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samedi 15 septembre 2018

Le mystère Henri Pick, de David Foenkinos

Rarement ces dernières années un auteur aura autant déchaîné les passions que David Foenkinos. Adulé par les uns, détesté par les autres, descendu en flamme par une partie de la critique… on lit et on entend dire tout et son contraire sur cet auteur qui, il est vrai, vend beaucoup ; ce qui en France est, comme chacun le sait, éminemment suspect. A titre personnel, je me fiche pas mal qu’un auteur vende des tombereaux d’exemplaires de ses romans, pourvu qu’ils soient bons, même si parfois je regrette que certains auteurs très talentueux ne trouvent pas leur place auprès des lecteurs. Mais il faut dire que la critique a parfois une vision trop romanesque du marché du livre, comme s’il fallait forcément être un écrivain maudit pour mériter le respect et entrer dans la légende. Alors Foenkinos est-il à classer parmi les Marc Levy et autres Guillaume Musso et, auquel cas, faut-il comme certains ne manquent pas de le faire, le brûler en place publique ?



Autant mettre les choses au point, Le mystère Henri Pick n’est que le second roman de l’auteur que j’ai eu entre les mains. Le précédent, Charlotte, m’avait en grande partie séduit, par sa prise de risque (le sujet n’avait rien d’évident), par son écriture (sobre et dépouillée, malgré quelques tics un peu gênants) et par l’attachement que l’auteur semblait éprouver à l’égard du personnage principal, Charlotte Salomon (peintre d’origine juive morte pendant la déportation). Alors quand deux de vos plus proches amies vous glissent le livre entre les mains et vous le recommandent chaudement, il paraît difficile de résister à l’envie d’en savoir un peu plus sur le mystère Foenkinos.



Le roman se veut au départ assez léger et mystérieux. En Bretagne, à Crozon, un bibliothécaire un brin farfelu s’est pris de passion pour les auteurs atteints de disgrâce  et entreprend d'accueillir dans sa bibliothèque tous les manuscrits refusés par les éditeurs (une idée directement inspirée par Richard Brautigan, éminent représentant de la beat generation, qui ouvrit dans le Vermont une bibliothèque fonctionnant sur ce principe). L’idée fait sourire et la bibliothèque de Crozon acquiert une petite notoriété, avant que l’attrait de la nouveauté ne disparaisse et qu’elle ne retombe dans un confortable anonymat. Mais les auteurs oubliés ont continué à affluer, faisant de Crozon le temple des manuscrits jamais publiés, jusqu’au jour où une jeune éditrice y découvre semble-t-il un chef d’oeuvre passé inaperçu, une pépite qu’elle projette désormais de publier. Mais un mystère demeure, qui est Henri Pick, l’auteur parfaitement inconnu qui se cache derrière ce chef-d’oeuvre ? Delphine, l’éditrice, et son compagnon partent donc sur une piste cousue de fils blancs, qui les mène tout droit sur les traces d’un pizzaiolo du cru, un brave homme décédé depuis deux ans et qui selon sa veuve n’ouvrit jamais un seul livre de son vivant. Mais comment un homme, certes gentil mais un poil bourru, peut-il être à l’origine d’un roman d’amour aussi fin et sensible, imprégné par la poésie de Pouchkine et magnifié par le destin de sa fin tragique ? C’est un mystère que Delphine et sa maison d’édition espèrent bien exploiter afin d’assurer le succès du livre, avec un sens du marketing qui n’a d’égal que le flair et le talent qu’elle déploie pour dénicher les nouveaux talents.


Léger et enlevé, le roman de David Foenkinos n’est pas dénué de profondeur lorsqu’il se penche sur les sentiments qui tourmentent ses personnages ; car au creux de ce mystère se cache une très belle histoire d’amour que les premiers lecteurs d’Henri Pick imaginent forcément autobiographique. En réalité c’est tout le roman de Foenkinos qui est littéralement irrigué par le sentiment amoureux, celui qui unit indéfectiblement Delphine et son compagnon écrivain, celui qui se délite entre l’assistante bibliothécaire et son mari fatigué par les années passées à l’usine, celui qui fut irrémédiablement contrarié entre l’ancien bibliothécaire et une jeune Allemande quelques années après la seconde guerre mondiale…. Foenkinos se penche sur ces destins amoureux, d’une manière à la fois légère et délicate, mais avec la gravité nécessaire pour que le lecteur se laisse emporter par le flux d’émotions. Et la recette de l’auteur fonctionne vraiment bien, avec ce savant mélange de sentimentalisme un peu fleur bleue (mais pas niais contrairement à ce que j’ai pu lire), agrémenté d’un soupçon de mystère et d’une pointe de critique lorsqu’il évoque le cynisme qui semble propre au monde de l’édition. Chaque personnage est délicieusement campé, touchant et profondément humain, avec cette simplicité qui, semble-t-il, caractérise la plume de David Foenkinos. On pourra certes regretter que la critique reste un tantinet superficielle ou que la réflexion sur la condition d'écrivain  ne soit que trop brièvement évoquée, mais en définitive cela n’empêche en rien Le mystère Henri Pick d’être une petite pépite de douceur qui fait du bien à l’âme. Et qu’importe s’il vous tire une larme un peu facile, vous aurez bien un carré de tissus pour effacer délicatement cette petite perle salée qui fait briller intensément le regard et fondre les coeurs.
Autrement dit, laissez-vous un peu aller bordel, on ne peut pas tous les jours lire du Dos Passos ou du Dostoievski.

2 commentaires:

Carmen a dit…

Vous avez raison D FOENKINOS est souvent vilipendé, mais j'avais bien aimé "Les souvenirs"du meme auteur où il rend un vibrant hommage à sa grand mère.
On ne dit jamais assez aux gens qu'on les aime de leur vivant.

Emmanuel a dit…

1000 fois oui, c'est une contradiction qui m'a toujours étonné. Drôle de monde où les gens qui s'aiment n'osent pas témoigner leur attachement avant les derniers instants.