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lundi 22 juin 2015

Polar deep south : Galveston, de Nic Pizzolatto

Avant de devenir le scénariste très en vue de la série True detective, Nic Pizzolatto s’est distingué par la publication en 2010 d’un premier roman fort remarqué, Galveston, récompensé en 2011 par le prix du meilleur roman étranger. Pourtant rien ne prédestinait ce natif de Louisiane, qui s’orientait initialement vers une carrière universitaire, à devenir un des producteurs les plus cotés de la télévision américaine. Une réussite d’autant plus étonnante que True detective était sa première tentative en tant que scénariste et showrunner (pour l’anecdote, Nic Pizzolatto avait initialement envisagé d’écrire une pièce de théâtre, avant de se rendre à l’évidence et de faire de True Detective une série télé). Galveston n’est donc pas le roman d’un arriviste ou d’un parvenu d’Hollywood qui aurait voulu se draper d’une certaine respectabilité en endossant le rôle prestigieux de l’écrivain, mais l’oeuvre d’un auteur qui un beau jour choisit de claquer la porte de l’enseignement pour se consacrer entièrement à l’écriture.

    Homme de main d’un truand de la Nouvelle Orléans, Roy Cady se retrouve en l’espace d’une seule journée en très mauvaise posture. Il vient non seulement d’apprendre qu’il est atteint d’un cancer des poumons, mais il semblerait également que son patron ait décidé de l’éliminer en l’envoyant tout droit dans un piège. Mais l’homme a du métier et réussit à prendre la tangente, moyennant un carnage d’une rare violence. Problème : Roy hérite d’un compagnon de route imprévu, une prostituée d’à peine 18 ans, qui a par miracle échappé au massacre. Qui plus est, la jeune femme insiste pour aller chercher sa petite soeur, confiée depuis la mort de leur mère à un père notoirement alcoolique et irresponsable. Le roman aurait pu se transformer en road movie à travers le sud des Etats-unis, si Nic Pizzolatto n’avait plutôt choisi d’échouer ce trio improbable du côté de Galveston, cité balnéaire du Texas, fréquentée pour ses longues plages de sable par les habitants de la très affairée métropole de Houston, située à quelques encablures.

Inclassable, Galveston ne fonctionne ni comme un polar classique ni même comme un road movie, mais plutôt comme un huis clos centré sur deux personnages écorchés par la vie. Le récit est émaillé d’une galerie de personnages à l’avenant, marginaux et autres paumés, délaissés par une Amérique qui n’a que faire des électrons libres.  Admirablement écrit et très bien construit (l’auteur alterne deux périodes bien distinctes de la vie de Roy Cady), Galveston est un roman sincère et touchant, celui de la rédemption d’un homme au seuil de la mort ; un grand méchant au coeur tendre capable de dispenser la mort avec une efficacité peu commune comme de ployer le genou pour satisfaire les besoins d’une petite fille de cinq ans en mal d’affection. Sans véritablement échapper à certains clichés (homme fort, jeune fille en détresse, petite fille adorable…), Nic Pizzolatto réussit le tour de force de s’en emparer pour mieux les contourner et c’est sans doute de cette contradiction que naît une certaine poésie. Un mélange de détresse, de maladresse contenue et de violence qui n’est pas sans rappeler un certain Kitano dans ses plus grands moments.

mardi 9 juin 2015

Histoire du RPG, de Raphaël Lucas

En France, en dépit de l’émergence des game studies ces dernières années, il reste compliqué de trouver des livres intéressants concernant le jeu vidéo, c’est à dire des ouvrages qui ne soient pas des making of à la limite du publi-rédactionnel ou bien des art books certes joliment illustrés mais un peu vides de contenu. Les éditions Pix n’love proposent depuis quelques années des ouvrages à vocation historique ou analytiques, mais dans l’ensemble les éditeurs restent bien frileux. On me rétorquera que les éditions Questions théoriques ont publié deux ouvrages tout à fait passionnants d’Olivier Mauco ou bien encore que les éditions Zones ont édité l’excellent livre de Mathieu Triclot, mais en dehors de ces rares exemples, c’est un peu le néant. Curieux pour un média dont ont ne cesse de nous affirmer qu’il est devenu depuis quelques années l’un des loisirs préférés des Français (désolé pour le poncif). Il est certain qu’une très grande majorité de joueurs n’a pas vocation à s’intéresser aux dimensions neuropsychologiques d’une pratique assidue des jeux vidéo, au débat entre les tenants de la narratologie et les défenseurs de la ludologie ou bien encore aux représentations culturelles dans les jeux d’aventure ; de même que tout amateur de cinéma n’est pas forcément un lecteur compulsif des Cahiers du cinéma, on peut évidemment pratiquer avec passion un loisir sans autre but que le divertissement. Mais tout en restant un loisir de premier plan, le jeu vidéo est aussi un mode de discours et son analyse se révèle souvent passionnante, comme a pu le démontrer hélas trop brièvement la revue Les cahiers du jeu vidéo. Le livre de Raphaël Lucas s’inscrit donc dans cette démarche à la fois historique et analytique concernant un type de jeu longtemps resté à la marge (en dépit de succès parfois considérables) : le RPG. Levons immédiatement toute ambiguïté, nul snobisme de ma part dans l’emploi de ce terme, je préfère simplement utiliser l’acronyme anglais RPG (Role playing game) car aussi curieux que cela puisse paraître, son équivalent français (JDR) est la plupart du temps associé au jeu de rôle sur table.

L’approche de Raphaël Lucas ne se veut évidemment pas exhaustive, en trois cents pages (illustrées qui plus est) ce serait une erreur que de prétendre le contraire ; l’ambition est autre, à savoir brosser une vue d’ensemble de plus de quarante ans d’histoire du RPG sur ordinateur et sur console en s’intéressant davantage à la dynamique de cette évolution qu’aux détails. Le sous-titre du livre est d’ailleurs suffisamment explicite pour lever toute ambiguïté. N’attendez donc pas d’anecdotes inédites ou de focus approfondi sur tel ou tel RPG considéré comme fondamental, en revanche l’auteur a pris la peine d’interroger de nombreux concepteurs de jeux vidéo (des gamedesigners et des producteurs essentiellement), des pointures comme Richard Garriott, Chris Avellone, Brian Fargo ou bien encore Don Daglow ; on aurait juste aimé que ces entretiens figurent dans leur intégralité par exemple en annexe du bouquin (certains bonus sont néanmoins disponibles sur le site web de l’auteur : http://geekomatick.com/ ). Mais revenons à l’essentiel, Raphaël Lucas s’interroge dès le préambule sur la nature exacte du RPG et le développement de l’ouvrage adopte certes une perspective historique, en revenant sur la naissance du jeu de rôle papier et la création en particulier de Dungeons & Dragons, mais tente également d’une certaine manière de définir ce qui caractérise le RPG, en s’intéressant tout particulièrement à ses mécaniques. La première partie de l’ouvrage est donc en très grande partie consacrée à la genèse du jeu de rôle et à son appropriation par le milieu geek/hacker durant les années soixante-dix afin de simuler les mécaniques de jeu grâce à des systèmes informatiques. C’est la création du Computer RPG, dont les principaux représentants (le système PLATO, Ultima, Wizardry….) vont tenter de transposer, de manière un peu générique, l’univers et les règles de Dungeons & Dragons sous forme vidéoludique. Les graphismes sont évidemment dans un premier temps sommaires, constitués pour l’essentiel de tableaux et de textes. Statistiques et lancers de dés vont donc constituer le socle de base des premiers RPG, essentiellement des dungeons crawlers, c’est à dire une succession de combats de salle en salle, régis par des règles simulées informatiquement. Mais déjà, la narration tente de damer le pion à la simulation grâce à une approche plus immersive et moins mécanique. Cette dialectique entre narration et statistique, qui a longtemps caractérisé l’opposition entre CRPG et JRPG (Japan RPG), est encore aujourd’hui d’actualité, comme si le RPG n’avait toujours pas réussi à fusionner définitivement ces deux approches, en dépit de réussites ponctuelles, mais finalement assez rares. Au travers de nombreux exemple, Raphaël Lucas montre à quel point les gamedesigners ont tenté de s’affranchir, avec plus ou moins de réussite, des modèles hérités de ces précurseurs du RPG, oscillant sans cesse entre la narration et la nécessité de proposer un système de progression assurant l’implication totale du joueur. Les jeux développés par Bioware sont un excellent exemple de cette recherche permanente en matière de gamedesign. Bien qu’ayant trouvé un système de jeu à la fois salué par la critique et apprécié par les joueurs et décliné (Baldur’s Gate 1 et 2, Icewind Dale 1 & 2) grâce au moteur Infinity, Bioware s’est éloigné des principes qui avaient fait son succès (système de combat semi-temps réel tactique, gestion d’équipe poussée, foisonnement de quêtes annexes, dialogues conséquents….), à la recherche permanente d’un nouveau mode de narration. Le passage à la 3D temps réel n’est d’ailleurs pas étranger à cette évolution du gameplay et des mécaniques de jeu

En dépit d’expérimentations hasardeuses, mais parfois aussi réussies, on n’a cependant guère trouvé mieux que la progression par niveau. Au point que ce type de progression a aujourd’hui contaminé une grande partie de la production, les FPS par exemple mais également des jeux plus surprenant comme les simulations de voiture (Gran Turismo par exemple n’applique rien moins qu’une recette autrefois propre aux RPG) ou les sandbox. Mais si d’autres jeux lui empruntent désormais un certain nombre de mécaniques, le RPG semble achopper sur un élément fondamental : le roleplay. Une question qui d’ailleurs ne trouve aucune réponse satisfaisante dans la réflexion de Raphaël Lucas, même si elle est (trop) rapidement esquissée lorsque l’auteur évoque une tentative qui restera probablement encore longtemps isolée : Neverwinter nights (l’un des rares RPG ayant proposé un véritable module maître du jeu). La complexité de la mise en oeuvre de parties multiplayers pour Neverwinter nights explique que ce modèle n’aie jamais réellement inspiré d’autres développeurs, ce module reste cependant l’une des expériences les plus intéressantes et les plus proches du jeu de rôle sur table. On regrettera en outre que la question du MMORPG soit si rapidement traitée, la place accordée au roleplay étant par essence plus importante dans ce type de RPG, même s’il faut bien l’avouer les joueurs tentés par cette approche ne sont pas toujours les plus nombreux.

    A la lecture de cet ouvrage, à la fois synthétique et bien documenté, on reste néanmoins sur sa faim. Il est évident qu’une telle somme aurait mérité trois cents pages de plus pour assurer le fan-service, la première partie, celle consacrée à la naissance du CRPG est de loin la mieux maîtrisée, mais la grande période des années 90 est trop rapidement traitée (quant aux amateurs de JRPG ils resteront probablement très déçus de la place accordée à leur genre de prédilection, réduite peu ou prou à la portion congrue) ; la faute sans doute à une quantité de jeux certainement conséquente, mais n’oublions pas que ce livre ne doit pas être abordé comme un making of ou un art book, mais plutôt comme un essai. Je terminerai par un petit conseil, si l’envie vous prend de vous procurer cet ouvrage, privilégiez impérativement la couverture rigide car la version souple est fragile et très peu pratique à lire et à manipuler.