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lundi 28 juillet 2014

Pulp fictions : Les rois des sables, de George R.R. Martin

L’une des conséquences attendues du succès considérable de Game of Thrones, à la télévision comme en librairie, est la réédition depuis quelques temps  de nombreux livres de George Martin appartenant au domaine de la SF et de la fantasy. L’opportunisme de la démarche n’étonnera personne, et il serait malséant de reprocher aux éditeurs de tirer leur épingle du jeu, surtout en ces temps difficiles pour le secteur de l’édition, mais on se désolera néanmoins de la focalisation du public sur une oeuvre, certes plaisante par certains aspects, mais tout de même bien générique au regard de ce que la littérature a produit depuis vingt ans dans le domaine. Alors les éditeurs ont-ils raclé les fonds de tiroir pour satisfaire les lecteurs en mal de complétude, avides de découvrir l’intégralité de l’oeuvre de George Martin ? Eh bien pas cette fois, car avant de connaître le succès avec le Trône de fer, George Martin a roulé sa bosse et révisé ses gammes, remportant un succès modeste mais solide dans le domaine des littératures de l’imaginaire. Les textes qui composent ce recueil publié chez J’ai lu, enrichi dans cette réédition d’une nouvelle indédite, sont ceux d’un écrivain qui a déjà atteint toute la maturité de son talent et chose plus étonnante lorsque l’on connaît la propension de Martin à tirer à la ligne et à développer ses intrigues sur plusieurs tomes interminables, le bonhomme a un véritable talent pour la forme courte et sait se plier au format très particulier de la nouvelle. Un exercice dans lequel néanmoins, les écrivains anglo-saxons se montrent souvent plus à l’aise que leurs homologues francophones (ceci est juste une constatation, pas une règle absolue, certains écrivains francophones apprécient et excellent dans l’art de la nouvelle).

Les rois des sables se compose donc de sept textes de science-fiction qui se déroulent  dans un univers de space opera que l’on peut tout à fait imaginer commun, même si George Martin n’est pas forcément explicite à ce sujet. Néanmoins, quelques indices le laissent présager, notamment les noms de planètes ou d’étoiles que l’on retrouve dans plusieurs nouvelles. On se plait ainsi à imaginer que chaque texte apporte un nouvel éclairage à cet univers composite, aux races extraterrestres et aux planètes qui le composent. Ce foisonnement, cette diversité exotique, n’est d’ailleurs pas sans donner une touche pulp à cet univers, avec néanmoins une profondeur de champ qui démarque nettement Martin de ses prédécesseurs de l’âge d’or ; on est loin des gentilles aventures d’un Flash Gordon ou d’un John Carter. 

Le recueil commence avec un texte d’une efficacité redoutable. “Par la croix et le dragon” met en scène un puissant chevalier de l’Inquisition, envoyé par son supérieur (une sorte de pape moderne) sur la planète Arion pour mettre fin à une hérésie qui rassemble de plus en plus de fidèles. L’affrontement entre cet inquisiteur et le prélat hérétique est l’occasion pour l’auteur de démontrer toute l’étendue de son talent dans le domaine de la controverse théologique. Un débat qui met rapidement à nue toutes les contradictions sur lesquelles les religions sont fondées et révèle que le mensonge est souvent plus fédérateur que la vérité nue. De quoi ébranler la foi la plus solidement établie. On enchaîne ensuite avec une nouvelle beaucoup plus poétique, “Aprevères”, qui se déroule sur une planète glacée, soumise à des saisons extrêmement longues. Ce texte est une sorte de variation moderne sur le thème de Morgane (oui oui, la fée), qui envoûte le lecteur par son ambiance et sa narration très proche du conte.  “Dans la maison du ver”  est également une nouvelle qui tient par son ambiance extraordinaire, mais cette fois Martin abandonne le registre du conte pour celui de l’horreur. L’histoire se déroule sur une planète au bord de l’extinction, l’étoile autour de laquelle elle gravite est sur le point de mourir et les êtres qui la peuplent se sont enterrés dans les profondeurs du sol. Les hommes sont les plus proches de la surface et vivent dans le souvenir de leur gloire passée, perpétuant des traditions dont ils ont oublié les origines, se complaisant dans des rites cruels et vides de sens, fascinés par leur puissance désormais révolue. Dans les profondeurs, désormais laissées à l’abandon, vivent les Grouns, une autre race plus ou moins humanoïde, que les hommes chassent pour se procurer de la viande. Entre les deux peuples l’incompréhension est totale et ils en oublient qu’une autre menace gronde, bien plus terrifiante et létale. Un texte d’une grande efficacité, qui tient à son ambiance crépusculaire et à son rythme sans aucun temps mort. Divertissant certes, mais loin d’être vain.


“Vifs amis” apparaît comme le texte le plus faible du recueil, une histoire d’amour impossible entre un vieux baroudeur de l’espace et son ancienne petite amie, désormais fusionnée avec une créature de l’espace profond. Avec tout le respect que j’ai pour George Martin, il faut bien avouer que l’idée, pas forcément inintéressante, ne bénéficie pas d’un traitement à la hauteur des enjeux et la sauce ne prend jamais. Sans pour autant crier au génie, on sera un brin moins circonspect concernant “La cité de pierre”, qui met en scène l’équipage d’un vaisseau humain aux prises avec l’administration tatillonne d’une obscure planète gérée par les Dan’Laï, des hommes-renards aussi procéduriers que des fonctionnaires soviétiques. Bloqués sur la planète depuis plusieurs années faute de laisser-passer, les membres de l’équipage finissent par se perdre dans les vapeurs d’une drogue locale surpuissante ou par disparaître dans les méandres de l’étrange cité de pierre, vestiges d’une civilisation aujourd’hui disparue. Une nouvelle intelligemment construite, mais qui laisse quelque peu le lecteur sur sa faim.


    “La dame des étoiles”, est probablement l’un des textes les plus réussis de ce recueil. Sur le “Caillou”, une planète de seconde zone peuplée des pires malandrins de la galaxie (proxénètes, coupe-jarets, dealers et autres raclures de bas étages), une jeune touriste et son compagnon (une sorte de créature enfantine et lunaire) sont détroussés au coin d’une ruelle sombre. Dépouillés de leur argent et de leurs papiers, ils sont condamnés à errer dans les bas fonds du caillou. Hal le poilu, maquereau de son état et as du couteau tombé en disgrâce, recueille les deux victimes, et s’empresse de les mettre sur le trottoir, car sa générosité a des limites et il faut bien survivre. Racailles en tous genres, créatures étranges, violence sociale, le caillou fascine par son authentique décor de polar, qui fleure bon la pègre de l’espace. On croirait la cantina de Mos Esley, en nettement moins accueillant, dans laquelle auraient échoué la belle au bois dormant et son prince charmant, un peu abruti mais gentil ; on se doute que ça va être leur fête et on s’en réjouit. Néanmoins, le texte vaut surtout pour sa chute, désespérante de cynisme mais tellement bien menée qu’on en redemande encore. 

    On termine ce recueil avec un autre morceau de choix, “Les rois des sables”, nouvelle qui met en scène un odieux connard du nom de Simon Kress qui aime collectionner les animaux exotiques et les renouveler le plus souvent possible. Il faut dire que les traitements qu’il leur inflige, des combats sanglants la plupart du temps, conduisent assez régulièrement à leur trépas. Cette fois Simon, dont le portefeuille paraît bien garni, fait l’acquisition d’étranges créatures sociales, les rois des sables. Ces insectes vivent en colonie selon une organisation remarquable, construisent des châteaux pour protéger leur reine et se font la guerre avec méthode, selon des stratégies que n’auraient pas reniées les plus grands généraux de l’histoire. Devenu leur Dieu, Simon n’a qu’une hâte, que ses colonies se développent rapidement pour qu’elles se livrent par la suite à des guerres fratricides, occasions en or pour organiser des paris juteux avec ses amis. Evidemment, Simon ne suit pas exactement les recommandations de son revendeur et se livre à des traitements d’une rare cruauté, ce qui, on l’imagine aisément, lui vaudra quelques déconvenues. Honnêtement, le déroulement de cette nouvelle est parfaitement prévisible, mais la narration est si bien menée et le rythme si bien maîtrisé, qu’on se laisse prendre au jeu. Quoi de plus jubilatoire en effet qu’un pervers pris à son propre jeu.

mardi 1 juillet 2014

SF italienne : L'homme vertical de Davide Longo

A 42 ans, et une carrière littéraire déjà bien remplie, Davide Longo est devenu un auteur incontournable dans le paysage de la littérature italienne ; il faut dire que la parution de L’homme vertical lui a valu en Italie une pluie d’éloges parfois dithyrambiques (notamment de la part d’Alessandro Barrico). En France, l’auteur est plus confidentiel, mais à la lecture de ce roman, on comprend aisément les raisons de cet engouement de l’autre côté des Alpes. On aurait bien vu L’homme vertical figurer au catalogue  Lunes d’encre, tant son exigence littéraire et son ambition paraissent concorder avec la ligne éditoriale de la collection dirigée par Gilles Dumay, mais c’est en littérature générale, chez Stock, que cette traduction est proposée. Dont acte ! On pourrait trouver là une explication à la relative indifférence dont jouit le roman dans le fandom, mais d’autres livres du même calibre ont été publiés dans des collections blanches tout en suscitant l’enthousiasme des amateurs de science-fiction, comme par exemple La route de Cormac McCarthy. On comprend bien que Davide Longo ne dispose pas de l’aura et de la célébrité de l’écrivain américain, mais il est bien dommage qu’il n’aie pas bénéficié des mêmes attentions. La référence au roman de Cormac McCarthy n’est en rien due au hasard puisque L’homme vertical s’inscrit également dans la longue tradition du roman post-apocalyptique, qui depuis les années soixante ne cesse de promettre, non sans raison, un avenir sombre à l’humanité. Pourtant le roman de Davide Longo ne ressemble à rien de connu et se démarque par sa singularité. Evidemment, l’ambiance, par sa violence débridée, rappelle Mad Max et la place que tient la jeunesse n’est pas sans évoquer un certain Quinzinzinzilli, mais les similitudes s’arrêtent là car l’auteur italien, par son talent et son érudition, réussit le tour de force de proposer un regard neuf sur le genre.


Le roman se déroule en Italie, dans un futur proche. Sans que l’auteur ne s'appesantisse démesurément sur le sujet, on devine que le pays a connu une crise d’une gravité jamais atteinte. Les structures étatiques, le tissu socio-économique, tout a volé en éclat pour laisser place à une période d’anarchie de plus en plus sombre, que les autorités sont totalement incapables de juguler. Les frontières avec la France et la Suisse sont verrouillées alors qu’à l’Est elles semblent ne plus exister, le pays est envahi “d’extérieurs”, de bandes plus ou moins organisées qui commencent à piller les commerces et les maisons abandonnées. Les banques gèlent les avoirs puis disparaissent comme le reste de l’économie, la radio et la télévision ne diffusent plus rien d’autre que des programmes enregistrés, plus aucune source d’information ne fonctionne et même l’armée est en déshérence, faute d’instructions venues de l’état-major et d’approvisionnement. Les villes et les villages se dépeuplent progressivement, les routes sont envahies d’hommes, de femmes et d’enfants, mal équipés et mal préparés à leur exil, mais persuadés qu’ils trouveront un moyen de rejoindre la France ou la Suisse. Au fil du temps l’essence et la nourriture se font rares, les bandes plus violentes, les routes principales deviennent dangereuse et l’on peut  se faire détrousser  pour une paire de chaussure ou quelques victuailles. Au milieu de cet enfer, Leonardo, un ancien professeur d’université retiré à la campagne à la suite d’une affaire de moeurs, tente d’échapper à cette barbarie qui s’étend comme un cancer à travers tout le pays. Calme, posé, passionné de littérature et grand lecteur, Leonardo continue de cultiver les vignes qui entourent sa petite maison de campagne, perdue dans les collines du Nord-Ouest de l’Italie. De temps à autre il fait un saut jusqu’au village pour se ravitailler tant bien que mal à la petite épicerie locale et tailler le bout de gras avec les rares habitants restés au village. Jusqu’au jour où son ex-femme vient frapper à sa porte, accompagnée de leur fille et du fils issu d’un second mariage. A charge pour Leonardo de prendre soin des enfants jusqu’à son retour une semaine plus tard. On l’imagine aisément, la femme ne reviendra jamais, probablement interceptée sur la route par une bande de pillards, puis violée, dépouillée et sans doute tuée ; au mieux a-t-elle été faite prisonnière, pour faire office d’esclave sexuel ou de monnaie d’échange auprès de bandes rivales. On ne le sait pas exactement, mais on le devine aisément. Leonardo n’essaiera pas de la retrouver, mais en revanche il a promis d’accompagner les enfants jusqu’à la frontière Suisse, où, grâce à leurs sauf-conduits, ils ont une chance de traverser. Toute la seconde partie du roman est centrée sur le voyage qu’effectueront Leonardo et les enfants, un périple semé d’épreuves douloureuses au milieu d’un pays ravagé par la violence et l’anarchie.
   
    Mal préparé pour survivre dans un environnement aussi hostile, rappelons que Leonardo est un écrivain et un intellectuel au physique peu endurci et à la personnalité douce et tranquille, on peine à imaginer qu’il survivra plus de quelques jours à l’enfer de son périple. Mais comme un phare au milieu de la tempête il subit avec un courage admirable les pires humiliations et les violences les plus atroces ; il se fait dépouiller à de nombreuses reprises, bastonner, torturer, on lui retire toute dignité, mais il résiste moralement et ne perd jamais de vue que sa seule raison d’endurer tout cela est de préserver la vie de sa fille. Cette attitude, il lui faut du courage et de la volonté pour ne pas s’en éloigner, afin de préserver cette once d’humanité et de civilisation au milieu de la barbarie, mais Leonardo en sortira littéralement transformé. En somme, L’homme vertical fait figure de roman post-apocalyptique initiatique. Comme en contrepoint, l’image de la jeunesse (et donc de la société en devenir) évoquée par Davide Longo  est fortement anxiogène, à la limite de la caricature, mais la science-fiction a toujours eu l’habitude d’accentuer le trait pour le rendre plus évident, sans pour autant l’invalider par son aspect outrancier ; heureusement certains personnages (Lucia et Salomon par exemple), viennent atténuer cette vision catastrophiste de la jeunesse, mais on a bien compris que dans cette univers ultra-violent, il n’y a plus de place pour l’enfance, seule compte la survie. Indiscutablement, le roman entre en résonance avec notre époque  socialement destructurée et en perte de repères. Du roman de Longo transpire cette peur du lendemain et de l’avenir, comme s’il exprimait tout haut l’angoisse du déclassement qui traverse la société occidentale, particulièrement en Europe. Cette ambiance de fin de civilisation est néanmoins atténuée par la dernière partie du roman, beaucoup moins sombre et presque porteuse d’espoir, on y sent comme l’héritage d’un certain Candide de Voltaire, à ceci près que les problématiques et les questionnements sur la nature de l’homme et du mal, ne sont ici qu’esquissées. Nul doute que certains lecteurs resteront sur le faim, avides d’explorer ces thématiques philosophiques en profondeur, mais pour Longo une chose est certaines, à la fin c’est l’intelligence et la culture qui l’emportent sur l’instinct animal et la barbarie, même si la figure tutélaire de l’intellectuel a été furieusement malmenée durant 400 pages.

    Sobre, poétique, voire parfois contemplatif, L’homme vertical est également un roman dur et violent qui emprunte aux schémas classiques de la science-fiction post-apocalyptique, tout en lui apportant une certaine fraîcheur.  La force du roman réside également dans ses qualités d’écriture, la plume de Longo, à la fois simple et élégante, apporte une certaine douceur, qui tranche avec la violence du propos et confère au roman sa touche la plus originale.