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lundi 1 octobre 2018

Cold case : Le dernier Lapon, d'Olivier Truc

“Moi j’aime pas le froid”, comme disait ma fille de deux ans lorsqu’on la menaçait de la priver de glace (oui, comme tous ces parents cruels qui obligent leurs enfants à manger des légumes, il faut parfois user de méthodes coercitives pas franchement reluisantes). Bon ben son père c’est pareil, il n’aime pas le froid, mais alors pas du tout. Par contre il aime la glace. Bref, vous l’aurez compris, les contrées nordiques ne m’ont jamais réellement attiré, non pas que les paysages du Grand Nord ne possèdent aucun charme, loin de là, mais je préfère les admirer sur carte postale plutôt qu’en vrai, les pieds bien au chaud. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais cédé à la mode des polars venus du froid qui sévit depuis quelques années dans le milieu de l’édition, je crois même n’en avoir jamais lu aucun jusqu’à ce jour. C’est mal d’avoir des préjugés, oui c’est vrai, c’est la raison pour laquelle je vais dire du bien du livre d’Olivier Truc, qui pour le coup n’est pas vraiment scandinave, même s’il vit en Suède où il occupe la fonction de correspondant pour Le Monde.

Pour les incultes comme votre serviteur, la Laponie est un territoire d’Europe du Nord situé à cheval sur plusieurs pays (Norvège, Suède, Finlande et même une petite part de Russie) et à l’origine peuplé par les Samis (nous éviterons d’user du terme Lapons, issu du Suédois et péjoratif puisqu’à l’origine il signifiait “Porteurs de haillons”), qui furent colonisés par nos amis vikings à partir du XIIème siècle. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, la Laponie n’est pas seulement le pays du Père Noël, du steak de renne et des aurores boréales, mais une région à l’histoire complexe, dotée de structures politiques et administratives d’exception, destinées à reconnaître le statut, la culture et le mode de vie du peuple Sami. Ces exceptions concernent surtout des droits de pêche et de chasse, des droits de passage destinés à l’élevage des rennes, des frontières plus souples entre les différents pays qui se partagent la Laponie et une police particulière, transnationale, appelée “Police des rennes” et chargée de veiller à la bonne entente entre les différents éleveurs d’une région où près de 150 000 têtes de bétail (des rennes, hein, pas des vaches ou des moutons) se disputent une nourriture peu abondante en hiver. Ce particularisme peut faire sourire, mais l’élevage reste la principale ressource économique de la région ( riche en ressources naturelles, mais très protégée) et un élément fondamental de la culture sami. Les conditions climatiques peuvent parfois devenir compliquées et exacerber les tensions dans une communauté non violente par essence (le mot guerre n’existe pas en sami), mais où les esprits peuvent tout de même s’échauffer.

Klemet est d’origine Sami, membre expérimenté de la police des rennes, il parcourt des centaines de kilomètres sur sa motoneige à travers les steppes glacées en compagnie de sa jeune coéquipière, Nina, à qui il enseigne les bases du métier. Observation et préservation de la nature, visites auprès des éleveurs, parfois très isolés, surveillance des zones de pâturage… leurs missions sont nombreuses et capitales dans cette région, même si elle fait sourire certains de leurs homologues de la police de Kautokeino, leur base de rattachement. Mais leur routine quotidienne est subitement bouleversée par deux affaires d’importance, la première concerne le vol d’un tambour cérémoniel sami, récent don au musée de Kautokeino. La seconde n’est autre que le meurtre d’un éleveur de rennes, à qui les deux policiers avaient très récemment rendu visite. Associés, mais seulement à la marge, à ces deux enquêtes, Klemet et Nina sont persuadés que les deux affaires sont liés et que l’enquêteur principal fait fausse route. Mais les autorités mettent la pression sur les membres de la police locale car une conférence de l’ONU se tiendra très prochainement dans la région et l’enquête du tambour volé doit être résolue avant que les projecteurs ne se tournent vers la Laponie.

Avare en action débridée, ce qui me convient très bien, Le dernier Lapon compense largement ce menu défaut par une ambiance vraiment prenante, à la fois calme, pesante et un brin hors du temps. L’auteur ne cherche en aucune manière à impressionner son lectorat, à lui en mettre plein la vue à chaque page, mais s’attache au contraire à retranscrire avec simplicité et authenticité cet univers de glace et de nuit (le roman se déroule à la toute fin de l’hiver polaire, alors que le soleil réapparaît après plusieurs semaines d’absence). Il s’attache à décrire avec force détails et un grand sens du réalisme le mode de vie des hommes et des femmes qui peuplent cette région, leurs coutumes et leurs traditions, les relations entre les différentes populations et leurs éventuelles frictions, héritées parfois d’un lointain passé. Celui-ci ressurgit d’ailleurs à de multiples reprises et n’est pas sans rappeler l’histoire complexe des peuples amérindiens colonisés par les européens (on pourrait d’ailleurs facilement effectuer des rapprochements avec les romans de Tony Hillerman). L’enquête en elle-même, sans être foncièrement trépidante, est assez bien menée, sans violence (ou presque) et sans coup de feu, ce qui a tout de même le mérite d’être assez rare. Au cas où vous chercheriez des super-flics, des as de la déduction géniale doublés de champions de la gâchette, je vous conseillerais plutôt de vous diriger sur d’autres types de polar car les ressorts de celui-ci reposent sur d’autres arguments.

12 commentaires:

Soleil vert a dit…

Pardon pour ce commentaire hors propos, mais cette histoire de rennes me rappelle le jour ou Emmanuelle Cosse avait pris la tête des Verts. Un illettré de la TNT (BFM TV ou I-télé) avait titré :

E.COSSE PREND LES RENNES


Je leur avais écrit : rendez les à la Laponie !

Emmanuel a dit…

Excellent, ça vaut bien les cartographies hasardeuses de CNN et consort.

Carmen a dit…

Je ne voudrais pas monopoliser votre blog?.. mais dans un article de Luis Sépulveda (écrivain chilien grand défenseur de l'Amazonie)j'avais lu qu'il comparait le sort des Lapons éxpropriés de leur terre à celui des Indiens..Les éleveurs de rennes sont de moins en moins nombreux mais leur culture ancestrale reste liée a ces animaux.

Emmanuel a dit…

Oui, cela rejoint le parallèle que j'effectue avec les peuples indiens d'Amérique du Nord a la fin de mon article.
Et ne vous inquiétez pas, vous ne monopolisez rien, ce blog est avant tout un lieu d'échange, alors merci pour vos interventions toujours pertinentes.

Carmen a dit…

Ok merci,me voila rassurée(rires).Disons que j'ai découvert des écrivains que je ne connaissais pas par votre blog et que je recommande par ailleurs.

Emmanuel a dit…

Mais c'est le but de ce blog, sa ligne éditoriale pourrait-on dire. Je n'écris pas systématiquement de billets sur tous les livres que je lis (ça me ferait trop de boulot), je fais des choix pour essayer de mettre en lumière des auteurs ou des livres qui ne sont, à mon sens, pas suffisamment reconnus. Bon après, je ne me fais pas d'illusions, je ne prétends pas réussir à remplir parfaitement ces objectifs pour le moins ambitieux et je ne suis qu'une goutte d'eau dans l'immensité du web.

Carmen a dit…

Moi je trouve matiere à satisfaire mes envies de lecture chez vous,ayant des gouts tres écclectiques,meme si je ne lis pas tout.
Pour revenir a la Laponie,moi non plus je n'aime pas le froid ,mais on espere que les Lapons souffleront longtemps sur les braises pour que la chaleur de leur culture
reste longtemps vivante.

Emmanuel a dit…

C'est joliment dit !

Carmen a dit…

Merci,mais j'ai pas trop de mérite,Sépulveda qui traitait du sujet m'avait inspirée.

Carmen a dit…

Bonne fin d'année! non pas depuis le pays des rennes mais depuis ..La citée Phocéenne; ce qui est pas mal non plus. Bonnes lectures.

Emmanuel a dit…

Merci beaucoup, bonnes fêtes également... depuis les montagnes pas très enneigées des Pyrénées.

Carmen a dit…

Merci.C'est sympa les Pyrénées meme sans la neige.