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mercredi 25 septembre 2013

synthèse : la querelle des livres - petit essai sur le livre à l'âge numérique

A l'heure où chaque lecteur est sommé de choisir son camp, La querelle des livres  d'Oliver Larizza permet de se faire rapidement une idée, et offre une une petite bibliographie sympathique des dernières réflexions sur le sujet.
Qu'est-ce qu'il en ressort ? L'universitaire qu'est l'auteur est tiraillé entre deux pôles : l'efficacité de la lecture électronique, la disponibilité des ouvrages à toute heure grâce à Internet, la fin des intermédiaires, bref tout ce qui permet de gagner du temps ; et d'autre part la sensualité du livre papier, le confort de lecture, l'absence de connexion qui offre au lecteur la possibilité de s'immerger complètement dans la lecture, le feuilletage... Comme il le dit lui-même, c'est un peu une querelle des Anciens et des Modernes. C'est aussi la dichotomie du livre-outil et du livre-loisir qui ressort dès cette première partie. Hélas, vite abandonnée au profit de la seule littérature qui soit : le roman.
Il n'élude pas la question économique, mais cette réflexion ne va pas au bout des choses, c'est pourtant là le nœud de la question. Par contre, il aborde abondamment la question de la forme de la littérature qui naitra avec ce nouvel outil qu'est l'écran de lecture. Exit donc dans cette réflexion, comme c'est souvent le cas, de toute l'édition qui n'est pas littérature : qu'en est-il des documentaires, des livres pour enfants, des dictionnaires ? Pas un mot chez cet universitaire de cette question, qui pourtant mérite qu'on s'y arrête, car alors l'outil électronique prend tout son intérêt, grâce aux possibilités apportées par le multimédia, et pour la littérature enfantine parce que c'est dans les habitudes qu'on donne aux enfants que se joue l'avenir.
Reste donc la "vraie" littérature, qui engendre la "vraie" lecture, celle d'un livre de A à Z.On sent l'auteur plus dans son élément, et c'est bien là que se situe le débat. Comment va-t-on écrire à l'heure d'Internet ? C'est peut-être la partie la plus intéressante et la plus originale de l'ouvrage, car il rappelle entre autres que les grands romans du 19e siècle ont vu souvent le jour sous la forme courte de feuilletons, au milieu d'une littérature populaire pas toujours de haut niveau, voire carrément de pisse-copie, et qu'on pourrait bien y revenir... La littérature se cherche donc, une fois de plus, et certainement, l'outil va entraîner un changement dans la structure même du roman.
Mais où sont donc tous les autres livres, du recueil de recettes de cuisine au guide touristique en passant par le manuel du jardinier, les magnifiques albums de photographies, les essais, les pamphlets, et même les sommes universitaires ? Il y aurait pourtant tant à dire, à faire, à conceptualiser. Mais les auteurs de ces ouvrages ne sont pas des Aaartistes, eux. C'est peut-être pourquoi on se préoccupe moins de les voir coucher sur papier pour une éternité toute relative et à l'ogre du moment, le numérique.

mardi 17 septembre 2013

Ninjatitude : Les manuscrits ninja, de Futaro Yamada

Immensément célèbre au Japon pour ses romans historiques, dont bon nombre ont été adaptés au cinéma, en manga ou en desssin animé, Futaro Yamada est tout simplement un illustre inconnu dans nos contrées, mais s’il fallait le comparer à un écrivain ce serait sans nulle doute à Alexandre Dumas que l’on songerait. Futaro Yamada est ainsi le créateur d’un véritable univers romanesque, celui des ninjas, qui, à défaut d’être réaliste sur le plan historique, alimente depuis plus de cinquante ans l’imaginaire collectif des Japonais et  des occidentaux. Par son style à la fois léger et dynamique, par son sens du récit et de la narration, par sa capacité à manier l’humour voire l’ironie vis à vis de la société japonaise, Futaro Yamada a profondément modernisé la littérature de son pays. Alors certes, l’auteur japonais n’a jamais prétendu concourir pour le prix Nobel de littérature, mais à sa manière il a donné ses lettres de noblesse à la littérature populaire au Japon. De ses nombreux romans, on retiendra en particulier ceux mettant en scène le célèbre Yagyu Jubei, l’un des plus grands samouraïs (mais dont les techniques de combats sont très proches de celles des ninjas) qu’ait connu le Japon féodal et qui tient une place central dans Les manuscrits ninja, édités récemment par Philippe Picquier en deux volumes séparés (Les sept lances d’Aizu et Les sept guerrières d’Hori)..

1641. A la suite de vexations, de maltraitances et d’actes frôlant la barbarie, les membres du clan Hori, vassal du seigneur du fief d’Aizu, Kato Akinari, se révoltent et s’enfuient avec femmes et enfants. Ils traversent rapidement cet immense fief de 400 000 kokus et passent la frontière sans avoir été obligés de livrer combat contre les troupes de leur daimyo, ils espèrent trouver refuge dans des temples et échapper ainsi à la colère de leur suzerain. Mais c’était sans compter sur la vengeance froide de Kato Akinari, qui réclame réparation auprès du Shogun et obtient l’autorisation de châtier le clan Hori. Le puissant daimyo envoie donc ses plus fidèles samouraïs, les sept lances d’Aizu, traquer et exterminer les traîtres. Les sept guerriers, dont la valeur au combat n’a d’égal que leur cruauté, débusquent rapidement les hommes du clan Hori dans un grand temple bouddhiste de la région et les enchaînent pour les ramener à Edo, lieu de leur exécution publique. Mais en chemin ils font un détour par Kamakura et investissent le temple du Tokeiji, dans lequel les femmes du clan ont trouvé refuge. Les sept lances défoncent la porte du temple, pourtant interdit aux hommes, capturent les femmes et en exécutent une grande partie devant leurs maris, leurs pères ou leurs frères. Sept femmes seulement échappent au massacre grâce à l’intervention inespérée de la princesse Sen, soeur du Shogun. Cette dernière, persuadée que le Shogun n’osera se dédire en punissant Kato Akinari, décide de confier les jeunes femmes à deux personnages dignes de sa confiance, le puissant ronin Jubei Mitsuyoshi Yagyu, maître absolu dans l’art du sabre, et le maître zen Takuan Soho. Les deux hommes devront orchestrer la vengeance des sept femmes Hori. A Takuan la stratégie et l’art de la manipulation, à Jubei la charge de former ces demoiselles à l’art du combat silencieux. Impossible en effet d’affronter directement les guerriers d’Aizu, leur puissance et leur maîtrise des armes ne leur laisseraient aucune chance. Mais en utilisant des techniques de combat issues du ninjutsu, leurs chances de remporter la victoire ne sont plus illusoires.

Ancré dans un contexte historique réaliste, notamment grâce à ses personnages centraux (Takuan Soho et Yagyu Jubei ont réellement existé), mais prenant quelques libertés avec la réalité des faits pour rendre la narration plus romanesque, Les manuscrits Ninja est un roman trépidant écrit à un rythme d’enfer. Résolument moderne dans son rythme et son découpage, la narration est alliée à un style dynamique et léger, mâtiné d’humour voire d’une certaine ironie quant aux traditions ancestrales du Japon (faire endosser le rôle de guerriers sanguinaires assoiffés de vengeance à des femmes n’a rien de commun dans les années soixante). La violence du roman peut également étonner, découpages de membres, massacres collectifs, viols, exécutions publiques, torture… Futaro Yamada ne fait pas dans la dentelle et les amateurs de littérature policée risquent de ne pas adhérer à ce déferlement de scènes d’action, mais à l’heure de l’ultraviolence cinématographique et vidéoludique, nul doute que certains n’y prêteront pas démesurément attention.  Passionnant de bout en bout, malin et généreux en action et en rebondissements, Les manuscrits Ninja est un bon petit roman de cape et d’épée à la sauce japonaise dont on imagine sans peine qu’il ait durablement influencé la culture populaire.

mardi 3 septembre 2013

Littérature vietnamienne : Terre des oublis, de Duong Thu Huong

Si l’on s’en tient aux catalogues des éditeurs français, la littérature vietnamienne (et par extension originaire de l’ex colonie indochinoise) apparaît comme le parent pauvre de la littérature asiatique, alors même que nous croulons sous les romans venus du Japon, de Chine ou même d’Inde. A l’occasion d’une interview pour le journal Libération, l’éditeur Philippe Picquier, dont chacun s’accorde à reconnaître la qualité du travail et l’excellence du catalogue, affirmait que ses rares incursions en Asie du Sud Est avaient été peu probantes et que la tradition orale, empreinte de religiosité, avait probablement freiné le développement d’une tradition littéraire profane riche et ancienne dans des pays comme le Laos, le Cambodge ou la Thaïlande. Heureusement, lorsqu’un auteur parvient à traverser les frontières jusque chez nous, la qualité est bien au rendez-vous. C’est le cas avec Duong Thu Huong, figure emblématique de la littérature vietnamienne aux côtés d’écrivains aussi talentueux que Bao Ninh, Nguyen Huy Thiep (pour le coup abondamment traduit en France) ou bien encore Pham Ti Hoai. En raison de son statut de dissidente politique, Duong Thu Huong a connu quelques difficultés dans son pays d’origine dès les années 80, l’auteur(e) vietnamienne vit depuis 2006 en France où neuf de ses livres ont été traduits et publiés.


Mien jeune et jolie maman d’une trentaine d’années coule des jours heureux dans son petit village de montagne. La guerre, qui opposait le Nord Vietnam au Sud Vietnam (fortement assisté par les troupes américaines) est terminée depuis une dizaine d’années et le pays se reconstruit lentement mais sûrement. Le mari de Mien, Hoan, est un riche planteur de la région, qui a construit sa richesse et sa réputation à la sueur de son front en pariant avec succès sur le café et le poivre. C’est un homme foncièrement honnête et profondément respecté dans le village, bien qu’il soit originaire de la ville. Mien et Hoan forment un couple harmonieux, heureux et paisible, ils élèvent avec amour et tendresse leur petit garçon dans leur belle maison entourée par la plantation. Jusqu’au jour où ce bonheur trop parfait vole en éclat. Quatorze ans après sa disparition, le premier mari de Mien, Bon, resurgit du passé et revient au village réclamer ses droits. Bon a été officiellement déclaré mort voilà des années et Mien n’est coupable en rien de s’être remariée après son deuil, mais le prestige d’un ancien combattant, un véritable héros du peuple, est extrêmement important au Vietnam. La pression sociale des villageois et les règles tacites d’un régime autoritaire vont faire fléchir Mien, qui la mort dans l’âme décide de quitter Hoan pour retourner vivre dans la petite bicoque délabrée de Bon, afin d’y accomplir son devoir d’épouse. Mais après quatorze ans de séparation, la vie avec Bon promet d’être difficile, le jeune homme qui l’a quittée pour partir sur le front a disparu pour laisser place à un homme brisé par les combats, dont le physique et la personnalité ont été profondément bouleversés. Bon n’a aucun travail et ses ressources d’ancien combattant sont rapidement englouties dans la reconstruction de sa maison et pour ne rien arranger l’homme est en bien mauvaise santé, au point de ne pouvoir accomplir que très peu de travaux physique. Mien n’éprouve plus rien pour Bon, sa vie est avec Hoan et leur fils, mais son ancien mari a fait valoir ses droits et s’accroche désespérément à une femme pour laquelle il éprouve un amour qui confine à a folie.

Comme la plupart des romans de Duong Thu Huong, Terre des oublis se déroule durant la période consécutive à la fin de la guerre du Vietnam, on y découvre un pays bouleversé par un conflit long et meurtrier, traversé par d’importants clivages (tradition contre modernité en particulier) tout juste étouffés par un régime communiste qui rapidement montre ses limites, gangrené par la corruption, le clientélisme et l’autoritarisme. La critique du régime reste cependant très mesurée et n’apparaît qu’en filigrane à l’occasion d’anecdotes rapportées par les personnages centraux. Mais une autre facette du Vietnam fait également surface, celle d’un pays jeune et dynamique, qui a soif de développement et tente de s’affranchir des limites imposées par le régime communiste. C’est le cas de Hoan notamment, qui incarne par bien des aspects l’entrepreneur à l’occidentale. Terre des oublis reste avant tout une grande histoire d’amour, celle de Mien et de Hoan, dont la passion est contrariée par le poids des tradition et le regard que pose la société sur chacune de leurs réactions. Très psychologique, le roman dresse de portrait de personnages complexes soumis à un dilemme impossible et par conséquent torturés par leur conscience et par leurs sentiments. Assez conséquent en terme de narration (700 pages tout de même), Terre des oublis est un roman difficile par ses thématiques et par son traitement, mais très agréable à lire grâce à la plume fluide et élégante de Duong Thu Huong ; une écriture simple mais forte, à la fois sensuelle et poétique, toujours empreinte d’une grande sensibilité. Assurément un roman incontournable pour les amoureux du Vietnam et de l’Asie en général.