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lundi 7 mai 2018

Littérature égyptienne : La belle du Caire, de Naguib Mahfouz

Prix Nobel de littérature 1988, décédé en 2006 à l’âge plus que respectable de 94 ans, Naguib Mahfouz est l’auteur d’une oeuvre considérable. Au cours de sa carrière, l’écrivain cairote a publié plus de 50 romans et recueils de nouvelles, observant avec beaucoup d’acuité et d’intelligence les évolutions de la société égyptienne au cours du XXème siècle. Mahfouz fut donc un témoin privilégié de son temps aux convictions politiques fortes (libérales, mais au sens premier du terme), qu’il exprima dans sa littérature aussi bien qu’à travers ses prises de positions publiques, ce qui lui valut quelques ennuis dans le monde arabe où il fut censuré, ainsi qu’une tentative d’assassinat à laquelle il échappa par miracle en 1994 (par deux jeunes extrémistes qui avouèrent ne pas avoir lu une seule ligne de son oeuvre). Mahfouz fut le premier écrivain arabe à recevoir le prix Nobel de littérature, ce qui lui ouvrit bien évidemment les portes du marché mondial.


C’est donc sur les conseils éclairés de l’ami Soleilvert (insérer le lien vers le blog) que j’ai entrepris de me plonger dans l’oeuvre de Naguib Mahfouz, en commençant tout d’abord par un très bon recueil de nouvelles, Le monde de Dieu, que je ne chroniquerai pas sur ce blog, hélas, étant bien trop souvent sujet à la procrastination, j’ai fini par trop repousser cet exigeant travail qui consiste à faire le compte-rendu de ce type d’ouvrage… et comme je n’avais pas pris de notes ! Sachez néanmoins que ce recueil comporte de très bons textes et permet d’avoir un aperçu assez pertinent de l’évolution de l’oeuvre de Naguib Mahfouz (et des mutations de son pays), depuis les années trente jusqu’au début des années quatre-vingt dix. L’écrivain se montrant plus introspectif et davantage enclin à la métaphysique dans ses textes les plus récents. De quoi se faire une idée assez précise de la littérature du bonhomme et choisir éventuellement une période de production précise pour partir à la découverte de son oeuvre. Pour ma part, j’ai été immédiatement attiré par les romans les plus anciens, sans doute parce qu’ils me semblaient revêtir une dimension un peu plus exotique et l’évocation d’un passé oriental révolu, une sorte de paradis perdu probablement très cliché (et qui fleure un peu le colonialisme si l’on y réfléchit bien) mais auquel je ne peux résister. Bien heureusement, la littérature de Naguib Mahfouz échappe à ce genre de cliché éculé, l’auteur étant très attaché à inscrire son pays dans une certaine modernité tout en étant conscient que les héritages du passé (clientélisme, lourdeurs et inertie du système politique, hiérarchisation sociale….) ne peuvent s’effacer d’un simple revers du bras.


Publié en 1945, La belle du Caire est le quatrième roman de Naguib Mahfouz. Dans les années 1930, quatre jeunes étudiants de l’université du Caire sont sur le point de décrocher leur licence de lettres. Quatre amis issus de familles relativement aisées, sans pour autant appartenir à l’élite de la société égyptienne, et dont un avenir prometteur semble tendre les bras. Parmi eux, Mahgoub est paradoxalement le plus insouciant et le plus cynique, mais aussi celui dont l’équilibre financier est le plus précaire. Alors qu’il ne lui reste que trois mois avant son examen final, il apprend que son père vient d’être victime d’une attaque cérébrale, bien qu’ayant échappé à la mort in extremis, il reste en grande partie paralysé et ne pourra probablement plus jamais travailler. Pour subvenir à ses propres besoins, ainsi qu’à ceux de sa femme, il doit donc réduire en grande partie la rente qu’il versait à son fils pour ses études. Mahgoub devra donc survivre durant trois mois avec à peine un tiers de ce qui lui permettait jusqu’à présent d’assurer son train de vie. Mais par fierté, le jeune homme refuse de demander l’aide de ses amis, préférant se débrouiller par lui-même. Alors il déménage de son foyer d’étudiant plutôt confortable pour une chambre beaucoup plus modeste, réduit ses frais de bouche, se contentant parfois d’un seul repas constitué d’une poignée de fèves bouillies, ne s’autorise plus guère de sorties. Malgré ses efforts et sa persévérance, Mahgoub est au bord de la rupture, mais rongé par son désir de réussir il est prêt à tout pour s’en sortir et gravir les échelons de la société égyptienne. Il en est certain, une fois son diplôme en poche, plus rien ne pourra stopper son ascension professionnelle et sociale. Mais la désillusion est sévère, sans appui il ne peut guère espérer obtenir les fonctions auxquelles il aspire et rien ne le terrorise davantage que de terminer sa vie comme petit fonctionnaire à Assouan. En désespoir de cause, mais aussi par cynisme, Mahgoub accepte une proposition qui pourrait bien changer la donne, mais également lui coûter beaucoup en cas d’échec. Une vague connaissance de son village, désormais devenue haut fonctionnaire, lui propose rien moins qu’un mariage de façade avec une très belle jeune femme devenue la maîtresse de Qassim bey Fahmi, un aristocrate promis aux plus hautes fonctions ministérielles, un homme à la fois riche et puissant. Aux abois, Mahgoub accepte, sans savoir que la femme en question est l’ancienne fiancée de l’un de ses plus proches amis, une beauté qu’autrefois il avait espéré séduire. Commence alors un ménage à trois, qui en apparence a tout pour le satisfaire : un poste comme secrétaire du bey, une certaine aisance matérielle et une femme splendide.


Récit de l’ascension fulgurante et de la chute tout aussi vertigineuse d’un jeune homme aux ambitions démesurées et aux principes contestables, La belle du Caire n’est pas exactement une comédie dramatique, tout au plus pourrait-on rapprocher ce roman de l’étude de moeurs. Empreint d’un grand réalisme social, il décrit très finement les mécanismes qui régissent la société égyptienne à l’orée des années 1940, son désir d’accéder à une certaine forme de modernité, sa volonté contradictoire de s’affranchir de toute forme de colonialisme, tout en maintenant coûte que coûte des structure hiérarchiques héritées d’un passé révolu et pesant. Mahgoub est indiscutablement un personnage antipathique, amoral, peu charitable, démesurément ambitieux, peu respectueux des valeurs sociales traditionnelles comme la famille ou les amis. Mais le carcan social dans lequel il évolue et dont il ne peut s’extraire malgré ses mérites, sa capacité de travail et sa volonté, en font le porte-parole idéal d’une certaine catégorie sociale qui aspire à une meilleure condition, mais ne peut que baisser les bras face à la corruption, au clientélisme et aux barrières érigées par une classe dominante cynique, peu patriote et encline à vendre les intérêts du pays au plus offrant. Une plongée édifiante dans l’Egypte des années trente, un roman absolument fascinant, admirablement écrit et incroyablement moderne.


4 commentaires:

Soleil vert a dit…

"Mais le carcan social dans lequel il évolue et dont il ne peut s’extraire malgré ses mérites"

Cela semble un thème récurrent dans son œuvre. Peut-être comme le Balzac des illusions perdues

Emmanuel a dit…

Tout à fait exact !

Carmen a dit…

j'ai appris beaucoup de choses sur l'histoire de l'Egypte dans ce roman.
je trouve la couverture un peu racoleuse,mais bon,c'est le choix de l'éditeur,
cette femme me rappelle le tableau de l'Odalisque(?)

Emmanuel a dit…

Le choix de la couverture est effectivement discutable. Encore un coup du service marketing de l'éditeur.