Rechercher dans ce blog

vendredi 9 octobre 2015

Polar des grandes plaines : la série Walt Longmire, de Craig Johnson

Une fois n'est pas coutume, je ne vous parlerai pas d'un roman en particulier, mais d'une série de polars grandement recommandables, écrits par l'excellent écrivain américain Craig Johnson. Au cas où à la suite de ce billet, l'envie de lire cet auteur vous démangerait, je ne saurais trop vous conseiller de débuter votre lecture par le premier volume de la série consacré au shérif Walt Longmire, à savoir Little Bird, disponible en poche chez Gallmeister.

Chez Gallmeister on aime bien le nature writing, c’est même un peu une marque de fabrique, mais on aime aussi le polar, alors il n’est guère étonnant de retrouver au catalogue de l’éditeur les excellents romans de Craig Johnson. Un choix judicieux s’il en est car depuis quelques années, la série des romans mettant en scène le shérif Walt Longmire, semble, sans pour autant côtoyer les scores de vente vertigineux atteints outre-Atlantique, obtenir un certain succès en France. Il faut dire que la série TV (sobrement intitulée Longmire) a probablement contribué à ce petit succès populaire, ce qui n’enlève absolument rien à la qualité des romans de Craig Johnson.


    Direction donc le Wyoming, l’un des états les plus sauvages et les moins peuplés des Etats-Unis, mais aussi l’un des plus beaux (le parc du Yellowstone se situe d’ailleurs en majeure partie dans le Wyoming), dans le comté fictif d’Absaroka où officie le shérif Walt Longmire. Âgé d’une bonne cinquantaine d’années, veuf depuis peu, Longmire a bien du mal à se remettre du décès de sa femme et sombre plus ou moins dans un état de déprime semi-alcoolique sans jamais pourtant perdre totalement pied. C’est finalement le boulot et son entourage (sa fille et son meilleur ami) qui le remettront dans le droit chemin, sans pourtant réussir totalement à gommer cette fêlure qu’il porte en lui. Cette mélancolie, souvent contemplative, colle parfaitement à l’ambiance far-west de l’environnement local, imaginez ces grandes plaines balayées par le vent ou paissent tranquillement quelques bisons, à l’horizon se découpent les montagnes Rocheuses et leur sommets délicatement saupoudrés de neige ; bon ben vous y êtes, bienvenue dans le Wyoming. Il serait abusif de déclarer que le principal intérêt de la série est purement géographique, mais il est incontestable que cette délocalisation dans le Grand Ouest américain  participe en grande partie au succès d’une série qui a d’emblée refusé de jouer la carte du polar urbain moderne. Exit donc les costumes Armani hors de prix, les lunettes Ray Ban top classes mais un peu trop branchouilles et la débauche de technologies plus ou moins foireuses. Rien de tout cela dans les romans de Craig Johnson, le shérif Longmire a une dégaine de cowboy, ne possède ni ordinateur ni téléphone portable, préférant les procédures classiques mais éprouvées. En somme, voilà un flic à la fois besogneux, tenace, mais non dénué de flair et de sensibilité. L’autre facteur géographique de la série, c’est la proximité de ce comté (fictif rappelons-le) avec une importante réserve cheyenne. Evidemment, Johnson illustre à merveille la porosité entre deux mondes qu’à priori tout oppose après plus de deux siècles de relations houleuses. Mais ce choc culturel est également pour l’auteur l’occasion d’interroger la place de l’homme blanc et de son influence sur un territoire qui autrefois n’était foulé que par les indiens, sa soif de conquête (aujourd’hui celle du pétrole et du gaz) et ses rapports avec les native americans, mélange de racisme ordinaire mâtiné de condescendance et de paternalisme. Bien que le portrait dressé soit nuancé et contrebalancé par la relation d’amitié qui lie Walt Longmire et Henry Standing Bear, la question indienne n’est jamais évoquée de manière frontale mais surgit fréquemment par la bande ; c’est l’accumulation de détails qui au fil de la série dresse un panorama d’une grande pertinence et démontre à nouveau que la question n’est toujours pas réglée et les esprits loin d’être apaisés.


Sur un plan plus formel, les enquêtes de Walt Longmire mêlent habilement contexte socio-économique, histoire locale et culture de l’Ouest américain. Le Wyomoing est une région peu peuplée, aux hivers rigoureux et aux ressources économiques limitées, les grands propriétaires terriens y concentrent l’essentiel de la richesse et le boom du secteur énergétique leur est surtout profitable, laissant une bonne part de la population sur le bord de la route. Thématiquement, c’est assez classique : viols, meurtres passionnels, trafic de drogue (les grandes forêts et la faible densité favorisent l’éclosion de labos clandestins)... les amateurs de polars seront en territoire connu, mais le rythme lent des enquêtes et la dimension contemplative du romans peuvent surprendre les lecteurs habitués à un suspense plus soutenu.


A noter que Craig Johnson sera présent en France jusqu’au 10 octobre, vous aurez notamment la possibilité de le rencontrer à Toulouse, à l’occasion du festival Polars du Sud.

jeudi 1 octobre 2015

Top of the pops : Haute fidélité, de Nick Hornby

Roman emblématique de la génération X (eh oui, 20 ans déjà), encensé par une critique parfois encline au cirage de pompes, Haute fidélité a fait le succès de Nick Hornby et eut même l’insigne honneur d’être adapté (plutôt bien d’ailleurs) au cinéma par Stephen Frears ; il faut dire que le thème du roman était une occasion plus que séduisante de composer un film autour d’une bande originale de qualité. Hélas pour le lecteur, pas de bande son, mais une invitation permanente à découvrir ou à redécouvrir des grands classiques de notre patrimoine musical. Par chance, nous ne sommes plus au milieu des années 90 et un petit tour sur Deezer ou Youtube pourra, au cas où vous seriez trop jeune pour connaître ces standards du rock et de la pop, satisfaire votre curiosité.


    Haute fidélité est donc un roman en très grande partie centré sur la musique et pour en saisir toute la portée il est effectivement préférable d’avoir fréquenté si possible durant sa jeunesse les bacs des disquaires. Oui, je vous parle d’une époque révolue (vintage dirait-on désormais) où pour écouter de la musique il fallait se rendre dans un magasin rempli de disques ou de cassettes et faire défiler avec fébrilité et dextérité les pochettes des albums pour trouver le Saint Graal. Toute une époque ! Mais en 1995, l’ombre du marasme assombrissait déjà l’avenir des disquaires indépendants, les ogres de la grande distribution  (spécialisée ou non) déployaient leur stratégie pour tuer le petit commerce. Au diable la passion, au diable les conseils personnalisés, au diable les discussions enflammées sur les mérites du disque vinyle face au compact disc ou bien encore les débats techniques sur la supériorité supposée des enceintes trois voies sur les enceintes deux voies dans un système Hi-Fi de qualité. La musique était désormais en passe de devenir un produit de grande distribution comme un autre, à ranger entre deux caisses de lessive et un cageot de choux-fleurs. C’est ce déclin imminent dont Nick Hornby dresse le portrait, un décor dans lequel évolue Rob, 35 ans, londonien et disquaire passionné dont la boutique périclite lentement mais sûrement. Rob vient de se faire plaquer, pour la énième fois, mais n’en déplaise au principal intéressé cette rupture est probablement la plus dure,  alors il entreprend de faire le point sur sa vie et surtout sur son incapacité à passer le cap de la trentaine. L’éternel ado parle donc musique, avec une passion que l’on sent présente mais désormais mesurée, mais surtout il évoque les femmes qui ont marqué sa vie et le traumatisme que chaque séparation a provoqué dans son inconscient. A 35 ans Rob fait le point sur sa vie et constate les dégâts. Alors que Laura le quitte, il réaliste que la jeune femme a changé depuis leur rencontre, elle a pris de l’assurance, évolué dans sa carrière, gagné en maturité alors que lui vit toujours dans le même appartement décrépit, observe tétanisé la chute inexorable de son commerce de disques et se montre incapable d’aller de l’avant ; une vie bien solitaire, sans véritables amis, sans enfants et sans argent, qui désormais lui paraît insupportable.


    La réussite du roman de Nick Hornby tient à ce savant mélange de douce mélancolie, de gravité et d’humour décapant “so british”. L’ensemble est rarement pesant, souvent même léger, comme si tout cela n’était au final pas très sérieux. L’auteur prend un malin plaisir à malmener son personnage, au point de le rendre assez antipathique (l’immaturité, ça passe à 19 ans, nettement moins à 35 ans) et d’avoir envie de le secouer un bon coup. Malgré tout on s’attache à ce bon vieux Rob et contre toute attente, au regard de son contenu souvent primesautier (certains passages frisent le génie, notamment celui concernant les culottes des filles), le roman finit par prendre de la hauteur et à atteindre la profondeur qui lui faisait défaut initialement, dommage qu’à l’occasion il se montre complaisant et flirte allègrement avec la guimauve. L’ennui c’est que Haute Fidélité n’aura pas la même saveur pour tous les lecteurs. Il est probable qu’il fasse surtout vibrer la fibre nostalgique des générations nées avant 1980, qui trouveront leurs marques rapidement et souriront à la multitude de références qui émaillent le texte. Les autres… passeront certainement à côté de ce qui fait le sel de ce roman.