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vendredi 8 juillet 2016

Gioconda, de Nikos Kokàntzis

Peut-être faut-il, pour apprécier Gionconda à sa juste valeur, garder en point de mire deux éléments fondamentaux. Le premier est que ce court récit d’à peine cent vingt pages est un texte purement autobiographique, mais écrit près de trente ans après les faits. Le second, et pas des moindres, est que ce “roman” est l’oeuvre unique de son auteur, Nikos Kokàntzis, qui à la suite de la publication de Gioconda ne ressentit plus jamais le besoin d’écrire quoi que ce soit d'autre. Il aura donc fallu trois décennies pour que l’auteur  grec se sente le courage de partager l’intimité de ses souvenirs et de ses sentiments, et à la lecture de son histoire le lecteur comprend parfaitement les raisons qui l’ont poussé si longtemps à protéger le souvenir de cet amour perdu. Mais c’est aussi probablement la peur de voir ses souvenirs perdre de leur éclat et de leur intensité, qui fut à l’origine de ce magnifique récit, car les souvenirs s’effacent mais la littérature reste, elle, éternelle.


L’histoire se déroule en Grèce, dans la ville de Thessalonique d’où est originaire l’auteur, durant la seconde guerre mondiale. Gioconda est, comme on le devine aisément, le prénom d’une jeune fille, qui fut l’amie d’enfance de Nikos Kokàntzis puis son premier véritable amour. Comme de nombreux habitants de Thessalonique, Gioconda était d’origine juive, ce qui n’était guère un problème durant la période qui précéda la seconde guerre mondiale dans une cité où les juifs séfarades étaient de loin la communauté la plus importante de la ville et participaient à son rayonnement culturel et économique depuis plusieurs siècles. Mais à la suite de la défaite de l’armée grecque, le Nord du pays fut occupé par les Allemands, qui commencèrent dès 1941 à appliquer des mesures antisémites ; les premières déportations débutèrent quant-à elles à partir de 1943 (54 000 juifs de Thessalonique furent déportés. 98% moururent dans les camps). Gioconda n’est cependant pas un récit du pogrom qui fut à l’origine de l’extermination de la totalité ou presque de la communauté juive de Thessalonique, mais une véritable élégie, un récit intégralement centré sur l’évocation de cet amour bref mais fulgurant que vécurent Nikos et Gioconda, alors âgés d’une quinzaine d’années et qui connut, comme on l’imagine aisément, une fin tragique. Nikos Kokàntzis évoque donc son enfance aux côtés de Gioconda et leur vie dans le vieux Thessalonique (leurs familles étaient voisines), mais également les premiers émois de l’amour, la violence des sentiments qui s’emparèrent des deux adolescents, leur découverte progressive de leur sensualité et bien évidemment la tragédie de leur séparation inéluctable.


“Personne, bien entendu, n'eut à m'affronter, et encore moins à me tuer, pour mettre la main sur elle ; quand l'heure fut venue, personne ne se soucia de mon existence. Et moi je ne résistai pas, je ne luttai pas - à quoi résister, contre quoi lutter, comment un enfant seul peut-il se battre contre le Mal absolu ? Je me contentai d'être témoin, incapable d'agir, condamné à faire partie du cauchemar.”                               


Ce qui surprend au premier abord c’est l’acuité des souvenirs de l’auteur, mais également la puissance des sentiments qui émergent encore du récit après tant d’années. Alors certes, on se plaît à penser que cet amour est certainement magnifié par le caractère tragique de l’histoire de Nikos et Gioconda, et sans doute en partie idéalisé, mais l’on reste interdit par la simplicité, la naïveté, l’innocence et surtout la vitalité de cet amour, qui perdure au-delà de la mort. Avec Gioconda, Nikos Kokàntzis nous livre un récit poignant, littéralement touché par la grâce, presque lumineux, mais aussi étonnamment cru. Sans détour et avec une simplicité désarmante, l’auteur évoque un amour qui n’est pas seulement platonique, mais aussi physique et puissamment sensuel ; le tout sans jamais sombrer dans le graveleux, ce qui en soi n’est pas la moindre de ses qualités. Hymne à la vie et à l’amour, mais également leçon de courage, Gioconda est un récit aussi bref qu’intense, d’une beauté formelle à couper le souffle et pourtant  écrit le plus simplement du monde. Un chef d’oeuvre tout simplement !



"Tu as plus de courage que n'importe qui. Alors que moi, qu'est-ce que je fais ? Je reste ici, impuissant, lamentable, à vous regarder partir. Moi, qui me pardonnera ? "



Un mot tout de même sur la couverture de cette édition, certes plus sobre que les précédentes, mais un poil racoleuse. Je ne suis pas spécialement pudibond, mais le récit de Nikos Kokàntzis méritait mieux qu’une illustration digne d’un roman érotique à deux sous. Espérons que les éditions de L’aube réalisent à quel point cette couverture est une faute de goût et agissent en conséquence lors d’une prochaine réédition.

6 commentaires:

Carmen a dit…

Pour avoir lu ce tres émouvant roman,je suis d'accord avec vous,l'éditeur aurait pu penser à une autre couverture car celle ci est de mauvais goùt.

Carmen a dit…

Je rajoute: Gioconda ,si elle était revenue des camps,aurait elle été la meme?
Comment se réapproprier son corps quand on a connu les pires sévices?
C'est ce qu'à tenté de raconter Marceline Loridan dans" L'amour apres".

Emmanuel a dit…

Oh, merci pour le référence, je vais la garder en mémoire.

Carmen a dit…

La couverture de la nouvelle édition est plus en accord avec le roman.
Comme quoi,ça sert de contester.

Emmanuel a dit…

Ah oui, c'est mieux !

Carmen a dit…

Oui,j'avais quelque hésitation à offrir le bouquin avec une couverture topless!(rires)