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jeudi 3 décembre 2009

Blues on the bayou : La pluie de néon, de James Lee Burke


Dave Robicheaux, Cajun et fier de l'être, exerce la difficile profession de lieutenant de police à La Nouvelle Orléans. Robicheaux se plait à se considérer comme un bon flic et c'est aussi l'avis de sa hiérarchie ; intègre, méthodique, plutôt fin dans ses analyses, il a pourtant la fâcheuse habitude de mettre les pieds dans le plat, ce qui en Louisiane est un défaut majeur. Robicheaux a un autre défaut, il est obstiné, et lorsqu'on lui fait comprendre qu'il fourre son nez dans des affaires qui ne le regardent pas, le bonhomme ne se laisse pas faire. Jusqu'au jour où il découvre le cadavre d'une jeune prostituée dans l'un des nombreux bayous de la région. Le sherif du comté conclut à une simple noyade, mais Robicheaux est convaincu qu'il s'agit d'un meurtre et décide de mener sa propre enquête. Il faut croire que l'affaire est plus sérieuse qu'il n'y paraît car il apprend d'un détenu condamné à la chaise électrique, que sa tête a été mise à prix par des trafiquants colombiens. Rapidement, un faisceau d'indices le dirige sur la piste de Segura, un truand local dont la cote de popularité auprès des services de police ne cesse d'augmenter. Mais l'affaire sent décidément le soufre, alors qu'il s'apprêtait à sortir avec sa petite amie, Robicheaux est séquestré et torturé par trois gros bras commandités par de gros bonnets du crime ayant pignon sur rue ; un ancien général de l'armée américaine et même la CIA semblent plus ou moins liés à un trafic d'armes avec les Contras. L'affaire dérape, Robicheaux et son co-équipier logent accidentellement une balle dans la tête de Segura et les deux flics doivent désormais faire face à la hargne de leurs collègues des affaires internes, qui rêvent de les clouer au pilori. Et comme les mauvaises nouvelles vont toujours par deux, Robicheaux est cette fois victime d'une tentative de meurtre maquillée en accident de la route, l'un de ses contacts, un agent fédéral du contre-espionnage, perd la vie dans l'accident. Accusé d'être un mauvais flic porté sur la bouteille, assailli par les collègues des affaires internes, pourchassé par les trafiquants d'armes, Robicheaux est suspendu et frôle la crise de nerfs.

Premier roman de la série Dave Robicheaux, ce flic de la Nouvelle Orléans à la personnalité complexe et aux méthodes pas toujours orthodoxes, La pluie de néon est l'occasion d'être confronté à la méthode James Lee Burke ; une littérature sans concession, brute de décoffrage et profondément ancrée dans le réel. Evidemment, cela tient à la fois au personne même de Robicheaux, mais également à la géographie (humaine et physique), au terroir pourrait-on dire, dans lequel se déroulent les romans de James Lee Burke. La Louisiane est ici un personnage à part entière, on découvre ses étonnantes spécificités et l'auteur prend souvent un malin plaisir à en tordre les clichés. Cet état américain, l'un des plus pauvres des Etats-Unis, vit sans cesse sur sa gloire passée et le lecteur est plongé dans une atmosphère pesante, moite, voire déliquescente. Bien avant Katrina, La Nouvelle Orléans était déjà en tête du hit parade des villes les plus violentes des Etats-Unis, le chômage, les inégalités sociales et le désoeuvrement constituant le terreau privilégié de cette criminalité galopante. Le temps ou New Orleans, perle du Sud, brillait par la richesse de sa vie mondaine et culturelle est bel et bien révolu. On comprend alors aisément pourquoi James Lee Burke, auteur profondément attaché à la Louisiane, à son histoire, à ses traditions et à son avenir, a choisi pour héros un flic ; qui en effet aurait pu donner une image plus fidèle de la réalité d'un état socialement, politiquement et économique moribond bien avant que l'ouragan ne dévaste "Big easy".

A la fois cynique, violent et désabusé, La pluie de néon, à l'instar de nombreux polars hard-boiled, vaut moins pour la qualité de son intrigue que pour son portrait de la Louisiane et de la société américaine à l'orée des années 90. Cette critique acide est contre-balancée par des descriptions plutôt lyriques des paysages de la Louisiane, exercice dans lequel on sent l'auteur probablement moins à l'aise (voire maladroit), mais qui reflètent sont propre attachement à cette contrée du Sud. En bon connaisseur du milieu qu'il décrit, James Lee Burke use modérément du cliché, ce qui participe indiscutablement à la réussite et à l'authenticité de ses romans. La pluie de néon manquera certainement de rythme pour les lecteurs accros au suspense, mais ce faux rythme participe indiscutablement à l'ambiance générale du roman, à la fois langoureuse et poisseuse, un peu comme la Louisiane (Hein ? oui, j'aime bien finir sur un cliché).

SF uchronique : Le printemps russe, de Norman Spinrad


La science-fiction a ceci d'amusant qu'au fil des années, voire des décennies, certains romans que l'on pouvait classer initialement sous l'étiquette "anticipation" sont devenus tellement caduques qu'il est nécessaire de les lire désormais comme des uchronies. C'est le cas du Printemps russe de Norman Spinrad, une vaste fresque à la fois politique, sociale et familiale sur fond de conquête spatiale. L'épaisseur du roman, qui s'étale tout de même sur près de 800 pages, laissait augurer du meilleur, tout du moins si l'on s'en tient à ce qu'annonce la quatrième de couverture, et Norman Spinrad n'est pas non plus le premier des débutants ; même si dès le départ, l'auteur se prête à un exercice hautement périlleux, qui ne pouvait déboucher que sur une magnifique gamelle. Mais il faut bien reconnaître que publier en 1991 un roman sur l'avenir du bloc soviétique avait quelque chose d'à la fois hautement casse-gueule et extrêmement culotté. A condition de ne pas avoir de connaissances trop approfondies sur la géopolitique de l'URSS, l'on pouvait encore se laisser prendre au jeu à l'orée des années 90. Hélas, force est de constater que 18 ans après sa publication originale, Le printemps russe ressemble à une oeuvre parfaitement bancale, tant sur le plan littéraire que sur celui de l'analyse politique.

La toile de fond de cet imposant roman est finalement assez simple. Alors que les Etats-Unis s'enfoncent dans une lente récession économique, sous le poids de sa dette publique et de ses dépenses militaires abyssales (notamment en raison du programme militaire spatial, sorte de programme "Guerre des étoiles" rebaptisé désormais "Etoile d'Amérique"), que le pays s'enferme dans un réflexe protectionniste et autoritaire avec la bénédiction d'une bonne partie de la population, que "l'Amérique" jadis tant aimée et admirée est désormais honnie par une bonne partie de la planète en raison de ses agissements scandaleux en Amérique latine, l'URSS a quasiment achevé sa lente métamorphose amorcée sous l'ère de la pérestroïka habilement orchestrée par Gorbatchev. A peu de choses près, l'URSS a libéralisé son économie tout en préservant la mainmise du PCUS sur l'appareil d'état et sans que l'oppressante bureaucratie soviétique n'en ait souffert (ce qui paraît déjà plus étonnant). Le bloc soviétique, tout en maintenant son unité géographique et politique, s'est ouvert vers l'Occident ; tout du moins vers l'Europe, dont l'union est désormais achevée et qui représente la première puissance économique mondiale et la seule véritable fédération d'états démocratiques. Coincée entre l'impérialisme américain et le pseudo socialisme semi-autoritaire du bloc soviétique, l'Union européenne ne joue qu'un rôle de tampon économique et politique. Chose amusante, ce ne sont pas les Etats-Unis qui ont gagné la course aux étoiles, mais l'URSS, qui est bien la seule à croire en un avenir spatial pour l'humanité ; les Américains sont concentrés sur leur programme militaire, alors que l'ESA souffre d'un cruel manque d'ambition exacerbé par les éternelles hésitations politiques des européens. Mais les choses changent et les européens sont désormais prêts à inscrire leurs pas dans les traces des russes.
C'est la raison pour laquelle l'ESA débauche à grands frais un jeune ingénieur américain, Jerry Reed, qui végétait gentiment chez Rockwell en attendant que la Nasa/Pentagone se décide à envoyer à nouveau des hommes dans l'espace plutôt que des satellites militaires. Mais les choses ne sont pas si simples, Jerry Reed est détenteur d'informations et de technologies que les Américains ne veulent absolument pas voir tomber dans l'escarcelle des européens, et, à fortiori, encore moins dans celle des soviétiques. Contraint par les autorités américaines à faire un choix entre son rêve et son pays, Jerry Reed décide de faire défection et de rejoindre les rangs de l'ESA ; il est alors déchu de sa nationalité américaine et un retour aux Etats-Unis lui est désormais interdit. Mais son choix n'a pas seulement été dicté par sa conscience et son désir d'étoiles, les charmes de la jeune Sonia Gagarine ne sont pas totalement étrangers à cette décision de vivre désormais en Europe, aux côté de la femme qu'il aime. Autant dire que les soviétiques, désormais alliés des européens concernant le développement du programme spatial de l'ESA, voient d'un très bon oeil cette relation entre les deux jeunes tourtereaux.

On connaissait le talent de Norman Spinrad en matière de narration et son style percutant, voire coup de poing, fait comme d'habitude des merveilles lorsqu'il s'agit d'enquiller les 800 pages du roman, on connaissait également sa propension à truffer chaque chapitre de scènes de sexe assez crues, mais on connaissait moins le goût de l'auteur pour les romans feuilletons à la Santa Barbara (ou Dallas, c'est comme vous voulez). Et là, force est de constater que Spinrad se laisse quelque peu aller à la facilité. Si j'étais méchant, je dirais qu'en dehors du format et du langage un peu cru, Le printemps russe aurait parfaitement sa place dans la collection Harlequin. Le lecteur subit au fil de la narration, une succession de clichés et de scènes assez surréalistes chez un auteur dont on appréciait plutôt la férocité, l'ironie et la virulence du propos. Les Français s'appellent tous Marcel, Emile ou Nicole, Paris n'est que lumières et bistrots pittoresques à l'ombre des platanes (et si possible le long des quais de la Seine), les Russes sont tous des bureaucrates alcooliques dont l'esprit est totalement embrumé par la propagande du parti ; incapables du moindre sentiment, leur seul objectif est d'oeuvrer pour la gloire de la patrie, quel qu'en soit le prix. Certes, lorsqu'il s'agit de dénoncer les travers de l'Amérique, quitte à grossir quelque peu le trait, Spinrad est toujours aussi incisif, mais l'acidité de la critique est quelque peu tempérée par des dialogues ou des scènes d'un sentimentalisme larmoyant, voire d'un chauvinisme déplacé, souvent ponctuées d'un "Je suis fier d'être américain, même si mon pays fait de vilaines choses". On a connu l'auteur un poil plus subtil. On repassera également en ce qui concerne l'analyse géopolitique, à peu près du niveau de certaines conversations du café du commerce, ou sur les invraisemblances flagrantes qui parsèment le roman (on se demande bien comment un hippie à moitié socialiste pourrait bien arriver jusqu'à la présidence des USA , alors quand ce dernier désamorce ce qui s'annonce comme la troisième guerre mondiale à la façon d'un joueur de poker, on abandonne). Que Norman Spinrad se soit en grande partie trompé concernant l'évolution du bloc soviétique (même s'il faut lui accorder certains points) n'est pas le plus important, les meilleurs analystes se fourvoient eux aussi régulièrement, en revanche on peut être plus circonspect quant à sa capacité à maîtriser un roman aussi ambitieux. L'ensemble manque singulièrement de profondeur et de subtilité, d'autant plus que l'auteur n'y manie que très modérément le second degré.

Pour autant, Le printemps russe n'est pas totalement dénué d'intérêt car l'auteur s'y dévoile de manière assez prononcée ; Jerry Reed c'est un peu Norman Spinrad. Le déracinement, l'exil plus ou moins forcé, son amour pour Paris (même s'il est teinté de nombreux clichés), cette relation d'amour-haine avec son pays, la critique acerbe du modèle social américain et de son son système politique, son écoeurement vis à vis du monde politique en général et de la politique politicienne en particulier, on y retrouve nombre d'éléments du discours habituel de l'auteur, avec quelques remarques et quelques scènes empreintes d'un vécu réel que l'on sent nettement poindre ici et là. Tout cela fait incontestablement de Jerry Reed un personnage fort attachant, mais c'est sans doute insuffisant pour faire du Printemps russe une oeuvre majeure de Norman Spinrad.

Polar déjanté : Triggerfish twist, de Tim Dorsey


Complètment barré, totalement déjanté, définitivement loufoque, tels sont les termes qui viennent immédiatement à l'esprit à la lecture des romans de Tim DORSEY. Cet homme est fou, sachez le, et ses bouquins sont de petites pépites d'humour noir, de critique acide et de dinguerie totalement assumée. Tim DORSEY c'est drôle, intelligent, pétillant, absurde, mais surtout, ça n'a ni queue ni tête. Le pire c'est que ça marche.

A vrai dire, si vous souhaitez commencer par le début, la lecture de Florida Roadkill est à envisager, mais il ne s'agit pas à proprement parler d'un passage obligé car Triggerfish twist n'est pas une suite, même si l'on y croise plusieurs personnages récurrents créés par Tim DORSEY. En bon auteur du terroir, Tim DORSEY parle de ce qu'il connaît le mieux, à savoir la Floride et son cortège de doux dingues, d'allumés en tous genres, de voyoux à la petite semaine et autres dégénérés attirés par le soleil, la plage, les jolies filles et les alligators. Pour être honnête, chez l'écrivain américain les gens « normaux » se comptent sur les doigts de la main, alors lorsque la famille Davenport déboule de son Indiana natal du côté de Tampa, on se dit que le malentendu risque d'être de courte durée. Jim Davenport est consultant, c'est à dire que son boulot consiste à se balader d'entreprise en entreprise afin d'observer le travail des salariés et de pondre des rapports qui permettront à tout ce joyeux petit monde de travailler dans la joie et l'efficacité (voire la félicité). Aussi, lorsque la société qui emploie Jim ouvre une succursale à Tampa, ce dernier saute sur l'occasion et demande sa mutation pour la Floride. L'aubaine était trop belle, d'autant plus que la revue Où vivre en Amérique : les meilleures villes, vient de classer Tampa à la troisième place des villes les plus agréables du pays. Hélas, ce que ne sait pas Jim, qui en tous points représente la parfaite victime, c'est que ce classement est surtout le résultat d'une légère boulette, celle d'un stagiaire sous-payé du journal, visiblement fâché avec Excel. Les Davenport emménagent donc dans un joli petit pavillon de Tampa, du côté de Triggerfish Lane, un quartier en apparence plutôt tranquille : maisons cossues, pelouses bien entretenues, allées propres bordées de palmiers. Ce qu'ils ne savent pas non plus, c'est que ce quartier est la prochaine cible d'un agent immobilier véreux, qui projette de racheter toutes les maisons appartenant à des particuliers. Sa stratégie est d'une simplicité désarmante ; chaque fois qu'il rachète une maison, ce bon Lance Boyle installe des locataires douteux afin de faire fuir à vil prix les derniers propriétaires du voisinage. Une fois que Lance aura racheté l'intégralité du quartier, il lui suffira de raser toutes ces baraques miteuses pour y construire un magnifique centre commercial.

En réalité, si les Davenport et leurs malheurs de voisinage semblent constituer le point central du roman, Tim DORSEY émaille son histoire de personnages secondaires dont les parcours, tout aussi éditifants, viennent se greffer à la trame principale. Trame est cependant un bien grand mot pour ce qui s'avère être en réalité une succession de petites saynettes totalement ubuesques et loufoques. Le roman n'est d'ailleurs pas sans rappeler un certain Pulp Fiction, en plus barré. Ceux qui ont lu les romans précédents de l'auteur auront par ailleurs le plaisir de retrouver Serge A. Storms, psychopathe de son état, et ses deux comparses déjantés, Sharon la strip teaseuse cocaïnomane et Coleman, buveur impénitant de Budweiser et grand spécialiste du pétard. A vrai dire, tout ceci pourrait n'être qu'un vaste carnaval si, sous ce vernis qui craque de tous côtés, n'apparaissait une critique assez virulente de la société américaine. Et en la matière, on peut dire que DORSEY a la plume plutôt acérée et ses dialogues, taillés au millimètre, sont tout simplement exemplaires.Ecrit à un rythme effrené, Triggerfish Twist est très certainement la plus grande poilade de ces dernières années en matière de polar. Autant dire que Tim DORSEY tient la dragée haute à un Donald WESTLAKE ou un Charles WILLIAMS, ce qui n'est pas le moindre des compliments.