diversité de la cité s’offre
à ses yeux et à ses oreilles. Mais le père et le fils ne font
guère fortune, les citadins préfèrent acheter désormais des
yaourts en pots et le raki devient bien plus populaire que la boza,
il n’y a guère qu’auprès des anciens qu’elle obtient encore
un peu de succès. Mais Mevlut s’entête, malgré la fatigue d’un
métier éreintant, malgré la pluie et le froid l’hiver, malgré
la chaleur étouffante l’été et en dépit de recettes de plus en
plus maigres. Parcourir les rues, observer le monde, rencontrer
d’autres concitoyens, telle est la vie qu’il a choisie. </span></div><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"> </span></div>
<div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">Mais un jour, alors
qu’il assiste au mariage de son cousin, Mevlut rencontre les yeux
de Rayiha, la petite sœur de la mariée à peine âgée de 15 ans.
Le jeune-homme en tombe immédiatement amoureux. C’est décidé, il
épousera celle à qui appartient ce merveilleux regard, quitte à
l’enlever au milieu de la nuit, au cœur de son petit village
natal. </span></div>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><br /></span>
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: center;"><span style="font-size: medium;"><i></i></span></p><blockquote><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: center;"><span style="font-size: medium;"><i>“La vie, les
aventures, les rêves du marchand de boza Mevlut Karatas et
l’histoire de ses amis </i></span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: center;"><span style="font-size: medium;"><i>et</i></span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: center;"><span style="font-size: medium;"><i>Tableau de la vie à
Istanbul entre 1969 et 2012, vue par le yeux de nombreux personnages”</i></span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"></span></p></blockquote><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><br /></span>
</p>
<div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">Tel est le
sous-titre de Cette chose étrange en moi et le moins que l’on
puisse dire c’est qu’il résume de manière extrêmement fidèle
le projet d’Orhan Pamuk, il en délimite même avec une grande
exactitude le périmètre. Pour autant, il se dégage de ce roman une
indescriptible poésie mâtinée de douce mélancolie. On sent bien
que malgré le désir de réussite affiché extérieurement par
Mevlut, ce qui lui tient à cœur n’est pas et ne sera jamais
l’argent. Le bonheur tient à des choses à la fois plus fugaces et
plus tangibles, la joie de retrouver sa femme adorée et ses filles à
la fin d’une rude journée de travail, le plaisir d’échanger
avec des clients de longue date, la satisfaction d’observer la vie
de la cité, la foule bigarrée qui parcourt les ruelles tortueuses
d’Istanbul… Mevlut est un fin observateur de la vie et un
contemplateur infatigable de la beauté du monde. Ce côté candide
de sa personnalité mêlé à une certaine forme de rigidité le
rendent profondément attachant et en font l’un des personnages les
plus touchants de la littérature d’Orhan Pamuk. </span></div>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><br /></span>
<br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-41397571966008958242023-04-30T17:30:00.006+00:002023-05-06T09:20:42.271+00:00Être combattant : Sous le feu, de Michel Goya<p style="break-before: page; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; page-break-before: always;"> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://www.tallandier.com/wp-content/uploads/2018/08/texto-new-sous-le-feu-crg.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="375" data-original-width="250" height="375" src="https://www.tallandier.com/wp-content/uploads/2018/08/texto-new-sous-le-feu-crg.jpg" width="250" /></a></div><div style="text-align: justify;">Je sais que ce blog est essentiellement un blog littéraire, mais il y a des traités de sociologie qui se lisent comme des romans.
<i>Sous le feu</i><span style="font-style: normal;">, de Michel Goya,
est de ceux-là. Aussi je me permets de vous en toucher un mot.</span><br /></div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-style: normal;">Ce
petit livre (250 pages en édition poche) détaille le métier de
soldat, qui n’est pas tout à fait un métier comme un autre, en ce
sens que comme l’indique le sous-titre, il faut prendre en compte
« la mort comme hypothèse de travail ».</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-style: normal;">Ici
pas de panégyrique du combattant héroïque ou du devoir sacré. Les
récits qui émaillent cette étude sont ceux de soldats qui ont
connu le feu, hier et aujourd’hui, sans pathos, sans lyrisme, mais
sans la sécheresse d’un rapport non plus. Simplement la
description de leurs émotions au moment de l’engagement, que ce
soit en partant à l’assaut de la tranchée adverse pendant la
première guerre mondiale ou lors d’une embuscade lors de
l’intervention en Afghanistan.</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-style: normal;">Alternant
</span><span style="font-style: normal;">ces témoignages</span><span style="font-style: normal;">
avec </span><span style="font-style: normal;">d</span><span style="font-style: normal;">es
</span><span style="font-style: normal;">études sociologiques et</span><span style="font-style: normal;">
psychologi</span><span style="font-style: normal;">qu</span><span style="font-style: normal;">e</span><span style="font-style: normal;">s
</span><span style="font-style: normal;">dont plus d’une peuvent nous
surprendre</span><span style="font-style: normal;">, l’auteur
replace les notions de courage et d’héroïsme dans leur contexte,
démêle la part intime et la part du collectif dans les réactions
du soldat face à sa mort et à celle de l’ennemi. Il parle aussi
de commandement sous le feu et à l’arrière, quand la décision
doit être rapide et efficace sous peine de mort ; de la chance
indispensable, mais qu’il faut savoir aider, par </span><span style="font-style: normal;">un
</span><span style="font-style: normal;">bon entraînement </span><span style="font-style: normal;">par
exemple</span><span style="font-style: normal;"> (mais qu’est-ce
qu’un bon entraînement?). Il parle aussi des raisons qui poussent
les soldats vers le combat, sans distinguer les « bonnes »
des « mauvaises ». Il parle enfin de la peur, tout au long du livre,
sous de nombreuses formes, omniprésente, à la fois sauvegarde (on
fait attention quand on a peur) et dangereuse quand elle paralyse.</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-style: normal;">Le
colonel Michel Goya est à la fois un historien et un militaire du
rang (sous-officier puis officier). Il</span><span style="font-style: normal;">
a connu plusieurs fois le feu, notamment au siège de Sarajevo. Il
décrit donc quelque chose qu’il a vécu, mais il cite d’abord
les autres. Il décrit le courage, l’héroïsme, la lâcheté, la
stupeur, la peur sous toutes ses formes, les moments paroxystiques,
et la camaraderie ou esprit de corps, le ciment des armées. Il
dévoile les arbitrages nécessaires pour former un bon combattant,
entre le trop et le pas assez dans tous les domaines. </span><span style="font-style: normal;">Il
nous apprend à comprendre le combattant d’aujourd’hui, qui voit
rarement son ennemi, mais plutôt ses bombes plus ou moins
artisanales, ses missiles, ses drones et, au plus près, entend les
balles de ses fusils automatiques.</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-style: normal;">Ce
texte n’a rien d’une propagande pour l’armée, mais rien non
plus d’un pamphlet pacifiste. Il se contente de constater que la
guerre existe et qu’elle est menée par des êtres humains qui
n’ont pas toujours choisi de devenir soldat, mais qui ont souvent
de bonnes raisons de se battre.</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-style: normal;">Et
tout à coup m’est revenu l’envie de revoir certains films de
guerre. Non pas ceux qui glorifient les généraux, les snipers héroïques </span><span style="font-style: normal;">ou
les soldats perdus</span><span style="font-style: normal;">, </span><span style="font-style: normal;">mais
ceux qui racontent l’affrontement et ce qui s’ensuit juste
après : « Capitaine Conan, de Bertrand Tavernier » ;
la scène du débarquement de « Il faut sauver le soldat
Ryan » ; Et toute la série « Band of Brothers »,
dont certaines scènes me revenaient en flashes lors des explications
de l’auteur sur l’entraînement, la chance au combat, l’esprit
de corps, mais aussi la peur, l’usure des affrontements répétés, tout ce qui fait du combattant un "frère d'armes".<br /></span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-style: normal;">Et
ce qui est certain, c’est qu’après cette lecture, on n’écoutera
plus jamais les récits et les reportages de guerre de la même
manière. Et on regardera le combattant d’un autre œil, pas plus admiratif ou plus critique. Un autre regard, simplement.</span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-style: normal;"><br /></span></p>
Valérie Mottuhttp://www.blogger.com/profile/02593743808220673303noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-74546728800386840112023-03-06T10:25:00.006+00:002023-03-07T07:53:36.956+00:00SF post-apo : Station Eleven, d'Emily St John Mandel<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjNbWpAaTrJHzBIPZloq9_yzF6IW634EyCunJ-74mLEKPjEFsd3kvlviOrPuMAw_mXz2G4dcjF08qoWUZWSOY57hEki0Xd9me8NQ1IJlwgzdtSs_MZTDsUe6sNqSJZ_R_RuaOfApZsF4Fd4N2QyOHW8x4AhnKeKtnaIm24CFukrRwEzxZS_t7oLTauf/s350/station11.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="227" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjNbWpAaTrJHzBIPZloq9_yzF6IW634EyCunJ-74mLEKPjEFsd3kvlviOrPuMAw_mXz2G4dcjF08qoWUZWSOY57hEki0Xd9me8NQ1IJlwgzdtSs_MZTDsUe6sNqSJZ_R_RuaOfApZsF4Fd4N2QyOHW8x4AhnKeKtnaIm24CFukrRwEzxZS_t7oLTauf/s320/station11.jpg" width="208" /></a></div><p></p><p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Peut-on encore échapper à la SF post-apocalyptique ? Si l’on s’en
tient à ce que l’on nous propose depuis une bonne dizaine
d’années, on serait tenté de répondre par la négative. La mode
est donc aux zombies, déclinés à toutes les sauces. Des zombies à
la TV, des zombies au cinéma, des zombies à flinguer sur votre
console ou votre PC, des zombies à manger sous forme de friandises
gélifiées ou de chips…. jusqu’à l’overdose. Le problème,
c’est que depuis John Romero, plus personne n’a grand chose à
dire sur le sujet. Une fois la critique du capitalisme et de la
société de consommation actée, on tourne un peu en rond. Certains
ont tenté parfois avec succès la parodie, mais très honnêtement
il y a de quoi être agacé par l’aspect parfaitement roboratif de
cette mode. Si l’on élargit quelque peu le spectre, derrière
cette tendance marketing on perçoit évidemment une crainte, celle
de la fin de notre civilisation, dont le zombie n’est finalement
que l’instrument archétypal puisque les causes sont souvent plus
profondes (virus mutant, bouleversement écologique, manipulations
génétiques…). Force est de constater que ce thème de la fin du
monde, s’il n’est pas neuf (coucou Paco et les
millénaristes de la fin des années 90), est omniprésent dans les
oeuvres de la culture populaire depuis une bonne dizaine d’années,
si ce n’est davantage ; signe que la perspective d’une fin proche
résonne particulièrement fort auprès du grand public. Mais il faut
dire que l’époque n’est guère rassurante, entre disparition
accélérée de la biodiversité, pollution des écosystèmes,
réchauffement climatique et surexploitation des ressources
planétaires, il y a effectivement de quoi être inquiet. La
perspective de la disparition de nos sociétés modernes,
tellement fragiles et dépendantes, est en train de prendre
l’ascendant sur le discours rassurant et lénifiant prônant la
toute puissance de notre civilisation ultra-technologique. La
technologie nous sauvera-t-elle ? Rien n’est moins sûr affirme le
courant post-apo, les hordes de zombies déchaînés nous balaieront
comme des fétus de paille ou des virus foudroyants réduiront
la population mondiale à des hordes disparates de survivants hagards
et faméliques. Dès lors, les technologies dont nous sommes à la
fois si fiers et esclaves n’auront plus de sens, il faudra survivre
dans un monde désormais hostile avec pour seule arme la volonté de
se battre. Télévisions, voitures, téléphones, ordinateurs et
autres machines en tous genres ne seront plus que des reliques d’un
passé révolu et désormais insignifiant.</p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Oui bon, d’accord, mais
puisque tout semble avoir été dit, pourquoi se pencher sur le cas
<i>Station Eleven</i>, dont les ressorts narratifs semblent répondre en
tous points au cahier des charges du bon petit roman post-apo ? Eh
bien parce que pour une fois, cette fin de monde a quelque chose de
différent. Tout aussi effrayante et anxiogène, elle insiste sur
l’extrême fragilité de notre civilisation et sur notre faible
capacité de résilience face à un cataclysme imprévu. En outre, la
manière dont se déroule la fin du monde entre en résonance avec
notre propre expérience de la pandémie, qui, toutes proportions
gardées évidemment, nous a confrontés à de nouvelles expériences
(règles sanitaires renforcées, confinement, distanciation sociale,
pénuries relatives….), qui laissent entrevoir le comportement pas
toujours très glorieux de nos semblables en cas de crise sanitaire
majeure. </p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><i>Station Eleven</i> nous raconte
la fin de notre civilisation telle qu’elle est aujourd’hui, cette
civilisation ultra-technologique et ultra-connectée, où les
informations, les biens et les personnes transitent à grande vitesse
à travers la planète, cette civilisation ultra-consumériste,
atteinte d’un sévère complexe de “toute puissance”, qui
se croit forte et solide alors qu’elle n’est qu’un colosse aux
pieds d’argile. Un simple virus grippal venu d’Europe de l’Est
foudroie en quelques jours l’humanité. 90% de la population
mondiale est décimée, la production énergétique et industrielle
s’effondre, les télécommunications s’arrêtent tout comme la
production agricole et le secteur agro-alimentaire. En quelques jours
notre monde disparaît, ne laissant que quelques survivants exsangues
et hébétés, à peine capables de réaliser qu’ils ont été
épargnés par le cataclysme. Comment survivre, comment reconstruire
un semblant d’Humanité lorsque tout à été réduit à néant ?
Du côté des grands lacs américains, quelques survivants tentent de
redonner du sens à leur vie nouvelle en célébrant les grandes œuvres du passé. La Symphonie itinérante, regroupant des musiciens
et des comédiens, parcourt les ruines de l’ancien monde offrant
aux survivants leur interprétation de Shakespeare et des
grandes pièces de la musique classique. Leur caravane faite de bric
et de broc, mais armée jusqu’aux dents pour éviter les mauvaises
rencontres et les pilleurs, emprunte un circuit bien rodé le long du
lac Michigan, visitant les quelques communautés qui ont réussi à
se reconstituer, apportant la culture là où elle avait disparu. </p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Cette perspective nouvelle
(excepté peut-être dans <a href="https://www.senscritique.com/livre/Un_cantique_pour_Leibowitz/484972" target="_blank">Un cantique pour Leibowitz</a> de Walter M.
Miller), dans un genre littéraire qui se focalisait plutôt sur la
barbarie et la violence d’un monde post-apocalyptique, pose une
question essentielle et parfois un peu négligée : que voulons-nous
préserver du passé ? La science, la technologie, le savoir, de
simples techniques ou bien serons-nous condamnés à chasser, traquer
et nous disputer les dernières reliques d’un passé révolu ? Ces
dimensions semblent évidemment incontournables, dans Station Eleven
la violence des survivants reste un élément prégnant du récit,
mais le roman nous rappelle également que nous ne sommes pas réduits
à nos besoins primaires, la survie contient aussi une dimension
culturelle. Reste à savoir si cela signifie garder les yeux tournés
vers le passé ou bien se réinventer, créer à nouveau, pour mieux
se projeter dans l’avenir. Mais les survivants de ce nouveau monde
sont encore trop proches de leur passé pour pouvoir s’en détacher
complètement, ils célèbrent sans cesse l’ancien monde,
contemplant le désastre, faisant sans cesse le bilan comptable de
leurs pertes. Cette dimension mélancolique se reflète également
dans la construction narrative du roman qui navigue sans cesse entre
le passé et le présent, pour mieux nous permettre d’en percevoir
toute la tragédie, que l’on reconstitue pièce par pièce avec une
certaine sidération. Peu à peu, on s’attache à ces hommes et à
ces femmes qui tentent de reconstruire une nouvelle société sur les
cendres encore fumantes de la civilisation, essayant de préserver
les savoirs essentiels (la médecine, les livres, la musique) tout en
remisant au musée les objets devenus inutiles, mais que notre
génération à pourtant portés au pinacle (téléphones,
ordinateurs, talons aiguilles, jeux vidéo, sac à main….).</p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p lang="zxx" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Roman doux-amer d’une
parfaite mélancolie, <i>Station Eleven</i> est un récit d’une grande
qualité, admirablement écrit et superbement construit, dont les
ressorts narratifs reposent moins sur l’anxiété et la peur d’une
fin du monde que l’on sent pourtant si proche, que sur l’espoir
d’un avenir différent, moins matérialiste et plus proche de
l’essentiel. Il n’en demeure pas moins qu’à l’issue de cette
lecture, une question reste toujours en suspens : faut-il
nécessairement que l’humanité soit confrontée à un cataclysme
pour qu’elle change enfin de dynamique et cesse de détruire la
planète qui lui a donné naissance ?
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com14tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-35329544005588634992023-01-24T07:40:00.002+00:002023-01-24T07:44:28.968+00:00Roman historique : Avicenne ou la route d'Ispahan, de Gilbert Sinoué<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMmOXJA_4m7O7M14ZRU-7Fojye2msZUc78dfbcpVEvHEeOf-kfFv3HyEwPNYCDZ2IAkUNWTwDVyR3_mrn2Wl3QLQvape_g1LW2g93XisSsXMj0WqXIGBRgNeYv-A0cexJmp1pi2NDjZuyPR2UJUQdSeHKEmpqkdWjoqbuYX3YRHyu5yFvSZ5MOSlCP/s350/avicenne.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="212" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMmOXJA_4m7O7M14ZRU-7Fojye2msZUc78dfbcpVEvHEeOf-kfFv3HyEwPNYCDZ2IAkUNWTwDVyR3_mrn2Wl3QLQvape_g1LW2g93XisSsXMj0WqXIGBRgNeYv-A0cexJmp1pi2NDjZuyPR2UJUQdSeHKEmpqkdWjoqbuYX3YRHyu5yFvSZ5MOSlCP/s320/avicenne.jpg" width="194" /></a></div><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Faut-il nécessairement présenter Ali Ibn Sina, alias Avicenne pour
les Occidentaux, qui fut incontestablement l’un des plus grands
savants de son temps et dont les traités de médecine et de
philosophie (sans compter ses apports dans les domaines de
l’astronomie ou des mathématiques) firent autorité jusqu’au
début de la Renaissance. Si son nom est bien connu, sa vie reste,
elle, nettement plus nébuleuse pour le grand public, mais c’est
bien souvent le cas des grands personnages de l’Histoire, réduits
la plupart du temps à quelques traits caractéristiques. Pour avoir
un aperçu du véritable personnage, sans doute serait-il préférable
de lire une authentique biographie, mais j’avoue avoir une certaine
faiblesse pour les romans historiques, voire les biographies
romancées, à plus forte raison lorsqu’elles ont un petit goût
exotique comme c’est le cas dans ce roman de Gilbert Sinoué. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Dans ce type de
littérature, la “vérité” historique est toujours un point de
crispation car le lecteur ne manquera pas de s’interroger sur les
choix effectués par l’auteur pour pallier le manque de sources,
combler un vide historique ou bien encore adapter la vie de son
personnage aux besoins de la narration littéraire. Un roman
historique, de par sa nature, contient nécessairement une part non
négligeable de fiction et il faudrait faire preuve d’une mauvaise
foi caractérisée pour reprocher à l’auteur d’avoir pris
quelques libertés avec l’Histoire. Il n’empêche que l’ensemble
doit rester crédible et vraisemblable, sous peine de sortir le
lecteur du “flow”, de heurter de plein fouet la suspension
d’incrédulité dont il fait preuve. L’auteur évolue donc sans
cesse sur ce fil ténu, qui laisse à penser que l’écriture d’un
roman historique n’est certainement pas un exercice facile.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">La vie d’Avicenne
est assez bien documentée puisqu’il rédigea, avec l’aide de son
secrétaire et disciple Abou Obeid el-Jozjani, sa propre biographie.
Gilbert Sinoué s’en inspire très largement et le moins que l’on
puisse dire, c’est que l’existence d’Avicenne fut pour le moins
mouvementée. Depuis ses premiers pas comme médecin et enseignant à
Boukhara, jusqu'à sa mort à Ispahan à l’âge de 57 ans (d’un
cancer de l’estomac ou d’un empoisonnement, on ne sait trop), cet
esprit brillant connut une vie pleine de rebondissements et
d’aventures à travers le Moyen-Orient, fréquenta les plus
illustres intellectuels de son temps, côtoya les puissants et fut
même nommé vizir. Mais s’il connut les fastes des principales
cours d’Iran, il fit les frais de quelques mésaventures assez
savoureuses. Après s’être brouillé avec Abdul Malik, prince de
Boukhara, Avicenne tomba en disgrâce. Il décida donc de quitter sa
cité natale et se rendit plus au Nord, à Gurgandj (non loin de la
mer d’Aral) où il s’établit durant neuf ans. Le prince du
Khwarizm était un fin lettré, qui aimait s’entourer de nombreux
savants, Avicenne y trouva des conditions idéales pour rédiger bon
nombre de ses ouvrages. Mais la région demeurait politiquement
instable et l’influence des Turcs s’y faisait de plus en plus
insistante. Sommé de se rendre en compagnie de ses pairs à la cour
du sultan ghaznévide, Avicenne décida à nouveau de prendre la
fuite et finit par trouver refuge à Gorgan puis à Ray, où il fut
invité par la reine régente, à soigner son fils atteint de
mélancolie. Pris dans les intrigues de palais et victime d’une
situation politique très instable, Avicenne se rend ensuite à
Hamadan, où il se lie d’amitié avec l’émir Chams ad-Dawla,
après l’avoir guéri de douleurs persistantes à l’estomac
(probablement un ulcère). Nommé vizir, il est sans cesse pris dans
les remous des guerres tribales qui agitent la région et doit mener
de jour un travail ministériel harassant pour pouvoir consacrer ses
nuits à ses travaux savants. A la mort de l’émir, Avicenne
réalise que sa situation est pour le moins incertaine. Ses nombreux
ennemis complotent contre lui et le pouvoir du nouvel Émir n’est
pas encore suffisamment fort pour lui éviter d’être emprisonné
plusieurs mois. Il réussit néanmoins à s’échapper avec
l’aide de ses proches et à se rendre à Ispahan, où il finira ses
jours, bénéficiant de la protection de l’émir Ala ad-Dawla.
C’est là qu’il produira la dernière partie de son œuvre
immense. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">La grande réussite
du roman de Gilbert Sinoué tient en premier lieu aux fabuleux
talents de narrateur de l’écrivain, qui nous plonge dans une Perse
plus vraie que nature. Un voyage prodigieux, qui, sur les pas
d’Avicenne, nous mène de Boukhara à Ispahan, en passant par
Hamadan (anciennement Ecbatane) ou Ray (Téhéran), traversant des
désert immenses, franchissant des montagnes mythiques comme les
monts Elbourz pour atteindre les confins du Moyen-Orient. Si ces noms
fabuleux, souvent associés à la route des épices, vous font rêver,
Gilbert Sinoué fait preuve d’un talent hors norme pour rendre
cette époque étonnamment vivante et crédible. Mais tout cela ne
serait sans doute rien si Gilbert Sinoué n’avait réussi à camper
un Avicenne étonnamment attachant, avec ses forces comme ses
faiblesses. Au personnage de l’intellectuel brillant, du savant
admiré à travers tout le Moyen-Orient, l’auteur oppose une autre
facette, plus humaine et tout aussi séduisante. Celle d'un amoureux de la
vie, un bon vivant qui aime disserter des heures durant sur la poésie
ou sur la philosophie tout autant qu’il aime partager un repas
arrosé de bon vin en compagnie de ses amis puisque de toute façon
les deux se conjuguent très souvent. Le banquet a ainsi une fonction
sociale et intellectuelle tout autant que roborative. Sensible aux
honneurs et parfois même un brin arrogant, Avicenne est aussi un
grand humaniste, qui soigne les pauvres comme il soignerait les
puissants. La médecine est bien une vocation chez lui et sa pratique
relève autant de la stimulation intellectuelle que de la générosité
purement désintéressée. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">La vie d’Avicenne,
trépidante et passionnante, valait bien un roman tant le personnage
paraît fascinant. Celui-ci le rend plus humain, épargnant la
légende, préservant l’envergure du savant, mais sans pour autant
sombrer dans l’hagiographie. Un beau tour de force de la part de
Gilbert Sinoué.</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-92184696767909780332022-12-09T10:20:00.010+00:002022-12-09T10:35:34.621+00:00Fiction documentaire : Le mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli<p></p><p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiPgR2BnKTOL5qQjI1UXvB80hkzmXxI_haYydGlNVIUDwrpAe2KD4CdQmOn48gonHCQWtIoJldzcHHllOXNCJ9phodkHSHa5wj5qmJnHjcOphsEhq2hK30j0rHNF-SL1Tj8WrdF6g0wOQqfXFdNFWpmzbbQ53G1JIkUF1v9svN95FJ41izngjVyjVEE/s350/kremlin.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="239" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiPgR2BnKTOL5qQjI1UXvB80hkzmXxI_haYydGlNVIUDwrpAe2KD4CdQmOn48gonHCQWtIoJldzcHHllOXNCJ9phodkHSHa5wj5qmJnHjcOphsEhq2hK30j0rHNF-SL1Tj8WrdF6g0wOQqfXFdNFWpmzbbQ53G1JIkUF1v9svN95FJ41izngjVyjVEE/s320/kremlin.jpg" width="219" /></a></div><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
J’avoue être assez hermétique, en matière de littérature, aux
annonces médiatiques et aux polémiques qui ne manquent pas de
fleurir à l’occasion de chaque rentrée littéraire, mais les
dissensions qui ont secoué le petit monde des prix littéraires
n’ont pas manqué de susciter ma curiosité. Il faut dire que je
rate rarement une occasion de brocarder le Goncourt tant cette
récompense me paraît trop souvent cultiver l’entre-soi et le
nombrilisme, voire le népotisme. Même si, pour être tout à fait
honnête, il leur arrive d’avoir un peu de flair… parfois.
Je n’avais jusqu’à lors jeté qu’un œil distrait sur la
sélection finale, mais <i>Le mage du Kremlin</i> m’avait déjà
interpellé à la suite de plusieurs critiques élogieuses (presse et
radio) et le livre avait atterri dans mon escarcelle. J’avais
d’ailleurs été un peu surpris qu’il finisse dans le dernier
carré du Goncourt puisque le livre n’est pas tout à fait une
fiction. Visiblement, le roman de Giuliano da Empoli avait les
faveurs du jury, mais il existe un règle tacite qui consiste à ne
pas attribuer le Goncourt à un livre qui a déjà été primé, hors<i>
Le mage du Kremlin</i> avait déjà été récompensé par l’Académie
française. Une partie du jury se prononça donc en faveur du roman
de Brigitte Giraud, créant un véritable schisme et une violente
polémique, dont les effets de bord n’ont pas manqué d’éclabousser
un prix qui n’en avait guère besoin. Tout le monde connaît la
chute finale, c’est le président du jury qui fit pencher la
balance en faveur de <i>Vivre vite</i> après moult tours de table. Le
malaise était palpable, la faute sans doute à cette règle tacite
parfaitement stupide, qui laisse entendre que la récompense n’a
pas été attribuée au meilleur roman et que le lauréat est un
second choix, un sorte d’usurpateur en quelque sorte. N’ayant pas
lu le livre de Brigitte Giraud, je ne me prononcerai pas sur cette
question, j’avoue d’ailleurs qu’elle ne m’intéresse pas
vraiment, mais une chose est certaine, cette affaire à ravivé mon
intérêt pour <i>Le mage du Kremlin</i>, qui a tôt fait de remonter en
bonne place dans ma pile à lire. J’étais curieux de lire ce
livre, qui avait fait couler tant d’encre et créé une ligne de
fracture conséquente au sein du prix Goncourt. Alors, ce <i>mage du
Kremlin</i> méritait-il tout ce battage médiatique ?</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">L’approche de
Giuliano da Empoli est assez intéressante, il s’agit de retracer
le parcours d’un certain Vadim Baranov, éminence grise, ou spin
doctor comme on dit, de Vladimir Poutine, tsar de ce qu’il reste
encore de l’empire russe. En réalité, le personnage s’inspire
très librement de Vladislav Yuryevich Surkov, conseiller politique
de Poutine et idéologue en chef du régime dans les années 2000
(chef de la propagande quoi). L’homme est d’une discrétion
extrême et en réalité on sait très peu de choses sur lui, sa
région d’origine et sa date de naissance restent floues, mais son
rôle auprès de Poutine fut considérable… avant qu’il ne tombe
subitement en disgrâce à partir de 2020, sans doute pris au piège
de ses propres machinations à l’égard du pouvoir. Le parcours de
Baranov est en grande partie calqué sur ce modèle, même si
l’auteur italien préfère lui imaginer un passé plus romanesque
(originaire de la noblesse russe, son grand-père était un
excentrique, un amoureux de la culture occidentale qui méprisait
ouvertement le pouvoir soviétique…. et qui fut un modèle pour
Baranov). Le roman prend le prétexte d’un entretien avec un
écrivain occidental, partageant une fascination commune pour
Zamiatine, afin de retracer l’ascension fulgurante et la chute tout
aussi rapide de Baranov. Le récit est par ailleurs émaillé de très
nombreuses références à des événements historiques ou des
affaires sensibles qui ont marqué le long règne de Poutine.
L’ascension de Baranov est aussi et surtout l’occasion de
retracer celle de Poutine et d’observer l’évolution politique et
idéologique du chef du Kremlin, voire d’en cerner un peu la
personnalité complexe, tout en mesurant sa lente mais constante
dérive autoritaire. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Le roman est
indiscutablement très réussi. Narration fluide, écriture soignée,
Le mage du Kremlin est un récit intelligemment pensé et très
élégamment construit, mais alors que le roman prétend mettre en
lumière de nombreuses zones d’ombre des années Poutine (disons
que c’est davantage l’éditeur que l’auteur qui met ce point en
avant), il ne fait en réalité qu’en révéler l’ampleur immense
et insondable. Aucun livre ne vous permettra de pénétrer dans la
tête de Poutine et d’en comprendre le mode de pensée. Une fois la
dernière page tournée, l’homme restera encore et toujours une
énigme, un personnage secret, complexe, parfois contradictoire. En
revanche, l’auteur pose un regard très intéressant sur
l’évolution politique de la Russie depuis l’époque tsariste
jusqu’à nos jours, il réussit à capter très finement l’âme
de son peuple et à cerner les mouvements tectoniques qui ont secoué
la société russe depuis un siècle. Ainsi, s’il paraît difficile
de lever le voile sur le personnage de Poutine en lui-même, le livre
permet de comprendre les mécanismes politiques et sociologiques, qui
ont permis à Poutine d’accéder au pouvoir, puis de le conserver
durant plus de vingt ans grâce à un soutien populaire massif. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Quant au personnage
de Baranov, s’il est permis d’émettre quelques réserves
lorsqu’il s’agit d’établir un parallèle avec Surkov, ce
Raspoutine des temps modernes, il fait figure de personnage
romanesque par excellence. Son élégance teintée d’ironie
mordante, voire sa morgue délicieusement aristocratique, proposent
un contrepoint en rupture totale avec l’idée que l’on se fait du
pouvoir russe incarné par Poutine et ses prédécesseurs.
L’austérité, la brutalité et l’efficacité froide qui semblent
caractériser l’autocrate russe lui font parfaitement défaut.
Baranov est un homme cultivé et pondéré, qui observe le monde avec
un détachement quasiment philosophique, imperturbable marionnettiste
dont les fils invisibles ont influé, funestement, sur le destin du
monde durant près d’un quart de siècle.
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><br />
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-62508663244247273122022-11-23T07:24:00.006+00:002022-11-23T17:19:45.161+00:00Testament littéraire : L'espion qui aimait les livres, de John Le Carré<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhwnNFSWbxE4OikcMMAIs7VVgbIaAS-VKF25WRYiD56D_CvHoW5jTrx0uIKbZN-66Ql-rH3ookILJzwKsmQ3C7JYL8OeElJLAEGQ3OcEv50WFBnaHZeiGvPb6kHfrVNPz_86HLy9rBIoYW94FKhVdOCBm8s2v9AbDO3b5qucY1MaWUJfDKyzqSnd5gM/s350/espion.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="231" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhwnNFSWbxE4OikcMMAIs7VVgbIaAS-VKF25WRYiD56D_CvHoW5jTrx0uIKbZN-66Ql-rH3ookILJzwKsmQ3C7JYL8OeElJLAEGQ3OcEv50WFBnaHZeiGvPb6kHfrVNPz_86HLy9rBIoYW94FKhVdOCBm8s2v9AbDO3b5qucY1MaWUJfDKyzqSnd5gM/s320/espion.jpg" width="211" /></a></div><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Aussi surprenant que cela puisse paraître, je me rends compte que
malgré l’admiration que j’éprouve à l’égard de John Le
Carré, je n’ai jamais chroniqué un seul de ses romans sur ce
blog. Il aurait d’ailleurs été du meilleur goût de ne pas
attendre la publication de son ultime roman pour réparer cette
impardonnable erreur, mais que voulez-vous, on se laisse emporter par
la démesure de sa pile à lire et l’on oublie les fondamentaux.
Comme l’explique en postface son fils Nick Cornwell (connu
sous le nom de plume de <a href="https://bloggerinfabula.blogspot.com/2021/02/sf-next-gen-gnomon-de-nick-je-suis-le.html" target="_blank">Nick Harkaway</a>), L’espion qui aimait
les livres est un roman posthume de John Le Carré, sur lequel
il avait travaillé pendant des années sans jamais en être
totalement satisfait. A sa mort, son fils découvre un manuscrit
quasiment terminé et, respectant la promesse faite à son père, a
entrepris de le faire publier moyennant quelques retouches très très
légères si l’on en croit ses dires (et il n’y a pas de raisons
d’en douter). A ceux qui auraient l’outrecuidance de croire qu’il
s’agit là d’un fond de tiroir, Nick Cornwell explique les
raisons qui ont poussé son père à ne pas faire publier de son
vivant L’espion qui aimait les livres et après avoir terminé le
roman, on ne peut qu’abonder en son sens, car les qualités de ce
livre sont indéniables. Il s’agit là d’un très très bon
récit. Sans doute s’agit-il même d’une pièce maîtresse pour
comprendre l'œuvre de John Le Carré et en appréhender toutes les
dimensions politiques.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">L’espion qui
aimait les livres commence comme nombre de romans de l’auteur. Dès
l'incipit, le lecteur est plongé dans une intrigue dont il ne
maîtrise absolument aucun élément. Pas de chapitre introductif,
pas de longues scènes d’exposition ou d’explications didactiques
destinées à l’immerger progressivement dans l’histoire en le
tenant gentiment par la main. A froid, cela peut paraître quelque
peu déstabilisant, mais il suffit d’être patient. Lentement, mais
sûrement, l’intrigue se met en place, les petites briques
s’assemblent et s’imbriquent parfaitement, dévoilant l’ensemble
de la trame avec la subtilité coutumière de l’écrivain
britannique. Si vous êtes pressé, passez votre chemin, on n’est
pas dans du Jason Bourne. L’histoire débute de manière assez
innocente avec un certain Julian Lawndsley, ancien trader de la City,
fatigué par la finance et reconverti dans le commerce des livres.
Julian s’est choisi une nouvelle vie, a revendu sa Porsche et son
appartement londonien hors de prix pour investir dans une petite
librairie, loin de la capitale et de son affairisme mortifère. La
vie est calme dans cette petite ville balnéaire et Julian tente de
prendre ses marques dans son nouveau métier, en profite pour faire
connaissance avec ses voisins et développer son réseau relationnel.
Rien que de très normal en somme. A la candeur de Julian s’oppose
celle d’un certain Edward Avon, personnage complexe et étrange,
qui s’intéresse de près à la librairie de Julian et lui propose
même de l’aider à étoffer son catalogue. Edward est si cultivé,
aimable et urbain, que Julian ne lui oppose guère de résistance,
lui laisse ordinateur, téléphone et fax à disposition, ravi de
recevoir un peu d’aide. Pourtant Edward, aussi sympathique soit-il,
semble être entouré d’une aura de mystère, ses origines
polonaises sont intrigantes, il affirme avoir été ami avec son père
lorsqu’ils étaient étudiants et semble avoir bourlingué du côté
de la Yougoslavie pour, selon ses dires, enseigner dans plusieurs
universités. Mais l’homme est sérieux, posé, ses manières sont
irréprochables et il est marié à l’une des figures du village,
une femme de caractère, héritière d’une grande propriété des
environs, atteinte désormais d’un cancer en phase terminale. Un
pedigree sans tache semble-t-il. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">A l’autre bout du
spectre, les services de renseignement britanniques semblent sur le
pied de guerre et s’interrogent sur la sincérité et la fidélité
d’un ancien agent de terrain, Florian. Stewart Proctor, un
directeur du service très expérimenté, est chargé d’enquêter
sur le parcours de Florian et de retracer les événements qui
auraient éventuellement pu l’amener à trahir la couronne
britannique. </p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
Parcouru par
une ambiance quelque peu crépusculaire, L’espion qui aimait les
livres marque assurément un changement d’époque par rapport aux
grands classiques de John Le Carré (ceux écrits à l’époque de
la guerre froide). Le monde est devenu multipolaire et asymétrique.
Avec la chute du bloc soviétique, c’est toute une organisation qui
s’en trouve chamboulée. L’ennemi n’est plus cette figure
clairement identifiable, dont on connaît les forces, les faiblesses
aussi bien que les réactions. Le petit univers des espions doit
impérativement se reconstruire pour affronter un monde nouveau. Sauf
que le passé refuse de mourir et que ces chamboulements
géopolitiques impliquent d’importants changements de paradigmes.
Quelque part, la machine autrefois bien huilée et très codifiée du
renseignement s’est grippée. Les hommes et les femmes à son
service ont vieilli et il ne leur reste guère que leur gloire
passée. Certains, comme Florian, se sont trouvé d’autres causes,
d’autres allégeances. Il leur fallait croire encore en quelque
chose. Leur passé en bandoulière, il leur reste un dernier combat à
mener, un combat de vieille garde. On triche, on ment, on trahit
l’ami d’autrefois avec l’espoir que les zones d’ombre que
l’on garde secrètes le resteront. Car finalement, nous dit Le
Carré, le facteur humain reste la principale force du renseignement…
aussi bien que sa principale faille. Les espions, ces êtres
fragiles, qui doutent, se livrent ici à un ultime règlement de
comptes, feutré et silencieux, ou presque.
</p>
<p> </p>Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-49270991337404535842022-11-17T12:47:00.003+00:002022-11-17T12:48:11.811+00:00Littérature levantine : Le livre des reines, de Joumana Haddad<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiAETnRR4kUhqfKxH4CsdmwG7kniOezsgngTo5cAexvGGMFS7Zif8NY_L3dbRrMczjBwj7YeqsNm0ixX2CacfNlG0qnRwOR_VJkGMQia-JmHcztuRIvyWJi8XMW_XFBOV61oWgsLQYzxs3ZmgeHt4GKR01WKXaYT-MbpIAx0Oq02E_D3YsfQ_BDK13u/s350/haddad.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="214" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiAETnRR4kUhqfKxH4CsdmwG7kniOezsgngTo5cAexvGGMFS7Zif8NY_L3dbRrMczjBwj7YeqsNm0ixX2CacfNlG0qnRwOR_VJkGMQia-JmHcztuRIvyWJi8XMW_XFBOV61oWgsLQYzxs3ZmgeHt4GKR01WKXaYT-MbpIAx0Oq02E_D3YsfQ_BDK13u/s320/haddad.jpg" width="196" /></a></div><p></p><p style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
La richesse de la littérature libanaise ne cesse d’étonner, sans
doute est-ce en partie un effet de loupe étant donné les liens
historiques et linguistiques qui unissent la France et le Liban.
Nombre d’auteurs libanais écrivent en Français et ne nécessitent
donc pas d’être traduits pour être publiés aisément sous nos
latitudes. On estime que 40% des Libanais sont francophones, même si
la place du Français par rapport à l’anglais à tendance à
régresser, comme dans d’autres pays du pourtour méditerranéen.
Notre langue reste néanmoins un facteur de distinction sociale et le
marqueur d’un certain prestige. Loin de moi cependant l’idée de
faire preuve d’un quelconque chauvinisme, il s’agit uniquement
d’un constat qui explique en partie, à mon sens, la vitalité
remarquable de la littérature libanaise dans les librairies
françaises, toutes proportions gardées évidemment D’ailleurs,
Joumana Haddad, journaliste, artiste et écrivaine libanaise, publie
aussi bien en arable, qu’en français ou bien en anglais. </p>
<p style="margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Le livre des reines est son dernier
roman en date et narre le parcours sinueux et semé d’embûches de
quatre générations de femmes appartenant à la même famille. De la
grand-mère, à la mère, en passant par la fille et la petite-fille,
toutes ont la particularité d’avoir un prénom commençant par la
lettre Q, les cheveux roux et un destin douloureux, marqué par les
violences sous toutes leurs formes, la guerre et les pertes
tragiques. Cette saga familiale débute en 1915, lors du génocide
des Arméniens. Une mère arménienne et ses enfants tentent de fuir
les massacres perpétrés par les soldats ottomans, mais ils sont
arrêtés dans leur fuite avant d’atteindre la Syrie. La petite
Qayah, impuissante, assiste au massacre de ses frères et sœurs,
tandis que sa mère est capturée pour être régulièrement abusée
par un commandant turc. C’est le début d’un long parcours qui la
mènera à Alep puis à Beyrouth. Adoptée par un couple chrétien
qui ne pouvait pas avoir d’enfants, Qayah trace son destin dans une
époque qui connaît de nombreux bouleversements, de multiples
guerres et reste soumise à des tensions perpétuelles liées au
conflit israelo-pelestinien. A défaut de voir son amour de jeunesse
se concrétiser, Qayah pourra fonder une famille et enfanter. Mais
elle connaîtra encore la douleur et le chagrin. Sa fille et sa
petite fille ne seront guère plus épargnées par les vicissitudes
de la vie, poursuivies par un passé qui semble sans cesse vouloir
les rattraper alors qu’elles n’en détiennent pas toutes les
clés. </p>
<p style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
Saga familiale à la fois
poignante et dure, Le livre des reines est un roman empreint d’une
grande fatalité, celle qui touche génération après génération
ces femmes qui reproduisent les mêmes schémas psychologiques et
qui, en dépit de leur volonté, de leur courage et de leur
résilience, semblent ne pas pouvoir échapper à leur destin
tragique. Une vie marquée du sceau de la violence, des non-dits et
des secrets profondément enfouis dans l’inconscient familial. Face
à tant d’adversité, le courage de ces femmes force le respect et
prend aux tripes, d’autant plus que le récit semble en grande
partie autobiographique. Joumana Haddad ne s’en est d’ailleurs
jamais cachée, le roman est issu (en partie) de son histoire
familiale et du destin tragique de sa mère et de sa grand-mère.
Soutenu par une écriture d’une grande qualité (parfaitement
traduire au demeurant), Le livre des reines est un roman d’une
grande exigence et d’une immense sincérité, difficile certes,
mais profondément émouvant et digne.
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-54600718367115613392022-10-14T08:43:00.002+00:002022-10-14T08:45:50.006+00:00Littérature américaine : La vérité sur Lorin Jones, d'Alison Lurie<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiDOfumtYpw1b7LOT7g69EK5HaUlu6QxIEBE0g2xX6lS2NTDxJA80YMmLsLi-1bjS-48E01WRFhS89CXeaaEnCAj2yiv75bD0juuwFvSxZPCmQ-AYiP9-nbGnGInAK8Th2yg_BdA9vGQIZD1XTdc4_Wn7su2rmyfKfP307QvcRbi8yWfjB3hdMff_p6/s279/lorin%20Jones.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="279" data-original-width="181" height="279" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiDOfumtYpw1b7LOT7g69EK5HaUlu6QxIEBE0g2xX6lS2NTDxJA80YMmLsLi-1bjS-48E01WRFhS89CXeaaEnCAj2yiv75bD0juuwFvSxZPCmQ-AYiP9-nbGnGInAK8Th2yg_BdA9vGQIZD1XTdc4_Wn7su2rmyfKfP307QvcRbi8yWfjB3hdMff_p6/s1600/lorin%20Jones.jpg" width="181" /></a></div>
<p></p><p style="text-align: justify;">En ces temps de polarisation extrême de la société, au sujet de
tout et de rien, mais où le féminisme moderne semble tout de même
cristalliser les rancoeurs et crisper les réseaux sociaux, la
lecture de cet excellent roman qu’est <i>La vérité sur Lorin Jones</i>,
paraît plus que nécessaire. En premier lieu parce que les
thématiques favorites d’Alison Lurie tournent très souvent autour
des problématiques féministes et font écho aux questionnements qui
continuent d’agiter la société trente ans plus tard (c’est dire
le peu de chemin parcouru), en second lieu parce que la manière dont
l’écrivaine américaine interroge son époque, me paraît
nettement plus saine et constructive qu’à l’heure actuelle. Il y
a chez Alison Lurie une capacité à s’emparer de la question
féministe de manière à la fois sincère, engagée et dinstanciée,
qui confine à l’exemplarité.</p>
<p style="text-align: justify;"><br />
<br />
</p>
<p style="text-align: justify;">Assistante de conservation dans un grand musée new-yorkais,
récemment divorcée et mère d’un garçon de 14 ans, Polly Alder
s’apprête à rédiger la biographie d’une artiste peintre dont
le travail la fascine depuis de nombreuses années : Lorin Jones.
Archétype de l’artiste maudit, Lorin Jones fut une peintre en vue
dans les années soixante, sa peinture avangardiste lui promettait un
avenir radieux et un succès retentissant. Mais son ascension fut de
courte durée et l’artiste retomba progressivement dans l’anonymat,
au point d’être presque oubliée vingt ans plus tard et de mourir
dans la misère et l’indifférence. A l’occasion d’une
rétrospective qu’elle a portée à bout de bras, Polly réalise
que le destin tragique de Lorin Jones n’est pas lié aux qualités
intrinsèques de sa peinture, mais probablement à la manière dont
elle fut traitée par les hommes de son entourage depuis son enfance
jusqu’à sa mort. Forte de cette intuition, Polly demande un congé
et obtient même une bourse pour financer la réalisation de son
livre, mais le travail s’avère moins facile qu’attendu. D’une
part, ses récents problèmes personnels pèsent sur son moral et sur
sa manière d’aborder ses travaux de recherche, l’incitant à
adopter un prisme fortement anti-masculiniste, d’autre part Polly
réalise au fil de ses entretiens avec des proches de l’artiste
(frère, ex-mari, galeristes, collectionneurs….), que la
personnalité de Lorin Jones est éminemment plus complexe qu’elle
ne l’avait envisagée. Des zones d’ombre persistent, des récits
personnels se télescopent et se contredisent, la plongeant dans
l’expectative. Plus ses recherches avancent, moins Polly semble
réussir à cerner le personnage. Ainsi, au-delà de la personnalité
timide et réservée, presque effacée, émerge une autre facette de
Lorin Jones, moins séduisante, plus sombre, voire même
antipathique. Le doute s’insinue et Polly ne sait plus quel
angle adopter pour dresser le portrait de l’artiste. Mais au-delà
même des questions méthodologiques, ne se serait-elle pas fourvoyée
dès le début, n’aurait-elle pas opéré une sorte de transfert,
fascinée, par effet miroir, par les similitudes qu’elle observait
avec sa propre vie. Angoissée par ses problèmes familiaux et par
ses relations ambigües avec sa meilleure amie, Polly ne sait plus
comment réagir, ses certitudes s’effondrent, ses sentiments se
font contradictoires oscillant tantôt entre agacement et attirance
envers les hommes. Le vaste édifice sur lequel reposait autrefois
une vie stable et heureuse s’effondre comme un château de cartes,
révélant une vérité que Polly n’est pas forcément prête à
accepter. </p>
<p style="text-align: justify;"><br />
<br />
</p>
<p style="text-align: justify;">Admirablement construit sur le plan narratif, La vérité sur
Lorin Jones est très certainement l’un des meilleurs romans
d’Alison Lurie et mérite amplement son prix Femina (1989). Avec
subtilité et humilité, l’auteure américaine interroge le travail
de l’écrivain biographe de manière très fine, mais plus
généralement c’est aussi notre rapport à l’autre qu’il
dessine en creux. Connaissons-nous véritablement ceux qui nous
entourent ? Notre conjoint, nos enfants, nos amis sont-ils bien ceux
que nous percevons à la surface, cachent-ils d’autres facettes de
leur personnalité, qui à l’occasion d’un conflit ou de tensions
se révèlent au grand jour ? Sommes-nous enfermés dans une bulle
émotionnelle qui nous empêche de percevoir l’autre dans toute sa
globalité ? Autrement dit, l’autre n’est-il qu’une
construction élaborée à partir de nos propres émotions et de
notre histoire personnelle ? Ainsi, le fameux alter-ego ne serait
qu’un mythe, un doux rêve bercé d’illusions qui un jour vient
s’écraser contre le mur du réel. Alison Lurie invite ainsi le
lecteur à lever le voile des apparences, à s’interroger sur les
motivations qui nous animent lorsque nous acceptons une
certaine forme d’aliénation dans nos rapports aux autres. Un
compromis que Lorin Jones, tout au long de son existence, semble
avoir totalement rejeté. Artiste totale, parfaitement libre,
entièrement engagée dans sa peinture, au point d’en oublier les
autres, Lorin Jones apparaît sous un jour qui n’est sans doute pas
aussi flatteur qu’attendu, mais pourtant sincère et honnête. Un
engagement synonyme néanmoins d’une grande solitude.</p>
<p style="text-align: justify;"><br />
En filigrane apparaît un autre questionnement tout aussi
subtil, qui parfois a été mal perçu par certains lecteurs.
L’engagement d’Alison Lurie en faveur de la cause féministe ne
fait aucun doute, c’est même une constante tout au long de son
oeuvre et si l’auteure se montre assez critique à l’égard des
féministes les plus radicales, elle ne fait que pointer les dérives
d’une idéologie trop extrême dans son jusq’auboutisme. Si les
fondements du combat des femmes lui apparaissent justes et
nécessaires, et même vitaux, la radicalisation du discours à
l’encontre des hommes lui semble au contraire délétère. Alison
Lurie ne trahit pas la cause lorsqu’elle donne des hommes une image
moins stéréotypée et plus contrastée au fil du récit, pas plus
qu’elle ne tente d’atténuer le comportement affreusement
machiste de nombreux personnages masculins. A contrario, certains
n’ont vu dans dans ce roman, qu’un discours violemment misandre,
dressant un tableau des hommes bien trop caricatural. Mais c’est
oublier qu’il s’agit de la vision de Polly et qu’elle évolue
tout au long du récit, pour se faire plus nuancée et plus subtile à
la fin du roman. Ce tableau de la société bourgeoise de l’époque,
teinté d’une ironie mordante, presque caustique, est néanmoins la
marque de fabrique d’une écrivaine dont l’engagement en faveur
de la cause féministe ne s’est jamais démenti et ne peut être
remis en cause. Plus de trente ans plus tard, <i>La vérité sur Lorin
Jones</i> reste un roman fondamental dans l’histoire des lettres
américaines, une œuvre qui n’a pas pris une ride et qui
témoigne de son temps tout en restant parfaitement d'actualité.
</p>
<p><br /> </p>Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-70934398982227416162022-09-28T08:59:00.003+00:002022-09-28T08:59:26.718+00:00Polémique culinaire : La véritable histoire des pâtes, de Lucas Cesari<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjQpmlxkXtv3vcUVuFRyQWtY1ChAoGqJMPH5WFVUsULZtaPq2C-qfcOgQp6MRE1Al_gZjv9L22ugCqRL4vz7X1NH-ODSbi64sNA0CjEJUX8TEePxB0Nt2ZBgCPlbPdlzNhUZ2hlk5I7gSlNFP7PqOdO5mfWdEnw-9kBLspwRKajo3bpuevz_xsgap6E/s350/lucascesari.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="239" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjQpmlxkXtv3vcUVuFRyQWtY1ChAoGqJMPH5WFVUsULZtaPq2C-qfcOgQp6MRE1Al_gZjv9L22ugCqRL4vz7X1NH-ODSbi64sNA0CjEJUX8TEePxB0Nt2ZBgCPlbPdlzNhUZ2hlk5I7gSlNFP7PqOdO5mfWdEnw-9kBLspwRKajo3bpuevz_xsgap6E/s320/lucascesari.jpg" width="219" /></a></div><div style="text-align: justify;">Qu’y a-t-il de plus horripilant qu’un intégriste de la
gastronomie vous assénant sa vérité absolue au sujet, au hasard,
des pâtes à la carbonara ou bien encore de la sauce bolognaise (qui
n’existe pas, rappelons-le aux plus distraits). Le maître-mot
étant, comme il se doit, “l’authenticité”, car il est bien
connu que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures
soupes. Sans parler de ceux qui détiennent le graal, la vérité
absolue, la recette ultime, à savoir “la vraie recette” et
qui ne manqueront pas de vous rappeler que, plus la recette est
ancienne plus elle est “authentique”. Tout le reste n’étant
que billevesées et roupie de sansonnet. Cette course effrénée à
l’authenticité a contaminé non seulement toute la littérature
culinaire depuis la fin des années 90, mais elle est surtout devenue
l’objet d’une lutte de tous les instants sur les réseaux
sociaux. Malheur à celui qui oserait poster une photo de ses
exploits en cuisine s’il ne respecte pas à la lettre la recette
canonique érigée depuis la nuit des temps en Saint Graal. Depuis la
nuit des temps ? Vraiment ? C’est la question que Lucas Cesari
s’est posé après avoir subi la vindicte des twittos les plus
hargneux au sujet d’un plat de pâtes à la carbonara réalisé
avec quelques restes qu’il avait sous la main (des oeufs, du
parmesan et de la pancetta, excusez du peu). Imaginez si notre
spécialiste avait osé user d’un fromage aussi peu noble que
l’emmental et arrosé le tout de crème fraîche comme on se plait
à le faire de notre côté des Alpes. </div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;"><br />
<br />
</p>
<p style="text-align: justify;">Au-delà du titre un peu facile et racoleur (bon ok, vendeur
diront les commerciaux), Lucas Cesari s’emploie tout au long de son
ouvrage à démystifier les recettes les plus emblématiques de
la gastronomie italienne. De la carbonara aux gnocchi, en passant par
l’amatriciana, les lasagnes ou bien encore les tortellini de
Bologne, l’auteur propose, grâce à une méthodologie solide et
documentée (étude de manuscrits, traités et autres livres de
recettes anciens), de retracer l’histoire de ces plats
emblématiques, en remontant à leur origine, parfois bien plus
récente que ne le laissent entendre les gardiens du temple. Nul
doute que ces derniers monteront au créneau à coup d’attaques ad
hominem, mais il faut bien avouer que si l’on s’efforce de
dépassionner le débat on ne peut que se rendre à l’évidence,
Lucas Cesari taille de véritables croupières aux “puristes” les
plus intégristes en rétablissant quelques faits assez difficiles à
réfuter. Ainsi, si l’on s’en tient à l’exemple le plus
marquant du livre, à savoir la carbonara, on pourra constater avec
une certaine allégresse que cette recette n’est pas très ancienne
et remonte à la fin des années quarante. Si l’on scrute
attentivement son évolution au fil des décennies, elle semble même
très loin de faire consensus et propose une variété d’ingrédients
et de techniques qui feraient défaillir les puristes les plus
sectaires. Ainsi, même si certains gastronomes de l’école la plus
dure (oeufs, guanciale, pecorino, poivre et un peu d’eau de cuisson
pour la mantecatura finale) préfèrent l’oublier, même en Italie
il était très courant d’utiliser un peu de crème fraîche
(jusque dans les années 80) pour obtenir une sauce onctueuse et
veloutée sans être un technicien de haute volée. Même chose en ce
qui concerne le fromage (le parmesan était couramment utilisé) ou
la viande (la pancetta a longtemps concurrencé le guanciale). Ce
n’est que dans les années 80/90, qu’une poignée de
gastro-intégristes de salon ont commencé à adopter une ligne plus
dure, fixant leurs propres règles, décrétant officiellement ce qui
relevait du canon et ce qui était à bannir, le tout sans aucun
fondement historique. Alors certes, lorsque l’Academia Italiana
delle Cucina fixe dans le marbre (dans les années 80) la recette de
la Carbonara, cela a de quoi impressionner et tendrait à couper le
sifflet à ceux qui auraient l’outrecuidance de n’en faire qu’à
leur tête, mais ne nous y trompons pas, elle n’est qu’une
recette parmi d’autres et n’a pas vocation à demeurer éternelle,
la cuisine est vivante et évolue. Alors pourquoi une telle levée de
bouclier chaque fois qu’un cuisinier tente de s’affranchir des
règles ? Le rôle des réseaux sociaux n’est sans doute pas
étranger à une telle polarisation, mais au-delà, on peut sans
peine percevoir le désir de se distinguer du menu fretin, une
volonté affichée de sélectionner par la technique (parce que
réussir une carbonara stricte demande une certaine technicité et un
vrai savoir-faire) et de se constituer en élite de la gastronomie.
Rien de neuf sous le soleil pourrait-on dire, l’élitisme ne date
pas d’hier et n’est pas près de disparaître. Remarquons par
ailleurs, que pour les dix chapitres qui composent ce livre (soit dix
recettes), le processus est souvent très similaire et la
démonstration, si elle n’est pas toujours aussi spectaculaire que
pour la carbonara, met une petite fessée aux plus rigides. En
filigrane, on distingue également des raisons qui n’ont rien à
voir avec l’élitisme, mais relèvent plutôt de l’influence de
l’industrie ou des pratiques artisanales tendant à rationaliser la
production. Ainsi, si certaines recettes actuelles privilégient tel
ou tel ingrédients, c’est parce que les artisans et les
industriels ont constaté qu’ils convenaient mieux à leurs
procédés de fabrication, ce fut notamment le cas pour les gnocchi
ou bien encore les tortellini ; certains livres de recettes du début
du XXème siècle, ne proposent même plus de fabriquer soi-même ses
tortellini, mais de privilégier des produits prêts à cuire, se
focalisant uniquement sur la sauce ; il s’agissait alors de libérer
la ménagère en faisant place au progrès. </p>
<p style="text-align: justify;"><br />
<br />
</p>
<p style="text-align: justify;">La tradition a donc bon dos et le livre de Lucas Cesari a le grand
mérite de battre en brèche les idées reçues aussi bien que les
diktats culinaires. Mais il est nécessaire de garder à l’esprit,
qu’il ne faut pas pour autant faire tout en n’importe quoi en
cuisine sous prétexte d’exercer son libre arbitre. La créativité
a ses mérites, mais comme dans l’apprentissage de la musique, il
convient de faire ses gammes et de respecter certains principes
élémentaires, voire chimiques, de la cuisine. Les recettes
canoniques ont aussi leurs mérites, en prônant l’usage des
produits de qualité, en faisant preuve d’une certaine technicité
et en élevant la cuisine vers des sommets gustatifs. Le tout est de
savoir rester humble et de ne pas conspuer ou vouer aux gémonies
ceux qui ne sont pas capables d’atteindre un haut niveau dans l’art
de la cuisine. Si vous n’arrivez pas à réussir votre carbonara
(trop sèche si vos pâtes sont trop chaudes, trop visqueuse si elles
sont trop froides), faites à votre manière et ajoutez un filet de
crème fraîche dans votre préparation, si cela vous permet
d’obtenir la texture et le goût que vous souhaitez, après tout,
nombre de mamma italienne l’ont fait pendant des décennies afin de
régaler leur maisonnée. En attendant, faites vous plaisir en lisant
le livre de Lucas Cesari, cela vous permettra de rabattre le caquet
des ayatollahs et autres pseudo-savants de la tradition
gastronomique.</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-40246050694994271352022-09-12T13:18:00.003+00:002022-09-12T13:24:29.022+00:00Uchronie turque : Les nuits de la peste, d'Orhan Pamuk<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjYlkC5hdpqmLWQOCEiV4qgA5_W1vTYPoRo1f3M9BmCHRLvwv1-xGrm21hvQ27mBYbZ9Z0RvC6Vivlir05Yaxg-aVGzMENkobtQJhbvR0DDce3ibn2Bp7J4-N9uvk393YR4uO4ezNNpehsWA2hLq_o5onj1L-WjWYtXHpbUE0SFEMitY6VslGcbph_R/s350/peste.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="245" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjYlkC5hdpqmLWQOCEiV4qgA5_W1vTYPoRo1f3M9BmCHRLvwv1-xGrm21hvQ27mBYbZ9Z0RvC6Vivlir05Yaxg-aVGzMENkobtQJhbvR0DDce3ibn2Bp7J4-N9uvk393YR4uO4ezNNpehsWA2hLq_o5onj1L-WjWYtXHpbUE0SFEMitY6VslGcbph_R/s320/peste.jpg" width="224" /></a></div><div style="text-align: justify;">Le dernier roman d’Orhan Pamuk est un sacré pavé et il m’aura
fallu pas loin de trois semaines pour en venir à bout…. Autant
dire une éternité pour un lecteur. Mais ne prenez pas pour autant
la poudre d’escampette car Les nuits de la peste est un bon roman,
dont la densité est certes réelle, mais nullement insurmontable
surtout pour les amoureux de la Méditerranée. </div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">A ce sujet, il convient d’apporter quelques précisions. Si Les
nuits de la peste se présente comme un roman historique (dans sa
thématique aussi bien que dans sa narration) et qu’il en présente
toutes les caractéristiques formelles, il s’agit en réalité
d’une pure fiction car l’île de Mingher n’a jamais existé et
les événement qui s’y déroulent pas davantage. Il s’en dégage
pourtant une impression de véracité tant le travail d’Orhan Pamuk
paraît crédible et documenté (la narratrice se présente comme une
historienne se basant sur des sources de première main). Il
n’empêche que le contexte a tout de même quelques fondements
historiques, puisqu’il est adossé à la chute de l’empire
ottoman.</p>
<p style="text-align: justify;"><br />
</p>
<p style="text-align: justify;">En ce début de XXième siècle, une épidémie de peste se
déclare sur l’île de Mingher, perle de la Méditerranée
orientale, notamment connue pour la culture de ses roses. Le sultan
Abduhlamid II, dépêche donc sur place l’un de ses meilleurs
virologues, Bonkowski Pacha, qui tente de convaincre le gouverneur de
mettre en place des mesures drastiques afin d’endiguer l’épidémie.
Las, personne sur l’île ne semble prendre la mesure de la gravité
de la situation, l’administration temporise, la communauté
musulmane crie au complot et la minorité chrétienne, plus
aisée, tente déjà par tous les moyens de fuir l’île. La
situation devient d’autant plus intenable que la quarantaine est
renforcée par un blocus exercé par plusieurs destroyers de guerre
occidentaux, effrayés à l’idée que la peste se propage en
Europe. Sur l’île, la situation devient hors de contrôle et les
morts se multiplient, notamment dans les quartiers de la principale
ville. Mais la situation se complique davantage encore lorsque
l’envoyé spécial du Sultan est victime d’un assassinat. Les
autorités doivent se rendre à l’évidence, la population est au
bord de la rébellion et il faudra mener finement la lutte contre
l’épidémie pour ne pas susciter de révolte. Pour apaiser les
tensions, deux personnages de haut rang sont dépêchés sur place,
la princesse Pakizê, nièce du sultan, et son mari, médecin
spécialisé dans la lutte contre les épidémies. C’est notamment
à travers les yeux de Pakizê, dont la correspondance abondante sera
mise au jour, scrutée, analysée et commentée par sa petite fille
(qui se présente comme la rédactrice du livre), que les événements
seront relatés.</p>
<p style="text-align: justify;"><br />
Roman d’une très grande maîtrise narrative, Les nuits de
la peste pourra sans doute dérouter les lecteurs d’Orhan Pamuk qui
ne connaîtraient qu’une seule de ses facettes, celle du conteur
hors pair. Dans ce roman choral, le récit se montre plus formel,
prend de la hauteur et une certaine distance avec les personnages,
pour les étudier en tant qu’objets d’Histoire. Ce qui intéresse
Orhan Pamuk, c’est indiscutablement d’observer la chute de
l’empire ottoman à travers le prisme de cette île fictive, qui
n’est autre qu’une allégorie de la société turque et dont les
structures socio-politiques, voire économiques, sont en grande
partie déliquescentes. L’empire se meurt et le pouvoir du Sultan
sur ses vastes territoires se délite à mesure que l’Occident
accroît ses propres possessions territoriales en Afrique du Nord et
au Proche Orient. L’unité de l’empire se fissure et des
dissensions importantes entre les différentes communautés se
ravivent, notamment entre chrétiens orthodoxes et musulmans. Pris en
tenaille entre différentes velléités impérialistes (Français,
Anglais, mais aussi Russes), le sultan, conscient du danger mais
quasiment impuissant, tente de sauver les derniers lambeaux d’un
empire sur le point de s’effondrer. Toutes ces tensions agitent
bien évidemment Mingher et entrent en résonance, donnant au lecteur
un aperçu sans doute assez réaliste de cette époque troublée.
Reste que l’ensemble, bien que passionnant, souffre parfois de
quelques longueurs, qui ne doivent cependant pas masquer la grande
maîtrise formelle de ce roman, admirable sur bien des points et qui
n’est pas sans rappeler un certain T.E. Lawrence.
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com8tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-73031917003005298802022-07-06T11:20:00.002+00:002022-07-06T11:20:37.574+00:00la science en marche : Fouloscopie, de Mehdi Moussaïd<p> </p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">
</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://www.scienceshumaines.com/images/Fouloscopie.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="341" height="500" src="https://www.scienceshumaines.com/images/Fouloscopie.jpg" width="341" /></a></div><br />Savez-vous que la foule s'organise spontanément à la manière d'une
fourmilière ou d'une termitière ? Qu'elle est capable de deviner le
poids d'un boeuf au kilogramme près ? Qu'elle peut écrire une
encyclopédie ?<p></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">Mais qu'elle peut
aussi devenir meurtrière ou indifférente à la souffrance,
provoquer des mouvements de panique injustifiés et incontrôlables ?</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">C'est tout ce que
nous apprend Mehdi Moussaïd dans son livre <i>Ce que la foule dit de
nous</i><span style="font-style: normal;">, un remarquable livre de
vulgarisation scientifique à bien des égards.</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-style: normal;">Mehdi
Moussaïd est donc officiellement éthologue, spécialisé dans
l'étude des foules, profession que Marion Monta</span><span style="font-style: normal;">i</span><span style="font-style: normal;">gne,
autre remarquable vulgarisatrice, autrice de </span><i><a href="https://bloggerinfabula.blogspot.com/2019/06/dans-la-combi-de-thomas-pesquet-de.html">Dans la combi de Thomas Pesquet</a> </i><span style="font-style: normal;">et de la série
<i><a href="https://www.arte.tv/fr/videos/RC-014384/tu-mourras-moins-bete/">Tu mourras moins bête</a> </i>avec le </span>Professeur Moustache<span style="font-style: normal;">,
a rebaptisé espièglement <b>foulologue</b>.</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-style: normal;">Notre
chercheur étudie les attroupements et les déplacements d'homo
sapiens en milieu urbain, prenant exemple sur ses collègues
éthologues des autres espèces (ichtyologues, ovinologues,
termitologues, </span><span style="font-style: normal;">myrmé</span><span style="font-style: normal;">cologues</span><span style="font-style: normal;">...),
interrogeant sociologues, psychologues, physiciens (à particules),
mathématiciens (tendance statistiques et réseaux</span><span style="font-style: normal;">)</span><span style="font-style: normal;">,
épidémiologistes, et bien d'autres, il essaie de décrire et de
comprendre nos réactions quand nous sommes en foule.</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-style: normal;">Ce
qui a l'air d'être de la recherche pure se révèle parfois vitale.
Car quatre accidents mortels arrivent chaque année</span><span style="font-style: normal;">
en moyenne</span><span style="font-style: normal;"> à cause de
mouvements de foules incontrôlées lors de rassemblements religieux,
sportifs ou festifs essentiellement, qui peuvent faire des dizaines,
voire des centaines de morts en quelques minutes. </span>
</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-style: normal;">I</span><span style="font-style: normal;">l
existe des techniques et des méthodes pour éviter certains
mouvements de panique ou au contraire une inertie dangereuse, le tout
étant de les appliquer au bon moment, ni trop tôt, ni trop tard. </span><span style="font-style: normal;">Et</span><span style="font-style: normal;">
expliquer les déplacements d'homo sapiens, c'est aussi comprendre
comment les épidémie</span><span style="font-style: normal;">s</span><span style="font-style: normal;">,
ré</span><span style="font-style: normal;">elles ou virtuelles, se
</span><span style="font-style: normal;">propagent</span><span style="font-style: normal;">
à travers le monde ou internet.</span></p>
<p style="font-style: normal; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="font-style: normal; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">Mais
la science ne se fait pas toute seule, et à travers l'étude de son
sujet, notre auteur décrit avec humour les grandeurs et les avanies
du métier de chercheur, les hypothèses à formuler, les protocoles
d'expériences à élaborer, les données à extraire, les résultats
à analyser, les publications à faire valider. La recherche est un
long parcours du combattant, dont les résultats sont sans cesse
remis en cause par les avancées de la science, de toutes les
sciences !</p>
<p style="font-style: normal; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p style="font-style: normal; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">Écrit
dans une langue claire, émaillé d'anecdotes savoureuses ou
tragiques, ce petit livre de deux cents pages allie rigueur et
humour, et offre une synthèse très accessible à tous sur un sujet dont
nous sommes les principaux acteurs quotidiens. C'est une lecture très
agréable et une ouverture sur la science comme on aimerait en lire
plus souvent !</p>
Valérie Mottuhttp://www.blogger.com/profile/02593743808220673303noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-38627855476806242872022-06-25T09:56:00.006+00:002022-06-25T09:56:59.496+00:00Fantasy livresque : Magus of the Library, de Mitsu Izumi<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://www.ki-oon.com/medias/jaquette/image-1548257830.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="304" data-original-width="220" height="304" src="http://www.ki-oon.com/medias/jaquette/image-1548257830.png" width="220" /></a></div><br /><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">D'abord il y a le dessin : une pure merveille de détails et de
finesse et un amour éclatant des costumes dans une mise en page
soignée. Tout cela attire l’œil...</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Ensuite, on découvre
l'histoire : ça parle de livres, de libraires et de bibliothécaires
dans un univers fantasy complexe fait de nombreuses ethnies aux
coutumes et aux costumes variés.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Que demander de plus
pour se lancer dans la série ?</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">C'est donc
l'histoire d'un petit garçon très pauvre, métis de deux peuples
qui se sont rageusement fait la guerre pendant des années. Sa sœur
se prive pour l'envoyer à l'école où il se fait brimer, et depuis
qu'il a appris à lire, il adore les romans. Mais le bibliothécaire
du village refuse qu'il fréquente la bibliothèque municipale au
prétexte que tous les pauvres sont des voleurs et des abimeurs de
livres. Heureusement, il a des amis : la fille du bibliothécaire qui
a son âge et avec laquelle il partage ses enthousiasmes littéraires,
et une magnifique créature mi lion-mi licorne réputée trop sauvage
pour être apprivoisée.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Un jour arrive
quatre inspectrices de la bibliothèque centrale, et son destin va
s'en trouver bouleversé. Suite à cette rencontre pleine de
péripéties, et après avoir sauvé la bibliothèque du feu, il
devient quasiment la mascotte du village et va s'entraîner pour
passer le redoutable concours de kahuna, ainsi qu'on appelle les
gardiens des livres de la bibliothèque centrale, le lieu de tous les
savoirs, mais aussi la garante de la paix entre les peuples.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Au fil de son voyage
et de son apprentissage, il va bien entendu découvrir le monde et se
faire plein d'amis étonnants, avec chacun une personnalité bien
trempée.</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Pour construire son
univers, l'auteur puise à toutes les sources, mélangeant
allègrement les peuples et les coutumes de nos bonnes vieilles
civilisations pour créer son univers, avec un faible pour les noms
de peuples amérindiens, les costumes exotiques et les arrière-plans
du théâtre indonésien. Il construit son histoire comme un livre
d'aventures, tout en découvertes et en exploration, avec de la magie
de temps en temps !</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Et comme les Kahunas
portent des valeurs d'entraide, de travail, de sérieux et d'amour de
la lecture, je l'ai placé dans les mains de mes collégiens.
Résultat : les cinq tomes actuels ne reposent pas plus d'une journée
sur l'étagère avant d'être empruntés. Le succès a été
fulgurant. Un de mes grands lecteurs de mangas m'a dit d'un air
extatique : "c'est un livre qui parle de livres, c'est de la
lecture au carré !!!".</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">C'est pour le moins
un univers qu'on lâche à regret, en attendant la suite des cinq
premiers tomes parus avec impatience, en espérant ne pas tomber sur
des voleurs de livres...</p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">Ah, et j'allais
oublier, cerise sur le gâteau : il y a des dragons (enfin, un pour
le moment) ! Tout pour plaire !</p>
Valérie Mottuhttp://www.blogger.com/profile/02593743808220673303noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-9024605952630522773.post-62275787049064036352022-06-21T09:05:00.003+00:002022-06-21T09:06:03.058+00:00Fantasy slave : Déracinée, de Naomi Novik<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgx9dapA9UkA0LF45qSYbVodSW515BXK_iB2rQG0TOUTPvmwsoJwkdC4PmJOVV5xq0IuXk9aK3J49a2alPvQV5nGk7Fsf8y7q4ZpmGI5NZL7KVrohiBW0PxTO3eeFbBd0fNVjf45w1a-azLkrPsinZqEtYuPhkUJl58gllb1TjiwbYfNU2chnjn7JPV/s350/deracinee.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="350" data-original-width="216" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgx9dapA9UkA0LF45qSYbVodSW515BXK_iB2rQG0TOUTPvmwsoJwkdC4PmJOVV5xq0IuXk9aK3J49a2alPvQV5nGk7Fsf8y7q4ZpmGI5NZL7KVrohiBW0PxTO3eeFbBd0fNVjf45w1a-azLkrPsinZqEtYuPhkUJl58gllb1TjiwbYfNU2chnjn7JPV/s320/deracinee.jpg" width="197" /></a></div>
<p></p><p style="text-align: justify;">Avouez que, comme moi, vous n’auriez pas automatiquement associé
culture slave et fantasy. Oh, bien entendu, un certain Andrzej
Sapkowski a mis à l’honneur la fantasy polonaise grâce au succès
assez phénoménal de The Witcher, mais d’aucun considérait cette
réussite comme un épiphénomène. Il faut bien reconnaître que je
m’étais indiscutablement fourvoyé, voire, carrément, introduit
l’index dans la cavité orbitaire. Non seulement c’est très
douloureux, mais en plus c’est beaucoup moins pratique pour lire.
Heureusement, le hasard fait parfois bien les choses et en traînant
dans les rayons d’une surface culturelle, je tombe sur deux livres
de poche à la couverture intrigante, rappelant les codes graphiques
du folklore des pays d’Europe centrale. Ce qui n’est pas courant
en fantasy, où les couvertures sont souvent inspirées par une
heroic fantasy largement influencée par le bestiaire de D&D (ok
ok, je schématise). Evidemment, les origines de l’auteure (Naomi
Novik est américaine, mais d’origine polonaise et lituanienne) n’y
sont sans doute pas étrangères et il faut bien avouer que le
mélange a quelque chose d’incroyablement rafraîchissant.</p>
<p style="text-align: left;"><br />
<br />
</p>
<p style="text-align: justify;">Publié en 2017, <i><b>Déracinée </b></i>est un roman d’environ cinq cents
pages, dont la qualité première est de se suffire à
lui-même. En débutant sa lecture, vous êtes assuré de ne pas vous
aventurer dans une énième trilogie de trois mille pages (voire
davantage). Ce qui prouve à ceux qui affirment sans cesse que la
fantasy a besoin de longues phases d’introduction pour poser les
enjeux d’un nouvel univers, qu’il s’agit d’une facilité dont
usent ceux qui n’ont en réalité que peu d’imagination en
matière de construction narrative. Naomi Novik s’affranchit
allègrement de toutes ces ficelles éculées et plonge le lecteur
immédiatement dans son univers ; à lui par la suite d’en
reconstituer patiemment les enjeux, en récoltant les indices
disséminés par l’auteur au fil de son récit. Situé à
l’orée d’un bois maléfique, le petit village de Dvernik est
soumis à une étonnante tradition. Tous les dix ans, une jeune fille
est choisie par le Dragon, un puissant magicien chargé de veiller
sur la région et de juguler le pouvoir d’une forêt maléfique. La
jeune Agnieszka fait partie des jeunes filles susceptibles d’être
choisies, mais cette éventualité ne semble guère la préoccuper
car le mage choisit immanquablement le plus jolie et la plus apprêtée
des candidates en lice…. et sur ce terrain, Agnieszka n’est pas
vraiment la plus à même de l’emporter. Dotée d’un visage sans
grâce et d’une gaucherie légendaire, la jeune fille ne s’inquiète
guère d’être une hypothétique “heureuse élue”, persuadée
que cette place sera dévolue à sa meilleure amie, à la chevelure
dorée et au visage angélique. Mais le jour de la cérémonie du
choix, rien ne se passe comme prévu et contre toute attente, c’est
Agnieszka qui est désignée par le mage. Commence alors pour elle,
un long apprentissage pour révéler et développer son don latent
pour la magie. Un pouvoir qu’elle ne soupçonnait pas, mais que le
Dragon a immédiatement perçu en elle. </p>
<p style="text-align: justify;"><br />
<br />
</p>
<p style="text-align: justify;">La grande originalité du roman, en dehors du fait qu’il
s’inspire avec un certain talent du folklore slave/balte, c’est
qu’il prend le contre-pied de bon nombre de romans d’apprentissage
classiques. Le schéma éculé du Grand Maître plein de sagesse
prenant sous son aile paternelle une jeune apprentie au
potentiel considérable mais inexploité a vécu. Naomi Novik
le bat en brèche dès les premières pages. Rien ne correspond aux
patterns habituels. Agnieszka n’est ni jolie ni particulièrement
douée (tout du moins dans son apprentissage initial), elle est tête
en l’air, désordonnée, maladroite et souvent butée, sa relation
avec le Dragon est la plupart du temps conflictuelle en raison de son
caractère quelque peu borné. Et pourtant cela fonctionne. Le roman
de l’écrivaine américaine prend un malin plaisir à contourner
les codes du genre tout en respectant l’essence même de ce qui
fait tout le charme de la fantasy : le merveilleux. Avec un ton
proche du conte, Naomi Novik nous plonge dans un univers féérique,
à la fois familier et étonnant. Certes, on reste en territoire
connu, on y croise des magiciens et des sorcières, des animaux
fantasmatiques, des reines et des rois…. mais même la magie a
quelque chose d’inhabituel. L’auteure oppose ici deux formes de
magie, l’une très académique, repose sur des formules complexes
nécessitant beaucoup de rigueur et d’entraînement, la seconde,
relève davantage du ressenti, de l’instinct et de la pulsion
primaire… et c’est celle qu’Agnieszka pratique naturellement,
au grand désespoir de son maître. Cette opposition de style est au
coeur de la dynamique de la relation entre le Dragon et son élève,
elle la complexifie et la rend moins verticale (oserais-je dire moins
conservatrice). Le maître apprend ici autant que son élève, chacun
se nourrit du savoir et de l’expérience de l’autre, et le moins
que l’on puisse dire c’est que dans le domaine de la fantasy cela
n’a rien de courant. </p>
<p style="text-align: justify;"><br />
Alors certes, tout n’est pas parfait, on n’échappe pas
totalement à quelques clichés et autres personnages stéréotypés,
mais l’ensemble reste très rafraîchissant, original sur de
nombreux points et indiscutablement très prenant. Sincèrement, j’ai
été tellement convaincu par la plume de Naomi Novik, que j’ai
immédiatement enchaîné sur La fileuse d’argent, que je vous
recommande encore plus chaudement et qui plonge bien plus amplement
dans les racines de la culture slave.
</p>
Emmanuelhttp://www.blogger.com/profile/16561383793908587486noreply@blogger.com7