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lundi 21 mars 2011

Space opera poussif : Janus, de Alastair Reynolds

Souvent présenté comme le fer de la lance du nouveau space opera, ou bien comme le “p’tit nouveau qui n’en veut”, c’est selon, Alastair Reynolds est désormais un écrivain de science-fiction confirmé, à qui l’on doit quelques réussites, notamment les deux premiers volets du cycle des Inhibiteurs, mais également quelques gamelles de premier ordre, comme La pluie du siècle. N’en déplaise à certains, les petits défauts que l’on pouvait pardonner à un jeune auteur et que Reynolds semble traîner comme un boulet depuis son premier roman, ne sont désormais plus excusables. La question est de savoir si avec Janus (“Pushing Ice” en VO) l’écrivain britannique s’est enfin transcendé pour nous offrir un roman de science-fiction incontournable.

2057. Système solaire. Banlieue de Saturne. Modeste lune de la géante gazeuse, d’un diamètre inférieur à 200 km, Janus quitte subitement son orbite et, à la surprise de l’ensemble des scientifiques humains, se dirige à une vitesse de plus en plus importante en direction de Spica ; une étoile de la constellation de la vierge, située à plus de 16 années lumière. En réalité, Janus n’est pas une véritable lune, mais un artefact extraterrestre doté d’une technologie extrêmement avancée. Problème, aucune équipe scientifique n’est en mesure de rejoindre Janus pour l’étudier avant que le satellite ne quitte le système solaire. Seule l’équipage du Rockhopper, un pousseur de glace dont la mission consiste à capturer des comètes, est capable de rattraper Janus. Poussés par l’appât du gain, les dirigeants du conglomérat privé auquel appartient le vaisseau, encouragent moyennant finance l’équipage à accepter la mission. Les deux cents hommes et femmes d’équipage se lancent alors à la poursuite de l’artefact extraterrestre, en vue d’en tirer le maximum de bénéfice en un minimum de temps. Hélas le deal est biaisé et le vaisseau se retrouve rapidement entraîné dans le sillage de Janus et dans l’incapacité totale de rebrousser chemin en direction de la Terre. Après une mutinerie en règle, l’équipage s’installe donc sur ce caillou qui fonce à une vitesse proche de la lumière vers Spica. Pour survivre, il leur faudra apprendre à exploiter les ressources offertes par Janus, à en déjouer les pièges et les dangers. Un voyage long et épuisant avec pour objectif l’inconnu.

N’y allons pas par quatre chemins, Janus est certes plus proche de L’espace de la révélation que de La pluie du siècle, mais globalement nous avons encore affaire à un roman bourré de qualités et d’idées lumineuses (notamment lorsqu’il joue avec les concepts relativistes), plombé par un style insipide, des dialogues totalement foirés et des personnages parfois à la limite de la caricature (pas tous heureusement). La première moitié de ce roman de près de six cents pages est d’un ennui consommé. Malgré les enjeux liés à la survie de l’équipage, Reynolds ne parvient à soulever que mollement l’intérêt du lecteur, l’intrigue étant focalisée sur l’affrontement entre deux femmes, Bella, capitaine déchue du Rockhopper, et Svetlanna, ingénieur en chef qui s’est emparée du pouvoir. Le coup des meilleures amies du monde devenant ennemies irréductibles, les renversements politiques à la petite semaine, le clivage entre les deux factions de l’équipage, les questions amorcées en début d’ouvrage et jamais résolues ou ne laissant la porte ouverte qu’à une suite, tout cela n’est pas bien nouveau et relève des ficelles habituelles de l’auteur. Reynolds commence à avoir la fâcheuse habitude de recycler son fonds de commerce et ce qui pouvait fasciner au premier roman commence sérieusement à sentir le réchauffé, voire le cramé. Les Big Dumb Objects déclinés à toutes les sauces sur six romans, ça commence sérieusement à bien faire. Il va falloir innover Mister Reynolds, ou bien les lecteurs se lasseront. Alors certes, le roman est émaillé de beaux passages et l’action décolle dans la seconde partie, par ailleurs Reynolds jongle toujours aussi habilement avec les concepts scientifiques et techniques, mais c’est très nettement insuffisant pour convaincre. D’autant plus que, comme les trois romans précédents de l’auteur, ce Janus est décidément atteint de surcharge pondérale, avec une intrigue ramassée sur trois cents pages de moins, ce nouvel opus d’Alstair Reynolds serait hautement plus digeste ; à croire que l’éditeur anglo-saxon a lui aussi bâclé son travail.

vendredi 4 mars 2011

Polar bien noir : Miami blues, de Charles Willeford

Largement ignoré du grand public et parfois abusivement considéré comme un second couteau, Charles Willeford fait pourtant partie des auteurs majeurs du roman noir américain. Ecrivain maudit sans cesse à la poursuite du succès, outrageusement talentueux mais constamment boudé du public, Willeford est de ceux dont la vie aussi bien que la plume forcent le respect. Tantôt soldat, écrivain, soldat à nouveau, écrivain et enfin enseignant à l’université de Floride, il alterne les périodes d’écriture avec les phases de profond dégoût, voire de dépression. Il sombre dans l’alcool puis l’appel de l’écriture est à nouveau le plus fort. En 1984, Willeford publie Miami blues, un polar sombre et violent, qui contre toute attente rencontre le succès. Carton plein pour l’auteur, dont le talent est enfin reconnu à sa juste valeur. Face au succès et à la pression de son éditeur, il écrit plusieurs suites mais ne profitera même pas de l’avance de 225 000 dollars qu’il obtient pour son dernier roman, terrassé par une crise cardiaque une semaine après la sortie de Ainsi va la mort.

Miami blues a ceci de particulier qu’il met en scène deux parfaits anti-héros : Hoke Moseley, flic expérimenté mais fatigué de la police de Miami, et Frederic J. Frenger, alias Junior, dangereux psychopathe tout droit venu de Californie. Le roman n’est pas sans rappeler Un tueur sur la route de James Ellroy (publié deux ans plus tard) ou bien encore les livres parfaitement déjantés de Tim Dorsey (autre auteur de la vague floridienne) en moins drôle. L’histoire démarre néanmoins de manière assez saugrenue. Alors qu’il débarque à l’aéroport de Miami, Junior se débarrasse, en lui cassant le doigt, d’un jeune homme qui tentait de lui soutirer quelques dollars pour une cause obscure. Sans le savoir, Junior l’a en réalité tué ; l’homme, en état de choc, succombe à cette blessure en apparence anodine avant même que les secours ne soient sur place. Junior quant à lui, a décidé de se mettre au travail. Il loue une chambre dans un hôtel luxueux et s’empresse de se rencarder sur les possibilités offertes par la ville de Miami en matière de criminalité avec violence, mais avant d’explorer la cité floridienne il se paie du bon temps avec une prostituée. Coup du sort incroyable, la jeune fille (Susan) se trouve être la soeur de l’homme qu’il vient d’assassiner. Commence alors avec le sergent Hoke Moseley, à qui l’affaire vient d’être confiée, un jeu du chat et de la souris pour lequel notre psychopathe est loin d’être démuni.

En apparence tirée par les cheveux, la trame de Miami blues est en réalité extrêmement bien troussée et repose sur la relation ambiguë qui lie les trois principaux personnages (Moseley, Junior et Susan) du roman. Tous les trois sont en situation d’échec social. Moseley est divorcé, il vit dans une chambre d’hôtel minable sans réussir à joindre les deux bouts, porte un dentier qu’il a du mal à assumer, ne voit sa fille que deux fois par an et a du mal à gérer ses relations avec les femmes. Junior/Freddy, est incapable de s’insérer dans la société ; dangereux, violent, intelligent (ou tout du moins calculateur) il aspire pourtant à vivre une vie normale puisqu’il tente par tous les moyens de donner à la relation qu’il entretient avec Susan les apparences de la normalité (il s’installe avec la jeune fille dans une petite maison, part tous les matins détrousser les passants au centre commercial, comme s’il s’agissait d’un boulot respectable). Quant à Susan, elle incarne la parfaite petite femme d’intérieur, prépare de bons petits plats pour son psychopathe de mari, accepte toutes les humilations (sexuelles comme psychologiques) en filant le parfait amour avec Junior/Freddy. En réalité c’est toute la société américaine, symbolisée par la très édifiante ville de Miami, qui semble gangrenée par la violence et la schizophrénie sociale (voire sociétale). La violence explose à tous les coins de rue dans une ville assaillie par des vagues d’immigrés cubains, les classes moyennes blanches fuient et se replient dans les banlieues sécurisées, les filcs pétent les plombs et les criminels s’en donnent à coeur joie. Alors chacun se donne une apparence et tente de préserver son intégrité en se raccrochant aux lambeaux d’une vie affreusement matérialiste et anxiogène.