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dimanche 1 mars 2020

Big Jim en mode mineur : Une Odyssée Américaine, de Jim Harrison


Il y a deux types de lecteurs de roadbooks, ceux qui adulent Sur la route de Jack Kerouac et puis ceux qui n’ont jamais réussi à rentrer dans ce récit ou qui n’en ont jamais compris l’intérêt. Etant donné que je me situe dans la première catégorie, vous êtes prévenu. Une odyssée américaine est l’un des derniers romans de feu Jim Harrison et se veut un hommage plus ou moins revendiqué à l’oeuvre majeure de Jack Kerouac, mais les similitudes restent relativement limitées puisque Sur la route était une oeuvre contestataire, en rupture avec la société de l’époque, symptomatique d’une jeunesse en manque d’émancipation et de liberté. Le roman de Big Jim se veut plus modeste et propose un contrepoint à la vitalité séminale de Kerouac, une sorte de roadbook désabusé et fatigué, dans lequel un fermier à la retraite, plaqué par sa femme en manque de nouveauté, décide de partir à l’aventure et de redessiner la carte du grand ouest américain. 



A 62 ans, Cliff se retrouve du jour au lendemain à la rue. Après une courte carrière d’enseignant, puis un travail harassant de fermier, sa femme lui réclame le divorce pour vivre une aventure avec un sémillant quinquagénaire. Lui qui avait passé plus de quarante ans à s’occuper de ses vergers de cerisiers et à élever quelques bêtes, n’a plus qu’à plier bagages dans sa vieille Ford Taurus affichant ses 300 000 km, avec quelques fringues défraîchies et ses fidèles cannes à pêche. De toute façon sa femme a vendu leur ferme et sa vieille chienne est morte, qu’est-ce qui pourrait bien le retenir dans le Michigan ? Cliff décide donc de partir à San Francisco (tiens, Kerouac a dû passer par là) rendre visite à son fils, mais comme il souffre d’une peur-panique de l’avion, il lui faudra traverser les trois quarts des Etats-Unis en voiture, ce qui ne semble guère le déranger car sur son trajet il a prévu de traverser des états réputés pour leurs contrées sauvages et leurs rivières poissonneuses, de quoi satisfaire sa passion pour la pêche à la mouche. Au passage il en profitera pour rendre une petite visite à un vieil ami dans l’Arizona. Mais c’était sans compter sur une ancienne élèves de terminale, désormais quadragénaire sexy et délaissée, qui, apprenant son périple, décide de l’accompagner durant une partie de son voyage. Commence alors une errance à travers le grand ouest américain, qui permet à Cliff de rattraper des années de fantasmes sexuels et de s’adonner à une oisive insouciance. 



Ceux qui connaissent Jim Harrison savent bien évidemment que dans ce roman ils trouveront nombre d’ingrédients qui ont fait le succès de l’écrivain américain : évocation des grands espaces sauvages, personnages perdus et solitaires, récit souvent introspectif et en décalage par rapport aux aspirations du commun des mortels, mais aussi un certain refus de la société moderne, de son rythme infernal et de sa bêtise crasse. Jim Harrison c’est l’anti american way of life ; rien dans ce que l’Amérique construit et prône depuis des décennies ne semble l’intéresser. On pourrait à tort prêter à l’auteur des aspirations misanthropes, et il y aurait sans doute un petit fond de vérité, mais en réalité Big Jim se fiche tout simplement de ce qui fait tourner le monde moderne et il n’est pas étonnant que ses personnages les plus réussis soient souvent des marginaux, des écorchés de la vie en rupture plus ou moins volontaire avec le reste du monde. Et Cliff ne déroge pas à la règle, il se fout éperdument des conventions sociales, se moque de l’économie et de l’argent de manière générale et n’aspire qu’à un peu de tranquillité. Une bonne bière après une rude journée de travail manuel, une partie de pêche à la truite, un repas préparé avec amour et partagé en bonne compagnie, une partie de jambes en l’air… voilà en apparence ses seules aspirations. On pourrait trouver le bonhomme un brin austère, sauf que l’on a affaire un homme cultivé, admirateur de Thoreau, Emerson et Whitman, un homme empreint de poésie, qui porte un regard à la fois naïf et décalé sur le monde qui l’entoure, comme si le comportement de ses congénères ne cessait chaque jour de l’étonner. Oui, le regard de Cliff est à la fois totalement désabusé et complètement neuf et c’est sans doute ce décalage qui fait tout le charme du personnage. 



Le roman est par ailleurs servi par un style très oral (à la manière de Jack Kerouac), même si on est loin de la puissance et de l’énergie séminale de Sur la route. Le rythme est ici plus tranquille, plus nostalgique et donc nettement plus en phase avec le récit d’un homme qui s’apprête à entamer la dernière partie de sa vie. Une odyssée américaine n’est sans doute pas le roman le plus réussi de Big Jim, mais il est empreint d’une philosophie épicurienne pleine de générosité et de volupté, qui ne laisse pas indifférent pour peu que l’on arrive à dépasser sa crudité et son cynisme de façade, pour se laisser gagner par sa douce mélancolie.

6 commentaires:

Carmen a dit…

Connaissais pas celui là; même avec les mêmes ingrédients Jim Harrison arrive encore
à nous régaler, semble t'il. Je prends.

Emmanuel a dit…

Ben faut dire qu'il a de très bonnes recettes !

Carmen a dit…

Oui ce sont ses recettes de vie,pimentées certes.j'ai bien aimé.

Emmanuel a dit…

Je crois n'avoir jamais été déçu par Big Jim :-)

Carmen a dit…

Peut-être auras-tu l'occasion de t'y repencher un jour car il revient régulièrement sur ton blog,ce qui n'est pas pour me déplaire.

Emmanuel a dit…

Certainement, il m'en reste deux ou trois à lire dans ma bibliothèque, dont son premier roman, Wolf.